De Charlemagne à Bill Gates : la classe électronique multimédia

Dossier : Le MultimédiaMagazine N°550 Décembre 1999
Par Peter ISACKSON

Un nouveau contexte d’évolution rapide

Les méthodes péda­go­giques sont res­tées pra­ti­que­ment les mêmes depuis que le monde est monde :

  • une struc­ture hié­rar­chique magister/étudiants, dans laquelle une des pré­oc­cu­pa­tions du Maître est de trans­mettre aux élèves son savoir et qu’ils soient en mesure de le trans­mettre aux géné­ra­tions suivantes.
    Si, selon la tra­di­tion, Char­le­magne en a lar­ge­ment éten­du le nombre des béné­fi­ciaires en Europe, cette struc­ture est tou­jours dominante ;
  • des sup­ports textes qui ont certes béné­fi­cié de l’in­ven­tion de l’im­pri­me­rie mais n’ont pas révo­lu­tion­né la pédagogie.

La révo­lu­tion indus­trielle que connaît le monde depuis le début de ce siècle a bien sûr fait bou­ger les choses. Tou­te­fois, jus­qu’à l’a­vè­ne­ment du micro-ordi­na­teur dans tous les milieux pro­fes­sion­nels au cours des années 80 et ensuite d’In­ter­net à la fin des années 90, les acteurs de la for­ma­tion avaient le temps de regar­der, expé­ri­men­ter, éva­luer et juger à loi­sir toutes les nou­velles tech­no­lo­gies arri­vant sur le mar­ché par vagues : le son et l’i­mage enre­gis­trés, la mul­ti­pli­ca­tion des moyens de trans­mis­sion ana­lo­gique (télé­phone, radio, télé­vi­sion) et l’ac­cès à la créa­tion audio­vi­suelle non pro­fes­sion­nelle par le biais du magné­to­phone, de la camé­ra légère et du magné­to­scope. Mal­gré la per­sis­tance des pro­grès réa­li­sés, le rythme consta­té des évo­lu­tions a lais­sé aux for­ma­teurs et édu­ca­teurs le temps d’exer­cer une force de résis­tance abou­tis­sant tou­jours à une uti­li­sa­tion des tech­no­lo­gies indé­pen­dam­ment les unes des autres, en mon­trant par l’exemple leur manque géné­ral de per­ti­nence dans l’acte et la rela­tion pédagogiques.

Le monde de la for­ma­tion se trouve bous­cu­lé aujourd’­hui par l’ac­cé­lé­ra­tion des chan­ge­ments tou­chant les domaines éco­no­mique, tech­no­lo­gique, socio­lo­gique et poli­tique : non seule­ment le rythme, mais aus­si la nature du jeu a changé.

D’une part, l’é­vo­lu­tion de la tech­no­lo­gie entraîne des modi­fi­ca­tions pro­fondes des com­por­te­ments sociaux ; d’autre part, la conver­gence des tech­no­lo­gies, cha­cune exer­çant aupa­ra­vant son effet de façon limi­tée dans des domaines sépa­rés (télé­com­mu­ni­ca­tion, audio­vi­suel, infor­ma­tique), impose une accé­lé­ra­tion non seule­ment du rythme de chan­ge­ment mais aus­si et sur­tout de l’offre de ser­vices com­mer­ciaux et non com­mer­ciaux pro­po­sés à ceux qui adoptent ces tech­no­lo­gies intégrées.

Pour des rai­sons de pro­duc­ti­vi­té, de com­mu­ni­ca­tion et de dis­tri­bu­tion, la publi­ci­té, la presse, l’au­dio­vi­suel, mais aus­si la plu­part des grands sec­teurs de l’é­co­no­mie, voire même la poli­tique, ont lar­ge­ment enta­mé leur restruc­tu­ra­tion autour de l’In­ter­net d’au­jourd’­hui, et plus encore de celui de demain (avec une forte aug­men­ta­tion de bande pas­sante, l’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té de toutes les machines, la baisse constante des prix et tarifs) ; il est inévi­table que l’en­sei­gne­ment et la for­ma­tion soient eux aus­si hap­pés par la vague.

Pour la pre­mière fois dans l’his­toire depuis la créa­tion des réseaux d’u­ni­ver­si­té au Moyen Âge les condi­tions sont favo­rables à une restruc­tu­ra­tion des rap­ports péda­go­giques et des modes de dis­tri­bu­tion de l’en­sei­gne­ment. L’im­pact en sera d’au­tant plus impor­tant que les oppor­tu­ni­tés de déve­lop­pe­ment des indi­vi­dus sont aujourd’­hui inti­me­ment liées à leur niveau d’é­du­ca­tion et de formation.

