Diffilculté d'utiliser le GPS en certains milieux

De la défense au grand public, localiser sans GPS

Dossier : TrajectoiresMagazine N°698 Octobre 2014
Par David VISSIÈRE (X99)

La loca­li­sa­tion par GPS (Glo­bal Posi­tio­ning Sys­tem) repose sur la récep­tion de signaux radio envoyés par des satel­lites, ce qui néces­site d’être en visi­bi­li­té directe.

Cer­taines zones géo­gra­phiques peuvent être mal des­ser­vies. De plus, il est facile à des esprits mal inten­tion­nés d’interdire la récep­tion (brouillage), et cela en uti­li­sant des brouilleurs à quelques dizaines d’euros, voire d’en faus­ser déli­bé­ré­ment les résul­tats (leur­rage) avec des sys­tèmes à une cen­taine d’euros.

PRENDRE DU PLAISIR

« Pour un jeune ingénieur sorti d’une grande école, estime David Vissière, mettre l’intérêt technique et le plaisir au centre du travail a du sens, en exploitant la capacité à travailler vite et bien.
Pour l’entreprise, il est du reste préférable d’employer des ingénieurs sortis des meilleures écoles françaises. Ils travaillent vite, ils s’amusent et ont à cœur d’aller au fond des problématiques ; c’est un investissement au final plus rentable que de prendre des gens moins bons et moins investis. »

Le GPS n’est donc pas uti­li­sable lorsque se posent des pro­blèmes de sécurité.

Pour toutes les appli­ca­tions pro­fes­sion­nelles où la dis­po­ni­bi­li­té et la fia­bi­li­té sont impor­tantes, d’autres sys­tèmes que le GPS sont utilisés.

Pour les appli­ca­tions mili­taires, par exemple, on recourt à un sys­tème de navi­ga­tion beau­coup plus sûr : la navi­ga­tion iner­tielle de haute pré­ci­sion. Elle néces­site un maté­riel lourd et coû­teux (gyro­scopes, accé­lé­ro­mètres de très haute pré­ci­sion), dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec des appli­ca­tions légères et a for­tio­ri avec des appli­ca­tions grand public.

Exploiter le champ magnétique

Pour obte­nir un sys­tème peu coû­teux, il faut rem­pla­cer les gyro­mètres et les accé­lé­ro­mètres très haute per­for­mance de la navi­ga­tion iner­tielle clas­sique par de petits cap­teurs en sili­cium que l’on retrouve dans nos télé­phones por­tables, qui mesurent quelques mil­li­mètres de côté, pèsent une dizaine de grammes, consomment quelques microam­pères et coûtent quelques cen­times d’euros. La per­for­mance de ces cap­teurs est un mil­liard de fois plus faible que celle des cap­teurs de haute pré­ci­sion, mais ils coûtent un mil­lion de fois moins cher.

L’innovation consiste à pal­lier leurs insuf­fi­sances en exploi­tant les varia­tions locales du champ magné­tique modé­li­sées au tra­vers des équa­tions de Max­well de l’électromagnétisme, qui per­mettent de déter­mi­ner la vitesse en 3D du capteur.

Mélodie en sous-sol

La réa­li­sa­tion des essais, des­ti­nés à véri­fier si cette idée était valable, a d’abord consis­té en un dépla­ce­ment sur un axe, dans un cadre de labo­ra­toire, avec trai­te­ment de l’ensemble des infor­ma­tions a pos­te­rio­ri.

“ Moins d’un centimètre d’erreur sur un déplacement d’un mètre ”

« Quelques nuits blanches plus tard, se sou­vient David Vis­sière, nous avons réus­si à créer un pro­to­type que nous avons tes­té dans les cou­loirs du sous-sol du minis­tère de la Défense à Ver­non. Nous obte­nions moins d’un cen­ti­mètre d’erreur sur un dépla­ce­ment d’un mètre. »

De Paris à Limoges

« Nous avons ensuite essayé des appli­ca­tions des­ti­nées à l’automobile. Notre pre­mier démons­tra­teur de loca­li­sa­tion de véhi­cule sans GPS mesure quelques cen­ti­mètres et son auto­no­mie est de trois mois envi­ron. Nous l’avons tes­té en paral­lèle d’un GPS. Nous l’installons à bord d’une voi­ture, nous fai­sons un cir­cuit de réfé­rence et nous ana­ly­sons les résul­tats en com­pa­rant le tra­cé indi­qué par notre sys­tème et celui indi­qué par le GPS.

Actuel­le­ment, le sys­tème per­met, sur une dis­tance Paris-Limoges, de retrou­ver la place de par­king d’où nous sommes par­tis en connais­sant seule­ment le point de départ. »

Les premiers pas

La socié­té Sys­nav est créée à la fin de l’année 2008, et le pre­mier contrat date de novembre 2008.

