logistique dans les ports et aéroports

De la compétitivité des ports et aéroports français dans la logistique globale

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Henri LE GOUIS

Dans la logis­tique glo­bale, les ports et aéro­ports fran­çais ont devant eux d’importantes oppor­tu­ni­tés à sai­sir du fait des grands bou­le­ver­se­ments cau­sés par la crise sani­taire. Amé­na­ge­ment, numé­ri­sa­tion, arti­cu­la­tion entre hubs por­tuaires et aéro­por­tuaires sont autant d’axes de per­for­mance à envi­sa­ger aux côtés de nos filières d’excellence pour amé­lio­rer leur compétitivité.

Alors que la valeur ajou­tée du fret aérien n’a pas tou­jours été per­çue à sa juste valeur sur les pla­te­formes aéro­por­tuaires fran­çaises, nos ports de com­merce ont tou­jours eu pour voca­tion pre­mière de char­ger et déchar­ger de la mar­chan­dise (voir J&R n° 764 d’avril 2021 sur les ports civils et mili­taires en France).

Il est régu­liè­re­ment rap­pe­lé que nos ports n’ont pas assez béné­fi­cié de la forte pro­gres­sion du tra­fic de conte­neurs des dix der­nières années. Cette contre-per­for­mance a sou­vent été asso­ciée aux trop nom­breux conflits sociaux qui auraient fait fuir les char­geurs. Il ne faut cepen­dant pas oublier que ces mou­ve­ments sociaux n’ont fait que rejoindre des élans plus larges affec­tant une bonne part de l’économie fran­çaise. En outre, croire que la puis­sance des syn­di­cats por­tuaires ne s’exerce pas hors de nos fron­tières serait une erreur. Il fau­drait ana­ly­ser la ques­tion de leur per­for­mance sous un autre angle et se deman­der quels volumes de conte­neurs pour­raient absor­ber les plus grands ports fran­çais sans nuire à la flui­di­té de la cir­cu­la­tion des mar­chan­dises, et mettre en avant leurs atouts mais aus­si leurs axes de progression.


REPÈRES

Chaque année, Bol­lo­ré Logis­tics fait tran­si­ter 400 000 conte­neurs et 100 000 tonnes de fret aérien dans les ports et aéro­ports fran­çais. Pour ses 15 000 clients en Europe, l’entreprise orga­nise des plans de trans­port per­for­mants qui allient le choix d’une com­pa­gnie mari­time ou aérienne à celui des ports et aéro­ports offrant le meilleur tran­sit time à la mar­chan­dise. Bol­lo­ré Logis­tics peut ain­si appor­ter des réponses pré­cises à ceux qui s’interrogent sur la com­pé­ti­ti­vi­té des ports et aéro­ports fran­çais et sur la flui­di­té du pas­sage de la mar­chan­dise en leur sein.


Deux grands ports français : Le Havre et Fos

Si nous nous concen­trons sur les deux plus grands ports mari­times fran­çais que sont les ports du Havre et de Fos, ils se hissent aujourd’hui res­pec­ti­ve­ment aux 14e et 24e rangs euro­péens, soit des flux cinq et dix fois moins impor­tants que le port de Rot­ter­dam, lea­der du clas­se­ment. Pour autant, nos deux ports fran­çais sont des outils mari­times de pre­mier ordre capables d’accueillir, grâce à leur tirant d’eau, la der­nière géné­ra­tion de navires dépas­sant les 20 000 EVP (équi­valent vingt pieds, uni­té de mesure défi­nis­sant une lon­gueur nor­ma­li­sée de 20 pieds pour les conte­neurs). Leur nombre de postes à quai per­met éga­le­ment d’opérer plus de navires, à l’ère où les com­pa­gnies mari­times souffrent de conges­tions dans les ports d’Europe du Nord, venant lar­ge­ment per­tur­ber les rota­tions de leurs navires.

Mal­heu­reu­se­ment, les ouvrages por­tuaires fran­çais n’ont pas tous été conçus, à l’époque, dans une optique d’optimisation de la des­serte de l’hin­ter­land, pour­tant essen­tielle pour accé­lé­rer la flui­di­té du pas­sage de la mar­chan­dise. À titre de com­pa­rai­son, le home ter­mi­nal de l’armement MSC à Anvers ou le nou­veau ter­mi­nal Maasv­lakte 2 à Rot­ter­dam ont dès leur concep­tion été connec­tés sur le même quai à la voie fer­rée et au trans­port par barge.