Pour l’é­du­ca­tion, le fait mar­quant n’est donc pas seule­ment l’a­vè­ne­ment d’un mul­ti­mé­dia véhi­cu­lé par des réseaux de com­mu­ni­ca­tion de plus en plus diver­si­fiés dans leur com­po­si­tion tech­no­lo­gique et inté­grés dans leur fonc­tion­ne­ment, c’est sur­tout son adop­tion mas­sive dans tous les envi­ron­ne­ments : pro­fes­sion­nels, domes­tiques, publics. Les fron­tières entre le monde pro­fes­sion­nel et la vie pri­vée éclatent, comme en témoignent la dif­fu­sion du télé­tra­vail et des bureaux mobiles ain­si que la par­ti­ci­pa­tion des sala­riés au capi­tal de leur entreprise.

Nous assis­tons aujourd’­hui à la mise en place rapide d’une infra­struc­ture qui per­met­tra le déploie­ment uni­ver­sel de res­sources autre­fois loca­li­sées et gérées par des experts contrô­lant de façon qua­si dic­ta­to­riale leur champ d’o­pé­ra­tions : la salle de cours avec la biblio­thèque consa­crée comme espace annexe. Nous uti­li­se­rons dans cet expo­sé le terme « classe élec­tro­nique » mais ce n’est qu’une méta­phore qui décrit un aspect d’un envi­ron­ne­ment péda­go­gique autant réel que vir­tuel dont les fron­tières seront constam­ment redé­fi­nies dans les années à venir.

L’évolution du multimédia dans le monde éducatif

Le mul­ti­mé­dia est deve­nu une réa­li­té com­mer­ciale avec un impact uni­ver­sel en 1992 lorsque la carte audio Sound­Blas­ter s’est impo­sée pour deve­nir un stan­dard de fait. Une indus­trie d’é­di­tion mul­ti­mé­dia, qui avait dans un pre­mier temps et très timi­de­ment misé uni­que­ment sur le monde du Macin­tosh, pou­vait com­men­cer à envi­sa­ger un défer­le­ment du CD-ROM mul­ti­mé­dia comme sup­port de logi­ciels d’un nou­veau type pour le diver­tis­se­ment, l’é­du­ca­tion et les appli­ca­tions professionnelles.

On oublie sou­vent qu’une pre­mière géné­ra­tion de tech­no­lo­gie mul­ti­mé­dia avait vu le jour dans les années 70 et qu’une acti­vi­té d’é­di­tion a connu un suc­cès, réel bien que limi­té, autour de cette tech­no­lo­gie pen­dant les années 80, sur­tout dans les pays anglo­phones. Le disque laser cou­plé à un micro-ordi­na­teur per­met­tait la réa­li­sa­tion d’une qua­li­té de mul­ti­mé­dia que seul le DVD avec le for­mat de vidéo MPEG2 peut com­men­cer à égaler.

Mal­gré la qua­li­té du résul­tat, les condi­tions n’é­taient pas réunies pour l’es­sor d’une acti­vi­té d’é­di­tion : manque de stan­dards, coût et com­plexi­té des équi­pe­ments, inco­hé­rence de la dis­tri­bu­tion. Néan­moins, des socié­tés comme Applied Lear­ning et Com­sell (États-Unis), IIS et Rank (Grande-Bre­tagne), et Inter­axis (France) ont réus­si à occu­per un cré­neau sur le mar­ché pro­fes­sion­nel et à inté­res­ser les res­pon­sables de for­ma­tion au concept de l’au­to­for­ma­tion multimédia.

Les années 80 furent aus­si l’é­poque des pre­miers centres de res­sources d’en­tre­prise, et le concept de média­thèque com­men­çait à suc­cé­der à celui de biblio­thèque pour les besoins de sto­ckage et de consul­ta­tion de docu­ments impor­tants liés à la for­ma­tion. Cer­tains pré­ten­daient que les ver­tus des nou­veaux outils per­met­taient de pré­voir des for­ma­tions sans for­ma­teurs. Mais l’a­vè­ne­ment du mar­ché mul­ti­mé­dia autour de CD-ROM et de PC avec carte son et moni­teur cou­leur a orien­té l’ac­ti­vi­té d’é­di­tion vers la cible grand public et a étouf­fé la créa­ti­vi­té péda­go­gique consta­tée autour du disque laser dix ans plus tôt.

