De la difficulté de passer de l’emploi à la situation de chômeur indemnisé
Témoignage anonyme, reproduit du numéro de La Rue de janvier 1997.
Propos recueillis par Stéphane Viaux-Peccate pour La Rue
J’ai 40 ans. 1986, mon dernier boulot sous contrat… à durée déterminée, c’était gardien d’immeuble. Fin de contrat, chômage, et ASSEDIC. Fin de droits. Plus rien. Si ! Quelques petits boulots pour survivre mais pas de contrat. 1989, je me suis inscrit au RMI que Rocard venait de faire voter. Pendant huit ans. Voilà. Un petit déménagement à gauche, un coup de pinceau à droite, des clopinettes.
À côté de cela, j’écrivais, pour le plaisir, comme ça. Des gens m’ont dit que ce n’était pas mal, que je devais tenter ma chance chez un éditeur. ça n’a pas marché. En décembre 1996, un ami me parle d’un poste d’animateur dans un atelier d’écriture dans un collège d’enseignement technique. Je postule. Je suis retenu. Pour six mois. De janvier jusqu’à juin. Pas de contrat. Paiement en honoraires. 60 000 F payés en quatre fois.
Je dépends donc du régime des AGESSA. Je préviens la CAF que j’ai trouvé un emploi. Mon RMI s’interrompt. L’aide au logement aussi. Non titulaire d’un contrat de travail, je n’aurai pas droit aux ASSEDIC. Ce qu’elles me signifient fin juin 1997, après que je me suis inscrit à l’ANPE, mon travail terminé. Muni de cette réponse, je vais à la permanence du Centre communal d’action sociale. Je ne suis pas trop anxieux, je dois toucher mon dernier paiement en juillet 1997. J’expose ma situation. Réponse : « Vous devez attendre d’être trois mois sans emploi pour refaire une demande de RMI. Revenez en octobre. »
Octobre : me revoilà ! Nettement plus anxieux, l’argent file. Factures EDF-GDF, loyer (2 300 F), téléphone, courrier, enveloppes et timbres pour chercher un emploi, bientôt le découvert bancaire, puis les dettes chez les commerçants.
La permanence pour l’accueil du public a lieu tous les mardis de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 17 h. Une feuille collée sur la porte d’entrée m’invite à y inscrire mon nom. Il y en a déjà soixante. Une seule fonctionnaire au guichet. À 12 h 30, elle se lève pour aller déjeuner. Protestations de ceux qui attendent. « J’ai pris 22 personnes au lieu de 20. Normalement, j’aurais dû m’arrêter à midi. » « Je suis le n° 61, madame. » » Revenez mardi prochain. Ou allez directement au Centre, tour Pleyel à Bobigny. » Ce que je fais tôt le lendemain matin.
Pour le RMI, 50 personnes. J’ai le n° 116, il est 8 h 55. Huit guichets, un seul fonctionnaire. » N° 78 ! » Soit, 38 personnes avant moi. 9 h 15, une deuxième employée s’installe. N° 80, 81, 82… À 9 h 35 : n° 93. Une troisième employée prend place. N° 94, 95…, pas de réponse. Ils n’ont pas attendu. 106, 107… soudain, une voix au micro annonce : » Nous avons une panne informatique. Laissez-nous votre numéro de téléphone, nous vous tiendrons au courant de votre dossier. » Les guichetiers notent nos coordonnées. Il est 10 h 30, je sors. Plus de 100 personnes attendent.
11 heures 30, de retour chez moi. Midi, 14 heures, 16 heures. Si la CAF téléphone et que je ne suis pas là… Du coup, j’appelle. Occupé.
Le lendemain, je compose dix fois le numéro du centre de la tour Pleyel. 11 heures, enfin ! « Je voudrais me réinscrire au RMI, et savoir si je suis toujours sur le fichier informatique ou si j’ai été radié. » « Vous avez été radié par le Préfet, mais vous êtes toujours inscrit sur l’ordinateur. Inutile de nous refournir les photocopies de votre carte d’identité, de Sécurité Sociale, etc. »
Je passe au CCAS le lendemain matin. « Il faut juste réactualiser mon dossier, il est toujours dans l’ordinateur. » « Cela ne suffit pas, me dit l’employée, il faut votre déclaration trimestrielle d’absence d’emploi pour juillet, août et septembre. » « Mais la CAF ne me l’a pas envoyée, puisque je travaillais et qu’il fallait attendre trois mois sans emploi pour recommencer les démarches. » Elle trouve un formulaire. Ouf ! « On vous fera un rappel. »
Mi-décembre, j’attends encore. Lorsque je percevrai la somme correspondant au versement du RMI pour ces six derniers mois, soit 6 x 2 402,99 F (le montant du RMI pour une personne seule) ou encore 14 417,94 F, tout sera englouti par mon découvert bancaire, augmenté des agios afférents. J’ai bien fait quelques piges en extra, ça ne suffit pas, j’ai dû emprunter auprès d’amis pour le loyer, je ne pourrai même pas rembourser dans l’immédiat.
J’ai appris que le gouvernement Jospin voulait faire signer systématiquement des contrats d’insertion à tous ceux qui sont inscrits au RMI pour valoriser le » I » de « insertion ». C’est où le guichet ?