DES APPLICATIONS MÉDICALES

En collaboration avec l’Institut de myologie, et notamment le laboratoire des essais cliniques de généthon basé à La Pitié-Salpêtrière, la société Sysnav met aujourd’hui au point des instruments de mesure précise de l’activité pour des patients atteints de maladies neuromusculaires conduisant progressivement à une perte de l’usage des membres inférieurs puis supérieurs.
Ces systèmes permettent d’évaluer, dans le cadre d’un suivi à domicile du patient, l’efficacité d’un traitement nouvellement développé ou plus ancien.
Sysnav travaille également sur le développement d’un équipement pour la chirurgie assistée ; elle développe, en partenariat avec un acteur majeur du domaine en Europe, un système d’évaluation en consultation et de correction en préopératoire des défauts ligamentaires.

Il s’agit d’une petite pres­ta­tion, d’un mon­tant de 5 000 euros. Durant sa pre­mière année d’exercice, la socié­té reçoit un sou­tien plus impor­tant et décroche un cer­tain nombre de contrats avec un chiffre d’affaires de 149 k€.

« Il nous a fal­lu pra­ti­que­ment six mois pour y par­ve­nir, com­mente David Vis­sière, et je crois que c’est un délai incom­pres­sible. Même lorsque les gens sont convain­cus de l’intérêt du pro­jet, il faut du temps pour obte­nir, concrè­te­ment, une signa­ture auprès de nos par­te­naires qui étaient presque tous de grands comptes.

« Deux ans plus tard, Sys­nav comp­tait sept sala­riés à temps plein, dont six doc­teurs ingé­nieurs. Aujourd’hui, elle emploie dix-sept col­la­bo­ra­teurs, dont huit polytechniciens.

« Sur les cinq pre­mières années, il a fal­lu inves­tir plus de 5 mil­lions d’euros en pro­jets R&D. Envi­ron 30 % de cette somme a été finan­cée par les appels à pro­jets rem­por­tés, et le reste par des contrats. »

Un modèle mixte

“ Pour l’essentiel, nous avons dû nous débrouiller seuls ”

La socié­té a fait le choix d’un modèle éco­no­mique mixte, alliant la R&D pour son propre compte et des études pour des clients, ce qui dis­pense de recou­rir à des finan­ce­ments exté­rieurs et de prendre le risque d’une crois­sance mal maîtrisée.

Elle béné­fi­cie des nom­breuses aides of fertes à la R&D en France, notam­ment à tra­vers les appels à pro­jets ANR (Agence natio­nale de la recherche) et FUI (Fonds unique inter­mi­nis­té­riel) et en Europe (7e PCRD, fonds FEDER). Ces aides couvrent 30 % à 40 % des recherches.

Le parcours du combattant

« Nous avons été sur­pris lors du mon­tage de la socié­té, constate David Vis­sière, de trou­ver rela­ti­ve­ment peu d’appui, au quo­ti­dien, auprès des struc­tures d’aide à la créa­tion d’entreprise.

« D’une façon géné­rale, nous avons eu beau­coup de mal à trou­ver des gens en mesure de nous aider sur les aspects entre­pre­neu­riaux et com­mer­ciaux. Pour l’essentiel, nous avons dû nous débrouiller seuls, alors que nous étions com­plè­te­ment novices dans ce domaine. Mal­gré l’existence de nom­breuses struc­tures d’aide à la créa­tion d’entreprise, on a le sen­ti­ment qu’il n’existe pas vrai­ment de che­min tra­cé, pour les entre­pre­neurs por­teurs d’une inno­va­tion avant tout technique.

« Nous avons, en revanche, béné­fi­cié d’un sou­tien impor­tant pour les aspects liés à l’installation de l’entreprise et à cer­tains de ses inves­tis­se­ments initiaux. »

Les tech­no­lo­gies de loca­li­sa­tion actuelles uti­lisent des signaux exté­rieurs (GPS ou GSM), limi­tées par l’absence de signal en inté­rieur‚ les erreurs en zone urbaine ou l’indisponibilité du signal.

Les enjeux nouveaux

David Vissière et Pierre-Jean Bristeau, fondateurs de Sysnav, au CeBit à Hanovre
David Vis­sière et Pierre-Jean Bris­teau, fon­da­teurs de Sys­nav, pré­sentent en mars 2010 au CeBit à Hanovre à des cen­taines de visi­teurs enthou­siastes l’ARdrone de Parrot.

Presque six ans après la créa­tion, quels sont les enjeux ?