Il n’y a guère que dans le domaine des langues étran­gères (et sur­tout de l’an­glais) que les édi­teurs se ris­quaient à lan­cer des pro­grammes péda­go­giques ambi­tieux. Et même dans ce domaine, le suc­cès était plus dû à des cam­pagnes de mar­ke­ting clas­sique visant sur­tout le grand public qu’aux qua­li­tés inno­vantes et péda­go­giques des produits.

Aujourd’­hui, le monde péda­go­gique est rela­ti­ve­ment déçu par les pro­duits mul­ti­mé­dias et les ensei­gnants sont sou­vent heu­reux de mon­trer leur peu de suc­cès et leurs lacunes péda­go­giques. Cer­tains pro­duits sont pour­tant excel­lents notam­ment ceux qui ont su intel­li­gem­ment com­bi­ner l’ex­ci­ta­tion des dif­fé­rents sens aux­quels s’a­dresse le mul­ti­mé­dia par le texte, l’i­mage ani­mée et le son ain­si que l’in­te­rac­ti­vi­té per­mise par les CD-ROM.

Les logi­ciels d’ap­pren­tis­sage des langues déve­lop­pés sous la direc­tion de Peter Isack­son : Wel­come to busi­ness (anglais) et Une jour­née bien rem­plie (fran­çais langue étran­gère), édi­tés depuis 1995 par CMP ont atteint un degré éle­vé d’in­te­rac­ti­vi­té et d’ex­ploi­ta­tion du mul­ti­mé­dia grâce à la vidéo plein écran en MPEG. Mais la démarche « auto­for­ma­tion » que l’on a crue pos­sible n’a pas déclen­ché de vrai et pro­fond pro­ces­sus d’ap­pren­tis­sage, l’ap­pre­nant attei­gnant rapi­de­ment le stade de l’es­souf­fle­ment et de la las­si­tude. L’ef­fi­ca­ci­té de la démarche péda­go­gique tra­di­tion­nelle (le cours magis­tral et les classes des cur­sus stan­dard, accom­pa­gnées ou non de tra­vaux pra­tiques), même s’ap­puyant sur ces nou­veaux moyens mul­ti­mé­dias, est éga­le­ment contestée.

On a certes cher­ché à prendre en compte de nou­velles notions, comme celles d’i­den­ti­té et d’i­mage de soi chez l’ap­pre­nant et leur impact sur les résul­tats d’ap­pren­tis­sage, mais il fal­lait ima­gi­ner d’autres moyens d’in­ter­ven­tion dans le pro­ces­sus péda­go­gique à l’in­té­rieur d’une infra­struc­ture péda­go­gique renou­ve­lée. C’est ici que l’ar­ri­vée des réseaux, et sur­tout du réseau des réseaux (Inter­net), per­met l’ex­ploi­ta­tion inten­sive des apports du multimédia.

L’évolution de l’enseignement à distance

Avec l’ac­crois­se­ment de la mobi­li­té, le désir d’u­ni­ver­sa­li­té de l’en­sei­gne­ment et de la culture, la mul­ti­pli­ca­tion et l’ap­pro­fon­dis­se­ment des dis­ci­plines, la rare­té et le coût des experts pour les ensei­gner, l’en­sei­gne­ment à dis­tance est deve­nu une néces­si­té de plus en plus impé­rieuse. Pra­ti­qué de façon clas­sique (papier et cour­rier) avec des résul­tats indé­niables même si ceux-ci étaient dus beau­coup au fait qu’il n’y avait sou­vent pas d’al­ter­na­tive, il a peu évo­lué : la télé­co­pie, les sup­ports mul­ti­mé­dias comme les cas­settes vidéo ont certes per­mis d’a­mé­lio­rer sen­si­ble­ment la qua­li­té et l’ef­fi­ca­ci­té mais on en est res­té aux méthodes péda­go­giques traditionnelles.

Avec l’ar­ri­vée d’In­ter­net, il y a tout juste trente ans, dont on rap­pelle que l’in­fra­struc­ture a été vite mise à la dis­po­si­tion du monde uni­ver­si­taire pour faci­li­ter la recherche, les échanges de docu­ments et la conso­li­da­tion de com­mu­nau­tés de spé­cia­listes, une culture Inter­net est née chez les pra­ti­quants régu­liers qui pre­naient l’ha­bi­tude de par­ta­ger leurs pré­oc­cu­pa­tions intel­lec­tuelles, tech­niques et autres avec les collègues.

