De la compétitivité des ports et aéroports français dans la logistique globale
Dans la logistique globale, les ports et aéroports français ont devant eux d’importantes opportunités à saisir du fait des grands bouleversements causés par la crise sanitaire. Aménagement, numérisation, articulation entre hubs portuaires et aéroportuaires sont autant d’axes de performance à envisager aux côtés de nos filières d’excellence pour améliorer leur compétitivité.
Alors que la valeur ajoutée du fret aérien n’a pas toujours été perçue à sa juste valeur sur les plateformes aéroportuaires françaises, nos ports de commerce ont toujours eu pour vocation première de charger et décharger de la marchandise (voir J&R n° 764 d’avril 2021 sur les ports civils et militaires en France).
Il est régulièrement rappelé que nos ports n’ont pas assez bénéficié de la forte progression du trafic de conteneurs des dix dernières années. Cette contre-performance a souvent été associée aux trop nombreux conflits sociaux qui auraient fait fuir les chargeurs. Il ne faut cependant pas oublier que ces mouvements sociaux n’ont fait que rejoindre des élans plus larges affectant une bonne part de l’économie française. En outre, croire que la puissance des syndicats portuaires ne s’exerce pas hors de nos frontières serait une erreur. Il faudrait analyser la question de leur performance sous un autre angle et se demander quels volumes de conteneurs pourraient absorber les plus grands ports français sans nuire à la fluidité de la circulation des marchandises, et mettre en avant leurs atouts mais aussi leurs axes de progression.
REPÈRES
Chaque année, Bolloré Logistics fait transiter 400 000 conteneurs et 100 000 tonnes de fret aérien dans les ports et aéroports français. Pour ses 15 000 clients en Europe, l’entreprise organise des plans de transport performants qui allient le choix d’une compagnie maritime ou aérienne à celui des ports et aéroports offrant le meilleur transit time à la marchandise. Bolloré Logistics peut ainsi apporter des réponses précises à ceux qui s’interrogent sur la compétitivité des ports et aéroports français et sur la fluidité du passage de la marchandise en leur sein.
Deux grands ports français : Le Havre et Fos
Si nous nous concentrons sur les deux plus grands ports maritimes français que sont les ports du Havre et de Fos, ils se hissent aujourd’hui respectivement aux 14e et 24e rangs européens, soit des flux cinq et dix fois moins importants que le port de Rotterdam, leader du classement. Pour autant, nos deux ports français sont des outils maritimes de premier ordre capables d’accueillir, grâce à leur tirant d’eau, la dernière génération de navires dépassant les 20 000 EVP (équivalent vingt pieds, unité de mesure définissant une longueur normalisée de 20 pieds pour les conteneurs). Leur nombre de postes à quai permet également d’opérer plus de navires, à l’ère où les compagnies maritimes souffrent de congestions dans les ports d’Europe du Nord, venant largement perturber les rotations de leurs navires.
Malheureusement, les ouvrages portuaires français n’ont pas tous été conçus, à l’époque, dans une optique d’optimisation de la desserte de l’hinterland, pourtant essentielle pour accélérer la fluidité du passage de la marchandise. À titre de comparaison, le home terminal de l’armement MSC à Anvers ou le nouveau terminal Maasvlakte 2 à Rotterdam ont dès leur conception été connectés sur le même quai à la voie ferrée et au transport par barge.
Des goulots d’étranglement
Sans remettre en cause la souplesse et la qualité de service de nos transporteurs routiers, dépendre d’une seule desserte routière peut vite se transformer en goulot d’étranglement. De surcroît, cette dépendance affecte la performance énergétique de la relivraison de conteneurs et leur acceptabilité par les populations entourant le port. Il convient de noter également que, au-delà de 400 km de distance, le rail offre un avantage compétitif certain qui va par exemple permettre à Hambourg, malgré sa position septentrionale, de desservir l’ensemble de l’Europe de l’Est. La Seine et le Rhône devraient se prêter également à un transport nettement accru par barge, mais encore trop de chargeurs se montrent réticents à accepter les rigidités de cette solution de transport, malgré son impact environnemental nettement plus favorable.
L’importance des solutions numériques performantes
En outre, la performance d’une supply chain ne se mesure pas seulement à la fluidité des flux physiques, mais aussi de plus en plus à celle des flux de données et des circuits documentaires qui l’accompagnent. Malgré les progrès remarquables accomplis ces dernières années en matière de numérisation, on ne mesure pas assez leurs bénéfices. Prenons en exemple les Cargo Community Systems (CCS) développés par la Soget au Havre et MGI à Marseille. Ils permettent de tracer les données de façon remarquable et leurs solutions ont depuis lors été déployées dans de nombreux ports français et étrangers.
L’interface reliant ces systèmes à l’administration des douanes françaises témoigne également de l’évolution considérable qu’a connue cette administration pour permettre la circulation des marchandises sans nuire au niveau de protection des consommateurs ou à la perception des droits et taxes. Notre savoir-faire mérite d’être souligné, car certains pays émergents sont actuellement bridés dans leurs échanges par l’inadaptation de leurs systèmes douaniers.
Des opportunités de performance à saisir
Cependant, des mesures additionnelles, permettant de limiter les temps d’attente à l’entrée des terminaux et d’optimiser l’évacuation des marchandises, seraient encore les bienvenues. Dans la période inédite de dérèglement des escales et des congestions associées que connaît le transport maritime, la performance des différents ports est devenue un élément clé pour décider les armateurs à « escaler » ou non.
