Dans l’ombre de la décadence
Gilles Cosson (57) a su, souvent, nous emmener par des romans historiques bien venus dans les Orients compliqués, mais aussi aborder avec acuité dans des essais très personnels des problèmes de société actuels.
Avec son nouveau livre, Dans l’ombre de la décadence, il réunit ces deux centres d’intérêt, grâce à une construction qui, pour être géométrique et linéaire, n’en est pas moins originale.
Dans presque tous les chapitres pairs, nous lisons des écrits, souvent extraits des Mémoires de l’empereur Julien, concernant essentiellement le déroulement de sa dernière année, celle de sa campagne contre les Perses où il mourra en 363.
Et, dans les chapitres impairs, nous bénéficions des commentaires que fait de ces textes anciens un professeur américain. Sa lecture est moins portée sur la stricte exégèse historique que sur les leçons contemporaines qu’il peut en tirer. Cet universitaire, auquel Cosson donne une ascendance et un nom français (Marchand) pour bien avouer qu’il lui prête nombre de ses propres interrogations tout en profitant d’une opportune distance, en vient donc à émettre avec sagacité son opinion sur de nombreux sujets.
La personnalité de Julien, et les contradictions entre ses pensées et ses décisions. Les problèmes que posent le pouvoir et la gouvernance des empires. Les dérives de la société dans cette Rome déjà décadente, et notamment de ses élites. Les religions, leur utilité ou leur utilisation. Les femmes. La guerre.
Chaque fois que Julien porte son propre jugement sur son monde et ce qu’il y entreprend, Marchand y ajoute le sien sur les campagnes ou les « croisades » de Julien comme sur celles, qu’il voit parallèles, de Bush ou Obama, mais finalement c’est bien Cosson, qui, dans l’ensemble de l’ouvrage, nous livre ses craintes devant les périls qui lui semblent menacer aujourd’hui l’empire américain mais aussi notre pays. À force d’habileté, une telle structure d’ouvrage peut parfois conduire Marchand, ou Cosson, à traiter à diverses reprises des sujets mis ou remis sur la table par Julien comme autant de pièces d’un puzzle.
Paradoxalement, elle conduit parfois aussi à éloigner le lecteur de la figure tout à fait exceptionnelle de l’empereur Julien, au destin personnel continuellement immergé dans le tragique.
Mais Julien lui-même ne dit-il pas, souvent, qu’il aurait préféré continuer pendant sa vie à discuter avec ses amis philosophes plutôt qu’à tenter de gouverner son empire avec l’aide, trop souvent inutile, des enseignements de la raison ?