Mais son appli­ca­tion directe dans l’en­sei­gne­ment n’a pas don­né immé­dia­te­ment les fruits escomp­tés, car, comme dans le cadre du mul­ti­mé­dia, elle n’a géné­ra­le­ment pas fait l’ob­jet d’une réflexion pro­fonde sur l’a­dap­ta­tion des pro­ces­sus péda­go­giques en par­ti­cu­lier dans le domaine des rela­tions « formateur-apprenant ».

C’est dans le contexte d’un Inter­net fonc­tion­nel­le­ment déve­lop­pé grâce à Unix, mais encore limi­té à la com­mu­ni­ca­tion par texte avec la pos­si­bi­li­té de trans­fé­rer des docu­ments com­plexes à dis­tance pour une lec­ture ou une uti­li­sa­tion locale que l’un des membres de notre équipe s’est atta­ché à déve­lop­per la qua­li­té de cette rela­tion for­ma­teur-appre­nant. Jacques Levin, qui enseigne la phy­sique, la mathé­ma­tique et l’in­for­ma­tique à Nova Sou­theas­tern Uni­ver­si­ty en Flo­ride aux États-Unis, a très tôt sai­si l’op­por­tu­ni­té de bâtir des pro­grammes d’en­sei­gne­ment pour des appre­nants qui n’au­raient jamais besoin de se dépla­cer pour suivre des études supé­rieures (Ph. D. et Masters).

Pour y arri­ver, il fal­lait ima­gi­ner com­ment créer, main­te­nir, déve­lop­per et conclure un pro­ces­sus péda­go­gique se dérou­lant sur des durées très impor­tantes (l’ob­ten­tion du diplôme) et moins impor­tantes (la durée d’un cours). Son expé­rience per­son­nelle de la com­mu­ni­ca­tion par Inter­net lui a per­mis d’i­ma­gi­ner des cours dont les conte­nus pou­vaient être dif­fu­sés par le réseau et une com­mu­ni­ca­tion péda­go­gique à la fois indi­vi­duelle et col­lec­tive ini­tiée et gérée en ligne.

La prin­ci­pale dif­fi­cul­té à laquelle il a dû faire face a été l’a­dap­ta­tion du cours aux besoins réels des appre­nants, mais dans le cadre d’In­ter­net. La simple publi­ca­tion d’un pre­mier cours sur Inter­net don­na lieu en effet à une ava­lanche de mes­sages de demandes d’ex­pli­ca­tions de la part des appre­nants. L’exa­men de ces mes­sages, trai­tés comme des élé­ments de base de don­nées rela­tion­nelles, per­mit rapi­de­ment d’i­den­ti­fier la cause de l’in­com­pré­hen­sion et de lui por­ter remède en modi­fiant le cours et prin­ci­pa­le­ment en y ajou­tant des exer­cices. Dès le deuxième cours, le nombre de mes­sages avait été divi­sé par 10, le temps de tra­vail par un fac­teur encore plus grand, car cer­taines réponses ayant été inté­grées dans le cours, elles étaient soit acces­sibles direc­te­ment par les appre­nants, soit ren­voyées en réponse aux ques­tions cor­res­pon­dantes par un simple copié-collé.

Mais c’est bien dans la prise en consi­dé­ra­tion des dif­fi­cul­tés des appre­nants expri­mées par l’in­ter­mé­diaire de leurs mes­sages et la réac­tion sous forme de l’a­dap­ta­tion du cours que réside la véri­table inno­va­tion : ce moyen de contrôle de la com­mu­ni­ca­tion a alors été ins­tau­ré en sys­tème asso­ciant tous les outils, mêmes rus­tiques du fait du niveau tech­no­lo­gique de l’é­poque, pour la ges­tion péda­go­gique et admi­nis­tra­tive de la for­ma­tion, la créa­tion des cours et de leur struc­ture ; il s’ap­puyait sur une mes­sa­ge­rie inté­grée et asso­ciait pour la com­mu­ni­ca­tion de groupe une « classe élec­tro­nique » qui res­semble super­fi­ciel­le­ment à un « par­loir » (chat), mais qui duplique cer­tains des aspects du rap­port péda­go­gique d’une classe pour évi­ter l’a­nar­chie de la dis­cus­sion libre. Grâce à ces outils et à ces nou­veaux modes péda­go­giques, l’ef­fi­ca­ci­té de l’en­sei­gne­ment à dis­tance a été décu­plée dès le début des années 90.

