Data : un nouveau champ des possibles en agriculture
L’entreprise Agdatahub est un acteur de référence de la circulation des données agricoles en France et en Europe. Pour répondre aux enjeux alimentaires et environnementaux actuels et à venir, cette société a l’ambition de fédérer tous les acteurs des filières agricoles et agro-alimentaires, en proposant des solutions technologiques pour garantir un usage maîtrisé des données. Entretien avec Sébastien Picardat, directeur général, Renaud Font, directeur des opérations, et Christophe Gervais, directeur technique.
En quoi consistent les activités de Agdatahub ?
La société a été créée en 2020. Nous avons voulu construire une plateforme d’intermédiation entre des émetteurs de données (ou qui pourraient rendre des données disponibles) et un écosystème d’entreprises identifiées qui sont à la recherche de données (par exemple des données de sol, des données météo, des données techniques ou encore des données de traçabilité filières). Cet échange entre émetteurs et acquéreurs peut se faire sous différentes modalités, par l’open data, par une acquisition gratuite ou payante, par souscription, par interconnexion automatique entre les systèmes. Nous sommes une plateforme d’échange de données qui permet la contractualisation et la conformité entre organisations clairement identifiées.
Comment contribuez-vous au développement de l’intelligence artificielle ?
Notre vocation est de rompre avec la pénurie de data pour alimenter et éduquer des systèmes d’intelligence artificielle. Nous avons d’ailleurs été lauréat du Plan d’Investissements d’Avenir (PIA3), instruit par BPI France, sur l’accélération de l’intelligence artificielle pour le secteur agricole. Au cœur de ce projet se trouvait la question du consentement. C’est justement le point où nous proposons une innovation technologique, et même une disruption. Dans un avenir riche de flux importants de données, contraint par une réglementation complexe, nous voulons être un tiers de confiance, apporter une identité numérique professionnelle fiable pour que demain, un fabricant de machines, de capteurs, ou un éditeur de solutions logicielles qui enregistre des données pour ses utilisateurs, puissent massifier l’accès à ces données en tenant compte de leurs consentements.
Qu’est-ce qui va changer avec cette identité numérique ?
Sur internet, aujourd’hui, la confiance ne règne pas dans les échanges. Nous sommes incapables d’identifier des personnes ou des organisations : on ne sait pas qui est derrière un compte, et cette faille rend possible de nombreux abus. L’enjeu était donc d’amener la confiance en proposant une solution qui permette d’identifier les acteurs dans un échange de données. Avec Agritrust, nous apportons l’identité numérique dans le secteur agricole, en fournissant un identifiant de valeur régalienne lors d’un échange de données. Nous amenons une couche de confiance très proche dans le fonctionnement du système de validation de paiement bancaire en garantissant la légitimité de l’utilisateur. Le secteur agricole va être le premier à bénéficier de cette avancée technologique.
Il faut bien comprendre que c’est seulement à partir du moment où l’identité numérique est établie et fiable que l’on peut travailler sur le consentement. Aujourd’hui, les agriculteurs ne connaissent pas le devenir de leurs données. Notre plateforme garantit que les agriculteurs sauront à quoi ils ont donné leurs consentements pour partager leurs données, et à qui elles sont destinées. Les agriculteurs sont des entrepreneurs, rappelons-le : ils sont sensibles aux apports de la technologie, beaucoup plus qu’on ne le dit !
Quels sont les leviers déterminants dans l’économie de la data ?
Il y a d’abord le pilier réglementaire : donner un cadre et une liberté à la circulation de la donnée. Après la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux en Europe, l’Union européenne, avec le Data Governance Act, a créé une quatrième liberté fondamentale, celle relative à la libre circulation des données. Nos solutions permettent aux entreprises du secteur agricole d’appliquer facilement ce cadre réglementaire.
Ensuite, il y a un aspect technique très important. Nous voulons proposer des solutions pour soutenir une dimension beaucoup plus orientée data que ce n’est le cas aujourd’hui. Les consommateurs veulent savoir par exemple, d’où vient leur alimentation, pouvoir connaître le « score » sanitaire ou environnementale d’un produit, etc.
“Aujourd’hui, les agriculteurs ne connaissent pas le devenir de leurs données. Notre plateforme garantit que les agriculteurs sauront à quoi ils ont donné leur autorisation pour partager leurs données, et à qui elles sont destinées.”
Enfin, l’organisation est également essentielle dans la transition qui est en train de s’opérer. Les entreprises développent un certain nombre de projets et d’outils, mais passer vers une organisation « data driven » ou « data centric » nécessite de nouvelles compétences, de nouveaux métiers. On constate que le développement est souvent freiné par des obstacles relevant de l’organisation. Nous voulons donc faire passer ce message que les organisations doivent s’adapter en profondeur, faire bouger leurs compétences et leurs postes pour entrer dans cette dynamique.
Quels avantages peut-on tirer de la data dans le secteur agricole ?
Pour les agriculteurs, il y a deux leviers. D’abord, augmenter leur chiffre d’affaires en améliorant la traçabilité des matières premières agricoles puis des produits transformés jusqu’au consommateur final. Toutes ces informations le long de la chaîne permettent, avec des primes qualité par exemple, de valoriser le travail de l’agriculteur. Les data permettent aussi d’optimiser les coûts d’exploitation, avec des outils d’aide à la décision sur la fertilisation azotée modulée par mètre carré par exemple, ou par des calculs précis sur la main d’œuvre nécessaire chez les maraîchers et chez les éleveurs. Or, en augmentant le chiffre d’affaires et en diminuant les coûts, on fait progresser le revenu de l’agriculteur.
Les agriculteurs peuvent par ailleurs générer des crédits carbone, et les vendre à des entreprises qui en ont besoin. Or ces crédits carbone ne sont pas envisageables sans data. L’industrialisation des échanges de données est indispensable au ruissellement du numérique jusqu’à l’exploitant agricole. Pour les acteurs de la filière qui sont les intermédiaires jusqu’au consommateur final, nous sommes une plateforme SaaS. Nous délivrons nos produits, Api-agro et Agritrust, avec trois niveaux de forfaits qui ne nécessitent aucun investissement initial pour l’entreprise et qui rendent disponible une technologie de pointe pour 85 000 acteurs des filières agricoles et agroalimentaires ‑dont 80 % sont des TPE/PME.
Qu’est-ce qui selon vous freine encore le développement des data dans votre secteur ?
Le problème que nous rencontrons fréquemment, c’est le manque de personnel dédié au pilotage de ce genre de projets dans les entreprises. Les data manageurs sont encore trop peu nombreux, dans les organisations publiques ou privées. Il faut contribuer au maximum à l’émergence de ces nouveaux profils et compétences nécessaires dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, dans les coopératives, chez les négociants ou les administrations décentralisées.
Les entreprises américaines ont vraiment orienté leur business sur la data. Cette transformation ne s’est pas encore faite en France. Les DSI peuvent mettre en place l’architecture technique nécessaire à la circulation de la donnée, mais les profils manquent pour traiter les questions essentielles que sont les cas d’usages, la collecte, les relations avec les agriculteurs (le consentement). Ce sont pourtant des sujets d’avenir qui vont devenir structurants pour la société !