Des goulots d’étranglement

Sans remettre en cause la sou­plesse et la qua­li­té de ser­vice de nos trans­por­teurs rou­tiers, dépendre d’une seule des­serte rou­tière peut vite se trans­for­mer en gou­lot d’étranglement. De sur­croît, cette dépen­dance affecte la per­for­mance éner­gé­tique de la reli­vrai­son de conte­neurs et leur accep­ta­bi­li­té par les popu­la­tions entou­rant le port. Il convient de noter éga­le­ment que, au-delà de 400 km de dis­tance, le rail offre un avan­tage com­pé­ti­tif cer­tain qui va par exemple per­mettre à Ham­bourg, mal­gré sa posi­tion sep­ten­trio­nale, de des­ser­vir l’ensemble de l’Europe de l’Est. La Seine et le Rhône devraient se prê­ter éga­le­ment à un trans­port net­te­ment accru par barge, mais encore trop de char­geurs se montrent réti­cents à accep­ter les rigi­di­tés de cette solu­tion de trans­port, mal­gré son impact envi­ron­ne­men­tal net­te­ment plus favorable.

L’importance des solutions numériques performantes

En outre, la per­for­mance d’une sup­ply chain ne se mesure pas seule­ment à la flui­di­té des flux phy­siques, mais aus­si de plus en plus à celle des flux de don­nées et des cir­cuits docu­men­taires qui l’accompagnent. Mal­gré les pro­grès remar­quables accom­plis ces der­nières années en matière de numé­ri­sa­tion, on ne mesure pas assez leurs béné­fices. Pre­nons en exemple les Car­go Com­mu­ni­ty Sys­tems (CCS) déve­lop­pés par la Soget au Havre et MGI à Mar­seille. Ils per­mettent de tra­cer les don­nées de façon remar­quable et leurs solu­tions ont depuis lors été déployées dans de nom­breux ports fran­çais et étrangers.

L’interface reliant ces sys­tèmes à l’administration des douanes fran­çaises témoigne éga­le­ment de l’évolution consi­dé­rable qu’a connue cette admi­nis­tra­tion pour per­mettre la cir­cu­la­tion des mar­chan­dises sans nuire au niveau de pro­tec­tion des consom­ma­teurs ou à la per­cep­tion des droits et taxes. Notre savoir-faire mérite d’être sou­li­gné, car cer­tains pays émer­gents sont actuel­le­ment bri­dés dans leurs échanges par l’inadaptation de leurs sys­tèmes douaniers.

Des opportunités de performance à saisir

Cepen­dant, des mesures addi­tion­nelles, per­met­tant de limi­ter les temps d’attente à l’entrée des ter­mi­naux et d’op­ti­mi­ser l’évacuation des mar­chan­dises, seraient encore les bien­ve­nues. Dans la période inédite de dérè­gle­ment des escales et des conges­tions asso­ciées que connaît le trans­port mari­time, la per­for­mance des dif­fé­rents ports est deve­nue un élé­ment clé pour déci­der les arma­teurs à « esca­ler » ou non.

En effet, les com­pa­gnies mari­times, pour hono­rer la demande forte de boo­kings, pri­vi­lé­gie­ront les ports qui assu­re­ront le res­pect de la rota­tion de leurs navires et de leur parc de conte­neurs. En tra­vaillant sur ces chan­tiers dont cer­tains sont déjà ouverts, les ports fran­çais se voient offrir une occa­sion his­to­rique de rat­tra­per une par­tie du retard qu’ils ont lais­sé s’installer en dix ans. Même s’ils sont sou­vent décriés, ils offrent des atouts réels et, à cet égard, Bol­lo­ré Logis­tics peut se réjouir de faire tran­si­ter plus de 90 % des conte­neurs qui lui sont confiés par des ports français.

L’aéroport de Paris CDG, ou la culture du fret

Vus depuis l’étranger, l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (CDG) et le port du Havre consti­tuent un point unique sur la carte mon­diale. Leur com­plé­men­ta­ri­té et leur proxi­mi­té sont un atout majeur pour la chaîne logis­tique fran­çaise. Paris CDG est le pre­mier aéro­port euro­péen pour le trans­port de fret, à éga­li­té avec Franc­fort ! Ce fait d’arme mécon­nu est dû à deux fac­teurs clés : d’une part Paris CDG est le hub natu­rel d’Air France, qui pos­sède une véri­table culture du fret et qui, au-delà d’une flotte d’avions-cargos limi­tée, trans­porte chaque jour sur son réseau de pas­sa­ger des cen­taines de tonnes de fret. À ce titre, il est indis­pen­sable de savoir que les mar­chan­dises se trans­portent pour deux tiers dans les soutes des avions pas­sa­gers et seule­ment pour un tiers à bord d’avions-cargos dédiés au trans­port de fret.

“L’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle et le port du Havre constituent un point unique sur la carte mondiale.”

D’autre part FedEx a éta­bli son hub cen­tral pour la zone EMEA (Europe Middle East & Afri­ca) à Paris CDG. Cela se tra­duit par 300 mou­ve­ments d’avions par semaine et 1 200 tonnes trai­tées par jour. Aéro­ports de Paris (ADP) a su inves­tir et accom­pa­gner ce déve­lop­pe­ment expo­nen­tiel du fret express lié au boom du e‑commerce. 90 % du fret aérien en France et 30 % des expor­ta­tions fran­çaises en valeur tran­sitent par Rois­sy CDG. Il était donc natu­rel que le lea­der fran­çais Bol­lo­ré Logis­tics implante son hub aérien prin­ci­pal com­por­tant 800 per­sonnes et 35 000 mètres car­rés au cœur de la zone de fret de CDG. 