Tou­te­fois, une deuxième dif­fi­cul­té struc­tu­relle frei­nait les oppor­tu­ni­tés de déve­lop­pe­ment du sys­tème : en dépit de fonc­tion­na­li­tés bien supé­rieures obte­nues grâce à Unix, la fai­blesse des inter­faces par com­pa­rai­son à Apple puis à Win­dows consti­tuait un han­di­cap par rap­port aux outils d’au­to­for­ma­tion non com­mu­ni­cants. L’ar­ri­vée des « brow­sers » a consti­tué pour l’en­sei­gne­ment à dis­tance un véri­table trem­plin vers le mul­ti­mé­dia communicant.

Les enjeux psychologiques d’un enseignement véhiculé par la technologie

C’est en effet de cette période que date la ren­contre des deux types d’ex­per­tises péda­go­giques : l’une dans la péda­go­gie à dis­tance par les réseaux et Inter­net (Jacques Levin) et celle de la péda­go­gie mul­ti­mé­dia non com­mu­ni­cante (Peter Isack­son). De la confron­ta­tion de ces moyens péda­go­giques, de l’exa­men des dif­fi­cul­tés ren­con­trées par l’un et par l’autre et de la consta­ta­tion d’une véri­table com­plé­men­ta­ri­té est née la col­la­bo­ra­tion qui allait mener à l’é­la­bo­ra­tion d’un vrai sys­tème de for­ma­tion mul­ti­mé­dia com­mu­ni­cant et notam­ment à la classe élec­tro­nique mul­ti­mé­dia.

L’ex­pé­rience du mul­ti­mé­dia conçu comme un sup­port d’au­to­for­ma­tion sans une impli­ca­tion directe du for­ma­teur dans le dérou­le­ment péda­go­gique a mon­tré que sou­vent les appre­nants ne sup­portent pas l’i­dée d’ap­prendre tout seul. L’ef­fet psy­cho­lo­gique peut se tra­duire par un décou­ra­ge­ment profond.

De leur côté, les for­ma­teurs n’é­tant pas direc­te­ment res­pon­sables du conte­nu et pou­vant même se trou­ver en désac­cord avec sa façon de déve­lop­per la matière ou le style de trai­te­ment se dégagent en géné­ral de toute res­pon­sa­bi­li­té et font un ensei­gne­ment qui ne s’ap­puie pas sur le mul­ti­mé­dia uti­li­sé par les appre­nants. Bref, le mul­ti­mé­dia a sou­vent eu pour effet d’i­so­ler les uti­li­sa­teurs et de géné­rer une forme plus ou moins sourde d’an­goisse. Il est cer­tain que cela ne favo­rise pas les pro­ces­sus d’apprentissage !

L’ex­pé­rience de l’In­ter­net montre que les appre­nants qui se sentent en inter­ac­ti­vi­té avec un for­ma­teur sont capables de se prendre en main et de res­ter accro­chés pen­dant de très longues périodes, à condi­tion bien enten­du d’a­voir un objec­tif géné­ral d’ap­pren­tis­sage et un cadre d’a­ni­ma­tion avec une suc­ces­sion d’ob­jec­tifs pro­gram­més et contrô­lés par un for­ma­teur. Grâce aux réseaux et à la nature à la fois syn­chrone et asyn­chrone de la com­mu­ni­ca­tion, il est donc plus facile pour le for­ma­teur de construire une rela­tion per­son­nelle, ou qui du moins est per­çue par chaque appre­nant comme per­son­nelle, que dans un cours traditionnel.

Reste néan­moins le pro­blème du conte­nu et de son impact sur l’ap­pre­nant. Le for­ma­teur en ligne ne pou­vant pas « don­ner des cours » dans le sens tra­di­tion­nel, le conte­nu doit être décou­pé autre­ment et pré­sen­té non seule­ment avec un « style » dif­fé­rent mais aus­si avec un autre esprit d’a­ni­ma­tion, à la fois plus com­plexe et plus proche d’une com­mu­ni­ca­tion humaine natu­relle. C’est là que le mul­ti­mé­dia peut, si le for­ma­teur prend le soin de l’in­té­grer au cours, ser­vir de base à une péda­go­gie qui exploite le poten­tiel par­ti­cu­lier de cette res­source dans un cadre défi­ni et contrô­lé par lui.