En effet, les compagnies maritimes, pour honorer la demande forte de bookings, privilégieront les ports qui assureront le respect de la rotation de leurs navires et de leur parc de conteneurs. En travaillant sur ces chantiers dont certains sont déjà ouverts, les ports français se voient offrir une occasion historique de rattraper une partie du retard qu’ils ont laissé s’installer en dix ans. Même s’ils sont souvent décriés, ils offrent des atouts réels et, à cet égard, Bolloré Logistics peut se réjouir de faire transiter plus de 90 % des conteneurs qui lui sont confiés par des ports français.
L’aéroport de Paris CDG, ou la culture du fret
Vus depuis l’étranger, l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (CDG) et le port du Havre constituent un point unique sur la carte mondiale. Leur complémentarité et leur proximité sont un atout majeur pour la chaîne logistique française. Paris CDG est le premier aéroport européen pour le transport de fret, à égalité avec Francfort ! Ce fait d’arme méconnu est dû à deux facteurs clés : d’une part Paris CDG est le hub naturel d’Air France, qui possède une véritable culture du fret et qui, au-delà d’une flotte d’avions-cargos limitée, transporte chaque jour sur son réseau de passager des centaines de tonnes de fret. À ce titre, il est indispensable de savoir que les marchandises se transportent pour deux tiers dans les soutes des avions passagers et seulement pour un tiers à bord d’avions-cargos dédiés au transport de fret.
“L’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle et le port du Havre constituent un point unique sur la carte mondiale.”
D’autre part FedEx a établi son hub central pour la zone EMEA (Europe Middle East & Africa) à Paris CDG. Cela se traduit par 300 mouvements d’avions par semaine et 1 200 tonnes traitées par jour. Aéroports de Paris (ADP) a su investir et accompagner ce développement exponentiel du fret express lié au boom du e‑commerce. 90 % du fret aérien en France et 30 % des exportations françaises en valeur transitent par Roissy CDG. Il était donc naturel que le leader français Bolloré Logistics implante son hub aérien principal comportant 800 personnes et 35 000 mètres carrés au cœur de la zone de fret de CDG.
Des filières d’excellence
Les champions de l’export français du luxe et de la cosmétique, des industries pharmaceutiques ou aéronautiques ou du plus grand marché international de produits frais de Rungis ont, par conséquent, à leur porte des capacités d’emport et de services associés de première qualité. Quatre filières d’excellence sont donc particulièrement mises en avant à CDG. Pharmacie, les plus hauts standards de transport et de conservation au service de produits ultrasensibles ; luxe, traitement dédié et hypersécurisé pour des marchandises à haute valeur ajoutée ; produits frais et périssables, une logistique et une chaîne du froid sans faille ; e‑commerce et fret express, un potentiel de croissance inégalé. Avec des délais de dédouanement très rapide.
L’aéroport de Roissy CDG a démontré son efficacité et sa réactivité lors de la première phase de la crise Covid au printemps 2020, en se transformant en un véritable pont aérien pour acheminer le matériel de protection en toute urgence. Plus de 400 vols dédiés en quelques semaines. Ces expéditions se sont faites sur des avions-cargos, mais aussi au moyen d’avions de passagers transportant exclusivement du fret, y compris des cartons de masques sanglés sur les sièges ou rangés dans les porte-bagages des cabines !
Mais un manque d’avions-cargos
Ce beau parcours de CDG se heurte aujourd’hui aux limites d’Air France qui rencontre, comme les autres grandes compagnies mondiales, des difficultés importantes liées à l’effondrement du transport de passagers, en particulier ceux de la classe business, cruciaux pour la rentabilité d’un vol. Le problème est qu’Air France a fait le choix industriel, il y a plusieurs années, de limiter sa flotte d’avions-cargos. Cette flotte est passée de douze avions dans les années 2000 à deux à ce jour. La compagnie nationale n’a donc pas la possibilité de compenser le manque de capacité en avions de passagers par des avions-cargos.
Au même moment, Qatar Airways effectuait un choix industriel opposé, en investissant dans une flotte de plus de 30 avions-cargos. Qatar Airways a négocié avec la CEE et l’État français un accroissement de ses droits de trafic en France et voit donc sa part de marché augmenter considérablement en France. Le pavillon national français n’a pourtant pas dit son dernier mot, puisque le groupe Dubreuil (Air Caraïbes et French Bee) ou Corsair International et Air Austral se battent pour survivre à la crise et poursuivre leurs développements en particulier pour l’outre-mer.
Une offre qui se redessine
Enfin, notons les investissements récents de l’armateur français CMA CGM qui se lance dans la création d’une compagnie aérienne d’avions-cargos. Deux appareils Boeing 777 rejoindront au printemps prochain une flotte de quatre avions-cargos Airbus A330. C’est une bonne nouvelle pour la poursuite de la success story de Roissy-Charles-de-Gaulle. Au-delà de Paris CDG, il faut noter les développements intéressants et rapides des aéroports de Nice et surtout de Lyon, liés à des vols directs de compagnies du Golfe depuis la province française. Et n’oublions pas le choix courageux de l’aéroport de Vatry situé en Champagne-Ardenne, à 150 km de Paris.
Le pari de cette plateforme largement orientée vers l’activité cargo pourrait se révéler gagnant avec les limites de la croissance de CDG et Orly. Le projet de quatrième terminal à Roissy a été repoussé et Paris va connaître ses limites en particulier pour l’activité cargo. Il ne fait aucun doute que les récentes commandes d’avions-cargos vont redessiner l’offre pour les différents aéroports européens. Les aéroports français disposent ainsi de l’occasion de compenser le déclin du trafic de passagers.