Les acti­vi­tés de Sys­nav sont orien­tées autour de trois pôles : une acti­vi­té de re cherche appli­quée aux sys­tèmes de navi­ga­tion qui per­met de pour­suivre le déve­lop­pe­ment de notre tech­no­lo­gie, cœur de nos sys­tèmes, et de pré­pa­rer les nou­veaux équi­pe­ments avec nos par­te­naires publics ou pri­vés, une acti­vi­té au pro­fit des gou­ver­ne­ments, notam­ment dans les domaines de la sécu­ri­té et la défense autour de la loca­li­sa­tion des véhi­cules et des pié­tons, et enfin une acti­vi­té de four­ni­tures d’équipements et de solu­tions pour des mar­chés pro­fes­sion­nels à forte valeur ajou­tée (véhi­cules auto­nomes AGV, fer­ro­viaire, minier, por­tuaire, trans­port de valeur, etc.).

« Dans le domaine des appli­ca­tions pro­fes­sion­nelles, et c’est d’autant plus vrai pour les appli­ca­tions mili­taires, l’avantage tech­nique est loin d’être seul suffisant.

DES APPLICATIONS AU PROFIT DES GOUVERNEMENTS

La capacité de localiser précisément un piéton ou un véhicule en environnement GPS denied est un enjeu majeur pour la sécurité des États, que ce soit pour des applications nécessitant de localiser ses propres forces, le Blue Force Tracking ou des forces ennemies, le Red Force Tracking.
Grâce à une microbalise autonome embarquée utilisant le cœur magnéto- inertiel de Sysnav, il est possible de suivre un véhicule pendant plusieurs mois quels que soient les moyens de brouillage ou de leurrage qu’il met en œuvre. Si un tel système se destine prioritairement au recueil de renseignement sur des cibles prioritaires, il trouve une application évidente dans la localisation des véhicules militaires qui jusqu’ici ne pouvaient pas pour des questions de coût bénéficier d’une navigation fiable et sûre même en cas de perte de GPS.

Dans chaque cas, nous nous trou­vons d’une part face à des inter­lo­cu­teurs « spon­sors » de Sys­nav et de la tech­no­lo­gie qui plé­bis­citent en interne nos sys­tèmes, et d’autre part face à des réti­cences : pour­quoi inclure un pro­duit nou­veau, moins mature, alors que je suis aujourd’hui capable de pro­duire et de ser­vir mon client avec peu de risques très bien maîtrisés ?

« Il faut une pres­sion impor­tante du client final ou de la concur­rence pour que les bar­rières se lèvent, mais il faut aus­si peu à peu acqué­rir d’autres réfé­rences au plan international.

« Sur le plan indus­triel, nous tra­vaillons sur la maî­trise de la chaîne de fabri­ca­tion de nos équi­pe­ments. Nous fai­sons por­ter nos efforts sur l’industrialisation, la ges­tion des four­nis­seurs, les appro­vi­sion­ne­ments, la qua­li­fi­ca­tion et les tests. Comme la plu­part des acteurs aujourd’hui, nous confions la pro­duc­tion des cartes élec­tro­niques et des boî­tiers à des sous-trai­tants, basés en France, pour nos sys­tèmes sur des mar­chés de valeur.

Notre tra­vail consiste à mettre en place avec eux les élé­ments per­met­tant de garan­tir la confor­mi­té des sys­tèmes que nous tes­tons ensuite unitairement.

« Ma fier­té aujourd’hui ?
« Je serai fier le jour où j’aurai été capable d’avoir contri­bué à construire une entre­prise indus­trielle pérenne, qui puisse conti­nuer sans moi. »

L’art de convaincre

D’après le compte ren­du d’une séance de l’École de Paris du mana­ge­ment (2010) réa­li­sé par Éli­sa­beth Bour­gui­nat, actua­li­sé par un échange avec l’auteur

David Vissière, est-ce à l’occasion d’un « raid de l’extrême » que vous avez acquis le sens de la persévérance ? 

En entrant à l’École, je me suis ins­crit à la sec­tion « com­man­do », réser­vée aux volon­taires. Un an plus tard, la com­mande pro­mo­tion m’a pro­po­sé de mon­ter une équipe pour par­ti­ci­per à un raid de mille kilo­mètres au Viet­nam. Les rela­tions que j’ai tis­sées avec les membres de ce groupe res­tent par­mi les plus solides et les plus impor­tantes aujourd’hui.

Saviez-vous que la partie technique ne représente que 20 % de ce dont on a besoin pour créer une entreprise de technologie ? 