De la sorte, le mul­ti­mé­dia com­mu­ni­cant est en mesure de lever les bar­rières psy­cho­lo­giques tant du côté de l’ap­pre­nant qui devient plus auto­nome et prend en charge son pro­jet per­son­nel de for­ma­tion que du côté du for­ma­teur qui prend alors tout son rôle de ges­tion­naire de la connais­sance et de moni­teur de la pro­gres­sion des apprenants.

Certes tous les freins ne dis­pa­raissent pas comme par miracle, notam­ment au plan pra­tique, la limi­ta­tion du débit des réseaux, mais le sens de l’his­toire et de l’in­dus­trie per­met de situer à un hori­zon très proche la dis­pa­ri­tion de ce handicap.

L’apport du multimédia communicant

Le mul­ti­mé­dia se pré­sente sous deux formes :

1. un pro­duit fini, en géné­ral carac­té­ri­sé par une struc­ture interne complexe,

2. un ensemble de res­sources qui vont des médias simples (col­lec­tions d’i­mages et de sons, asso­ciés ou non) aux acti­vi­tés péda­go­giques construites.

Le for­ma­teur qui pren­dra le temps de choi­sir et d’exa­mi­ner les conte­nus des sup­ports mul­ti­mé­dias pour­ra les exploi­ter de façon très variée. Le mul­ti­mé­dia per­met d’a­ni­mer, d’illus­trer, de créer du contexte, de pré­sen­ter des cas com­plexes, de pré­sen­ter des rai­son­ne­ments ou des pro­ces­sus sous un angle original.

Même si le for­ma­teur n’est pas entiè­re­ment d’ac­cord avec le pro­gramme mul­ti­mé­dia qui lui est pro­po­sé, il béné­fi­cie de l’in­té­rêt du mul­ti­mé­dia pour four­nir un pré­texte à un tra­vail per­son­nel consé­quent et éta­blir un contexte ou un ensemble de réfé­rences qui peuvent être exploi­tés par le for­ma­teur avec des groupes entiers ain­si qu’a­vec cha­cun des apprenants.

Lorsque le mul­ti­mé­dia contient de la vidéo ou des simu­la­tions, le cours construit par le for­ma­teur se trouve enri­chi d’une matière qu’il est dif­fi­cile, voire impos­sible d’ex­ploi­ter dans un cours col­lec­tif sans tom­ber dans la bana­li­té d’un dis­cours bana­li­sé. Un mul­ti­mé­dia de qua­li­té per­met­tra à cha­cun des appre­nants d’ac­qué­rir une expé­rience pri­vée, per­son­nelle, indé­pen­dante qui peut ensuite être uti­li­sée par un for­ma­teur aver­ti pour appro­fon­dir non seule­ment la com­pré­hen­sion, mais aus­si son préa­lable, la per­cep­tion des ques­tions et pro­blèmes étudiés.

Autre­ment dit, c’est le for­ma­teur qui manie un ensemble de res­sources dont la richesse dépasse sou­vent l’in­ten­tion des auteurs du mul­ti­mé­dia grâce à sa pro­gram­ma­tion des évé­ne­ments péda­go­giques. Ceux-ci incluent l’é­change per­son­nel avec chaque appre­nant (qui peut être à la fois très stan­dard et per­son­na­li­sé) à la séance col­lec­tive de la classe élec­tro­nique, en pas­sant par des ani­ma­tions de type « simu­la­tion de rôle » (où deux ou plu­sieurs appre­nants entrent en com­mu­ni­ca­tion pour négo­cier ou résoudre un pro­blème) et toute autre forme de tra­vail en sous-groupe.

La place de l’apprenant

Dans une telle logique, la posi­tion de l’ap­pre­nant dif­fère radi­ca­le­ment à la fois de sa situa­tion « d’é­lève » dans une classe, et de celle de « l’au­to­for­mé » qui reçoit son ins­truc­tion d’une machine. Elle est même plus variée que la somme des deux. Tan­tôt, l’ap­pre­nant sera l’é­lève qui reçoit des consignes de son pro­fes­seur, tan­tôt il sera le par­te­naire de celui-ci dans un pro­ces­sus de coges­tion d’un plan de for­ma­tion individuel.

Mais il sera éga­le­ment un membre actif d’un groupe avec des rela­tions poten­tiel­le­ment com­plexes et une géo­mé­trie très variable, et ces rela­tions seront le résul­tat des tech­niques d’a­ni­ma­tion de groupe appli­quées avec une grande faci­li­té par le for­ma­teur en ligne.