Des filières d’excellence

Les cham­pions de l’export fran­çais du luxe et de la cos­mé­tique, des indus­tries phar­ma­ceu­tiques ou aéro­nau­tiques ou du plus grand mar­ché inter­na­tio­nal de pro­duits frais de Run­gis ont, par consé­quent, à leur porte des capa­ci­tés d’emport et de ser­vices asso­ciés de pre­mière qua­li­té. Quatre filières d’excellence sont donc par­ti­cu­liè­re­ment mises en avant à CDG. Phar­ma­cie, les plus hauts stan­dards de trans­port et de conser­va­tion au ser­vice de pro­duits ultra­sen­sibles ; luxe, trai­te­ment dédié et hyper­sé­cu­ri­sé pour des mar­chan­dises à haute valeur ajou­tée ; pro­duits frais et péris­sables, une logis­tique et une chaîne du froid sans faille ; e‑commerce et fret express, un poten­tiel de crois­sance inéga­lé. Avec des délais de dédoua­ne­ment très rapide. 

L’aéroport de Rois­sy CDG a démon­tré son effi­ca­ci­té et sa réac­ti­vi­té lors de la pre­mière phase de la crise Covid au prin­temps 2020, en se trans­for­mant en un véri­table pont aérien pour ache­mi­ner le maté­riel de pro­tec­tion en toute urgence. Plus de 400 vols dédiés en quelques semaines. Ces expé­di­tions se sont faites sur des avions-car­gos, mais aus­si au moyen d’avions de pas­sa­gers trans­por­tant exclu­si­ve­ment du fret, y com­pris des car­tons de masques san­glés sur les sièges ou ran­gés dans les porte-bagages des cabines ! 

Mais un manque d’avions-cargos

Ce beau par­cours de CDG se heurte aujourd’hui aux limites d’Air France qui ren­contre, comme les autres grandes com­pa­gnies mon­diales, des dif­fi­cul­tés impor­tantes liées à l’effondrement du trans­port de pas­sa­gers, en par­ti­cu­lier ceux de la classe busi­ness, cru­ciaux pour la ren­ta­bi­li­té d’un vol. Le pro­blème est qu’Air France a fait le choix indus­triel, il y a plu­sieurs années, de limi­ter sa flotte d’avions-cargos. Cette flotte est pas­sée de douze avions dans les années 2000 à deux à ce jour. La com­pa­gnie natio­nale n’a donc pas la pos­si­bi­li­té de com­pen­ser le manque de capa­ci­té en avions de pas­sa­gers par des avions-cargos. 

Au même moment, Qatar Air­ways effec­tuait un choix indus­triel oppo­sé, en inves­tis­sant dans une flotte de plus de 30 avions-car­gos. Qatar Air­ways a négo­cié avec la CEE et l’État fran­çais un accrois­se­ment de ses droits de tra­fic en France et voit donc sa part de mar­ché aug­men­ter consi­dé­ra­ble­ment en France. Le pavillon natio­nal fran­çais n’a pour­tant pas dit son der­nier mot, puisque le groupe Dubreuil (Air Caraïbes et French Bee) ou Cor­sair Inter­na­tio­nal et Air Aus­tral se battent pour sur­vivre à la crise et pour­suivre leurs déve­lop­pe­ments en par­ti­cu­lier pour l’outre-mer.

Une offre qui se redessine

Enfin, notons les inves­tis­se­ments récents de l’armateur fran­çais CMA CGM qui se lance dans la créa­tion d’une com­pa­gnie aérienne d’avions-cargos. Deux appa­reils Boeing 777 rejoin­dront au prin­temps pro­chain une flotte de quatre avions-car­gos Air­bus A330. C’est une bonne nou­velle pour la pour­suite de la suc­cess sto­ry de Rois­sy-Charles-de-Gaulle. Au-delà de Paris CDG, il faut noter les déve­lop­pe­ments inté­res­sants et rapides des aéro­ports de Nice et sur­tout de Lyon, liés à des vols directs de com­pa­gnies du Golfe depuis la pro­vince fran­çaise. Et n’oublions pas le choix cou­ra­geux de l’aéroport de Vatry situé en Cham­pagne-Ardenne, à 150 km de Paris. 

Le pari de cette pla­te­forme lar­ge­ment orien­tée vers l’activité car­go pour­rait se révé­ler gagnant avec les limites de la crois­sance de CDG et Orly. Le pro­jet de qua­trième ter­mi­nal à Rois­sy a été repous­sé et Paris va connaître ses limites en par­ti­cu­lier pour l’activité car­go. Il ne fait aucun doute que les récentes com­mandes d’avions-cargos vont redes­si­ner l’offre pour les dif­fé­rents aéro­ports euro­péens. Les aéro­ports fran­çais dis­posent ain­si de l’occasion de com­pen­ser le déclin du tra­fic de passagers. 

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