De la difficulté de passer de l’emploi à la situation de chômeur indemnisé

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998Par : Témoignage anonyme,

J’ai 40 ans. 1986, mon der­nier bou­lot sous contrat… à durée déter­mi­née, c’é­tait gar­dien d’im­meuble. Fin de contrat, chô­mage, et ASSEDIC. Fin de droits. Plus rien. Si ! Quelques petits bou­lots pour sur­vivre mais pas de contrat. 1989, je me suis ins­crit au RMI que Rocard venait de faire voter. Pen­dant huit ans. Voi­là. Un petit démé­na­ge­ment à gauche, un coup de pin­ceau à droite, des clopinettes.

Local ANPEÀ côté de cela, j’é­cri­vais, pour le plai­sir, comme ça. Des gens m’ont dit que ce n’é­tait pas mal, que je devais ten­ter ma chance chez un édi­teur. ça n’a pas mar­ché. En décembre 1996, un ami me parle d’un poste d’a­ni­ma­teur dans un ate­lier d’é­cri­ture dans un col­lège d’en­sei­gne­ment tech­nique. Je pos­tule. Je suis rete­nu. Pour six mois. De jan­vier jus­qu’à juin. Pas de contrat. Paie­ment en hono­raires. 60 000 F payés en quatre fois.

Je dépends donc du régime des AGESSA. Je pré­viens la CAF que j’ai trou­vé un emploi. Mon RMI s’in­ter­rompt. L’aide au loge­ment aus­si. Non titu­laire d’un contrat de tra­vail, je n’au­rai pas droit aux ASSEDIC. Ce qu’elles me signi­fient fin juin 1997, après que je me suis ins­crit à l’ANPE, mon tra­vail ter­mi­né. Muni de cette réponse, je vais à la per­ma­nence du Centre com­mu­nal d’ac­tion sociale. Je ne suis pas trop anxieux, je dois tou­cher mon der­nier paie­ment en juillet 1997. J’ex­pose ma situa­tion. Réponse : « Vous devez attendre d’être trois mois sans emploi pour refaire une demande de RMI. Reve­nez en octobre. »

Octobre : me revoi­là ! Net­te­ment plus anxieux, l’argent file. Fac­tures EDF-GDF, loyer (2 300 F), télé­phone, cour­rier, enve­loppes et timbres pour cher­cher un emploi, bien­tôt le décou­vert ban­caire, puis les dettes chez les commerçants.

La per­ma­nence pour l’ac­cueil du public a lieu tous les mar­dis de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 17 h. Une feuille col­lée sur la porte d’en­trée m’in­vite à y ins­crire mon nom. Il y en a déjà soixante. Une seule fonc­tion­naire au gui­chet. À 12 h 30, elle se lève pour aller déjeu­ner. Pro­tes­ta­tions de ceux qui attendent. « J’ai pris 22 per­sonnes au lieu de 20. Nor­ma­le­ment, j’au­rais dû m’ar­rê­ter à midi. » « Je suis le n° 61, madame. » » Reve­nez mar­di pro­chain. Ou allez direc­te­ment au Centre, tour Pleyel à Bobi­gny. » Ce que je fais tôt le len­de­main matin.

Un chômeur Pour le RMI, 50 per­sonnes. J’ai le n° 116, il est 8 h 55. Huit gui­chets, un seul fonc­tion­naire. » N° 78 ! » Soit, 38 per­sonnes avant moi. 9 h 15, une deuxième employée s’ins­talle. N° 80, 81, 82… À 9 h 35 : n° 93. Une troi­sième employée prend place. N° 94, 95…, pas de réponse. Ils n’ont pas atten­du. 106, 107… sou­dain, une voix au micro annonce : » Nous avons une panne infor­ma­tique. Lais­sez-nous votre numé­ro de télé­phone, nous vous tien­drons au cou­rant de votre dos­sier.  » Les gui­che­tiers notent nos coor­don­nées. Il est 10 h 30, je sors. Plus de 100 per­sonnes attendent.

11 heures 30, de retour chez moi. Midi, 14 heures, 16 heures. Si la CAF télé­phone et que je ne suis pas là… Du coup, j’ap­pelle. Occupé.

Le len­de­main, je com­pose dix fois le numé­ro du centre de la tour Pleyel. 11 heures, enfin ! « Je vou­drais me réins­crire au RMI, et savoir si je suis tou­jours sur le fichier infor­ma­tique ou si j’ai été radié. » « Vous avez été radié par le Pré­fet, mais vous êtes tou­jours ins­crit sur l’or­di­na­teur. Inutile de nous refour­nir les pho­to­co­pies de votre carte d’i­den­ti­té, de Sécu­ri­té Sociale, etc. »

Je passe au CCAS le len­de­main matin. « Il faut juste réac­tua­li­ser mon dos­sier, il est tou­jours dans l’or­di­na­teur. » « Cela ne suf­fit pas, me dit l’employée, il faut votre décla­ra­tion tri­mes­trielle d’ab­sence d’emploi pour juillet, août et sep­tembre. » « Mais la CAF ne me l’a pas envoyée, puisque je tra­vaillais et qu’il fal­lait attendre trois mois sans emploi pour recom­men­cer les démarches. » Elle trouve un for­mu­laire. Ouf ! « On vous fera un rap­pel. »

Mi-décembre, j’at­tends encore. Lorsque je per­ce­vrai la somme cor­res­pon­dant au ver­se­ment du RMI pour ces six der­niers mois, soit 6 x 2 402,99 F (le mon­tant du RMI pour une per­sonne seule) ou encore 14 417,94 F, tout sera englou­ti par mon décou­vert ban­caire, aug­men­té des agios affé­rents. J’ai bien fait quelques piges en extra, ça ne suf­fit pas, j’ai dû emprun­ter auprès d’a­mis pour le loyer, je ne pour­rai même pas rem­bour­ser dans l’immédiat.

J’ai appris que le gou­ver­ne­ment Jos­pin vou­lait faire signer sys­té­ma­ti­que­ment des contrats d’in­ser­tion à tous ceux qui sont ins­crits au RMI pour valo­ri­ser le » I » de « inser­tion ». C’est où le guichet ?

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