Quels sont les avan­tages d’une telle démarche pour l’ap­pre­nant ? Pre­miè­re­ment, la varié­té des rela­tions sera sti­mu­lante et moti­vante. Ensuite, l’ap­pre­nant sera moins sujet à l’an­goisse du juge­ment inhé­rent à des situa­tions où il se trouve soit en com­pé­ti­tion avec tous les autres, soit seul devant le professeur-juge.

Troi­siè­me­ment, cette méthode per­met de déve­lop­per une dimen­sion sociale (tra­vail en com­mun, construc­tion de rela­tions humaines dans le groupe) qui manque tota­le­ment dans la démarche auto­for­ma­tion et se trouve sou­vent négli­gée dans la for­ma­tion « pré­sen­tielle » (en géné­ral, faute de temps de la part du for­ma­teur qui ne déve­loppe lui-même des rela­tions qu’a­vec le groupe en tant qu’en­ti­té col­lec­tive et ne peut gérer les phé­no­mènes de com­mu­ni­ca­tions laté­rales à l’in­té­rieur du groupe qui se déve­lop­pe­ront spon­ta­né­ment mais en marge du pro­gramme pédagogique).

Enfin, cette méthode per­met d’in­té­grer dans les stra­té­gies péda­go­giques les notions d’i­den­ti­té sociale et pro­fes­sion­nelle ain­si que celle de l’é­vo­lu­tion de l’i­mage de soi (dans son par­cours vers la maî­trise d’une com­pé­tence), notions rare­ment recon­nues par les for­ma­teurs mais qui sont tou­jours pré­sentes dans un par­cours péda­go­gique réus­si et en géné­ral absentes dans les cas d’échec.

Le rôle du formateur

Le for­ma­teur devient ain­si un ges­tion­naire de par­cours, un pro­gram­meur d’é­vé­ne­ments péda­go­giques (aus­si variés que néces­saires) et un ani­ma­teur, et tout cela, dans cer­tains cas, sans jamais ren­con­trer en direct ses appre­nants. L’ef­fet de varié­té devrait être aus­si sti­mu­lant pour le for­ma­teur que pour l’ap­pre­nant, bien que beau­coup résistent à toute redé­fi­ni­tion de leur rôle par crainte d’une remise en cause de leur sta­tut d’ex­pert en la matière.

La complémentarité des technologies

L’a­ni­ma­tion est donc bâtie sur la notion de la com­plé­men­ta­ri­té des res­sources et des évé­ne­ments dans un envi­ron­ne­ment où les tech­no­lo­gies sont inté­grées. La nou­velle géné­ra­tion de for­ma­teurs doit apprendre à manier une varié­té d’ou­tils, cha­cun simple d’u­ti­li­sa­tion, et en même temps assu­mer les res­pon­sa­bi­li­tés d’un ani­ma­teur et d’un ges­tion­naire d’é­vé­ne­ments et de res­sources. Voi­ci un résu­mé de sa « boîte à outils » :

  • Mul­ti­mé­dia
    Des pro­duits ou des objets com­plé­men­taires au pro­gramme de for­ma­tion à faire uti­li­ser dans un cadre défi­ni par le formateur.
  • Mes­sa­ge­rie
    Com­mu­ni­ca­tion per­son­na­li­sée avec cha­cun des apprenants.
  • Sto­ckage et trai­te­ment documentaire
    La mise à dis­po­si­tion de docu­ments exis­tants ou créés par le for­ma­teur pour les besoins du groupe.
  • Les sous-groupes
    La mise en rap­port par l’u­ti­li­sa­tion de la mes­sa­ge­rie et de la classe élec­tro­nique de cer­tains membres du groupe pour un tra­vail en com­mun. Ceci peut aller vers la consti­tu­tion de com­mu­nau­tés d’intérêt.
  • La vidéo­pho­nie et la vidéoconférence
    La tech­no­lo­gie vidéo peut être asso­ciée lors­qu’on dis­pose des équi­pe­ments néces­saires pour per­son­na­li­ser encore plus le rap­port pédagogique.
  • Les forums
    Lieux de dis­cus­sion libre­ment ouverte aux formateurs.
  • La classe électronique
    Le ras­sem­ble­ment de tout le groupe pour des séances où les objec­tifs peuvent être variés : pré­sen­ta­tion de tra­vaux, pré­sen­ta­tion ou dis­cus­sion d’un nou­veau thème, com­men­taires sur des thèmes choi­sis, méthodologie…

La figure ci-contre repré­sente le tableau de bord du for­ma­teur du sys­tème Class­Lea­der et illustre les moyens mis à la dis­po­si­tion du for­ma­teur. Un tableau de bord ana­logue est mis à la dis­po­si­tion de l’ap­pre­nant pour les fonc­tion­na­li­tés qui lui sont propres : faire des exer­cices, com­mu­ni­quer avec les autres appre­nants, prendre des notes, etc.