Si vous tenez ce dis­cours à quelqu’un qui sort d’un labo­ra­toire et pense tenir l’invention du siècle, il va tom­ber des nues. Peut-être les acteurs de l’aide à la créa­tion d’entreprise n’arrivent-ils pas à expli­quer les choses de façon suf­fi­sam­ment concrète ?

Pourquoi n’avez-vous pas fait appel au démarrage à des investisseurs de type business angels ? 

Nous avons rapi­de­ment eu le sen­ti­ment que la stra­té­gie des inves­tis­seurs en inves­tis­se­ment ear­ly-stage consis­tait à équi­li­brer leurs risques sur dif­fé­rents pro­jets sus­cep­tibles d’aboutir. Cela au détri­ment d’une ana­lyse en pro­fon­deur des acquis tech­niques de chaque pro­jet et de la com­pé­tence de l’équipe. Ils pro­posent une valo­ri­sa­tion basse qui repose davan­tage sur l’avancement du pro­jet par rap­port au mar­ché visé que sur les pers­pec­tives réelles de l’entreprise.

Ils sont de plus sou­cieux d’une sor­tie rapide (cinq à sept ans au maxi­mum), ce qui ne cadrait pas avec notre ambi­tion de créer une entre­prise indus­trielle fon­dée sur une tech­no­lo­gie de rup­ture, qui avait besoin de temps pour être déve­lop­pée. En France, je n’ai guère vu d’acteurs capables de nous dire : « Appor­tez-nous la tech­nique, je four­nis les fonds et je vais orga­ni­ser le développement. »

Continuez-vous à vous charger vous-même du contact avec les clients ? 

Quand nous met­tons en place des par­te­na­riats de R&D avec des grands groupes, nous avons affaire à des ingé­nieurs de haut niveau, et les chefs de pro­jet tech­nique expé­ri­men­tés sont sans doute les meilleurs inter­lo­cu­teurs pos­sibles. Quand nous ren­con­trons des méde­cins-cher­cheurs qui demandent des sys­tèmes de mesure très pré­cise du mou­ve­ment pour des malades, c’est un peu dif­fé­rent, mais il s’agit de scien­ti­fiques et nous dis­cu­tons très bien ensemble.

En ce qui concerne les équi­pe­ments ou les solu­tions à des­ti­na­tion des mar­chés pro­fes­sion­nels, nous fonc­tion­nons beau­coup sur un mode de long terme avec des consul­tants à temps par­ta­gé qui nous font béné­fi­cier de leur expé­rience et de leur réseau. Lorsque nous tra­vaillons avec les gou­ver­ne­ments, c’est en revanche en direct ou via des dis­tri­bu­teurs à l’étranger. Nous avons recru­té récem­ment une per­sonne au mar­ke­ting pour assu­rer le lien entre notre force com­mer­ciale exter­na­li­sée et le sui­vi en interne du déve­lop­pe­ment des nou­veaux produits.

Avez-vous créé une forme d’intéressement pour vos collaborateurs ? 

Les per­sonnes qui étaient pré­sentes dès le début sont deve­nues des asso­ciés. La ques­tion se pose pour ceux qui arrivent en cours de route. Au début, la ques­tion ne se pose pas vrai­ment : l’équipe est jeune, le pro­jet est exci­tant, on pro­fite d’une cer­taine liber­té que l’on ne trouve pas dans les grands groupes, et on a un impact per­son­nel fort sur l’avancement du projet.

Il faut mal­gré tout pen­ser aus­si à long terme à l’implication per­son­nelle et à l’intéressement finan­cier. Quand on devient trop nom­breux, acqué­rir une part du capi­tal n’est pas for­cé­ment le plus per­ti­nent, mais nous la pri­vi­lé­gions néan­moins. À court terme, nous fonc­tion­nons en par­ta­geant une part sub­stan­tielle des résul­tats sous forme de prime de fin d’année lorsque c’est pertinent.

Avez-vous des concurrents ?

Les spé­cia­listes tra­di­tion­nels dis­posent tous de sys­tèmes de loca­li­sa­tion en exté­rieur sans GPS qui fonc­tionnent par­fai­te­ment. Pour la navi­ga­tion uti­li­sant des cap­teurs à bas coût, en revanche, il est impos­sible de recou­rir aux méthodes de la navi­ga­tion iner­tielle haute per­for­mance qu’ils uti­lisent. Il faut trou­ver un che­min qui per­mette, à par­tir de cap­teurs à bas coût, de remon­ter vers le cal­cul de la vitesse.

Com­bien de che­mins existe-t-il ? Nous en avons trou­vé un, et je ne suis pas sûr qu’il y en ait beau­coup d’autres. Pour chaque mar­ché, on trouve néan­moins évi­dem­ment des solu­tions qui répondent plus ou moins par­tiel­le­ment au besoin de navigation.

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