Le futur : la classe électronique comme « nœud » de la connaissance

Dans une cer­taine mesure, on peut dire que la « Classe élec­tro­nique » est la maté­ria­li­sa­tion de la révo­lu­tion tech­no­lo­gique et péda­go­gique qui est pro­po­sée par le sys­tème d’en­sei­gne­ment à dis­tance mul­ti­mé­dia par les réseaux. Élèves et for­ma­teur tra­vaillent cha­cun à son rythme et à sa place selon le pro­gramme défi­ni par le for­ma­teur et connu de tous. Au moment déter­mi­né, la classe élec­tro­nique les réunit et per­met de mettre en phase les connais­sances acquises par les uns et les autres depuis la der­nière rencontre.

Ensuite cha­cun repar­ti­ra avec ses objec­tifs propres pour acqué­rir un nou­veau mor­ceau de connais­sance, sous le moni­to­rat du for­ma­teur jus­qu’à un pro­chain ren­dez-vous avec le for­ma­teur ou avec d’autres élèves du groupe, éven­tuel­le­ment avec d’autres groupes.

La classe élec­tro­nique est peut-être en appa­rence la maté­ria­li­sa­tion la plus concrète de la trans­po­si­tion de la péda­go­gie tra­di­tion­nelle dans le domaine des nou­velles tech­no­lo­gies. Repla­cée dans le contexte glo­bal d’un sys­tème d’en­sei­gne­ment à dis­tance elle n’est que l’une des nom­breuses oppor­tu­ni­tés de faire avan­cer la connais­sance offerte par ce sys­tème com­plexe dont on pour­rait men­tion­ner encore bien des aspects et des avan­tages, comme la nature des rela­tions inter­per­son­nelles qui se créent entre les acteurs ou les capa­ci­tés à déve­lop­per et gérer toutes sortes de pro­jets sui­vant le même schéma.

Depuis la bana­li­sa­tion d’In­ter­net, beau­coup de sys­tèmes ont vu le jour dans le domaine de l’en­sei­gne­ment à dis­tance par les réseaux : notons Class­Di­rect (Web­ci­ty), Web­tu­tor (France Télé­com), First Class, Lotus Notes Lear­ning Space et bien d’autres. La plu­part, sinon la tota­li­té, ont été déve­lop­pés à par­tir d’une tech­no­lo­gie mais reposent sur une péda­go­gie traditionnelle.

Glos­saire

Brow­ser : inter­face ins­tal­lée sur le poste de l’u­ti­li­sa­teur et per­met­tant la pré­sen­ta­tion des don­nées et la navi­ga­tion sur le réseau Internet.

DVD : Digi­tal Video Disk, ver­sion opti­mi­sée des CD-ROM dont il a dix fois la capa­ci­té de stockage.

MPEG : algo­rithmes de com­pres­sion et décom­pres­sion de don­nées per­met­tant une réduc­tion impor­tante des volumes de don­nées à trans­mettre dans le cas d’i­mages et de sons.

Bien enten­du, Micro­soft n’est pas res­té inac­tif, car Bill Gates a bien com­pris les enjeux de l’é­du­ca­tion à dis­tance : enjeux cultu­rels, socié­taux, indus­triels et bien enten­du finan­ciers par la taille du mar­ché pré­vu pour les années qui viennent : le mar­ché mon­dial pro­gres­se­ra de 200 mil­lions de dol­lars en 1997 à 2 mil­liards de dol­lars en l’an 2000 pour dépas­ser 50 mil­liards de dol­lars en 2002.

Même s’il n’u­ti­lise que des outils stan­dard, notam­ment ceux de Micro­soft, le sys­tème que nous avons déve­lop­pé, Class­Lea­der, pré­tend tirer sa supé­rio­ri­té d’une inté­gra­tion com­plète du mul­ti­mé­dia et de la com­mu­ni­ca­tion à dis­tance par Inter­net grâce à une péda­go­gie nou­velle fon­dée sur la com­mu­ni­ca­tion entre les appre­nants et les for­ma­teurs et visant à valo­ri­ser le rôle de cha­cun d’eux.

L’a­ve­nir dira si ce choix se concré­ti­se­ra par le succès…

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