De la fabrication additive en joaillerie
L’impression 3D trouve une application originale dans certains domaines inattendus, dont la joaillerie n’est pas l’exemple le moins illustratif… ni le moins agréable à observer.
En tant que créateur de joaillerie, je me dois d’imaginer des choses qui n’ont jamais été faites auparavant en m’inspirant des innovations technologiques de notre temps. La fabrication additive permet de créer des volumes et des bijoux dans des matériaux très variés pour un coût et des délais imbattables : résine pour la validation des volumes, or et titane pour le poids et la mise en couleur. Et cela avec une fabrication sans moule, particulièrement intéressante pour mes créations uniques.
REPÈRES
Joaillier indépendant de la place Vendôme, Lorenz Bäumer est un ancien élève de l’École centrale de Paris (promotion 1988) et il a fondé sa propre maison en 1992. Précurseur dans l’utilisation de différentes techniques et de nouveaux matériaux, il vise à inventer la joaillerie du XXIe siècle. Il a été directeur artistique de la Joaillerie Chanel de 1988 à 2008 et de celle de Louis Vuitton de 2008 à 2016. En 2010, il a été choisi par la Princesse Charlène Wittstock et le Prince Albert II de Monaco pour réaliser le bijou de leur mariage : le diadème Écume de diamants.
Les sciences de l’ingénieur au service de l’art
Les sciences de l’ingénieur ont toujours été une inspiration dans mon univers, aux côtés d’une part artistique importante. La résistance des matériaux, les flux de production et les lois de l’optique pour la taille des pierres précieuses s’invitent régulièrement chez moi. C’est ainsi que j’ai commencé à utiliser il y a une quinzaine d’années le dessin 3D à l’ordinateur, puis la fabrication additive pour optimiser mon processus de création et de fabrication. Quel va être le poids d’un bijou ? Quelles sont les zones de faiblesse ? Quelle quantité d’or sera nécessaire en fonction du budget ? Comment va tomber cette paire de boucles d’oreilles ? Autant de questions auxquelles ces nouveaux outils permettent de répondre en économisant un temps et un argent précieux. J’ai donc été l’un des premiers à utiliser cette technologie place Vendôme, en faisant cohabiter le savoir-faire ancestral et la technologie de pointe. Voici quelques exemples de création qui n’auraient pas vu le jour sans la fabrication additive.
Ma ligne Reflet a vu le jour lorsqu’il n’était pas possible de fondre de l’or en raison de sa très haute température de fusion, alors que c’était possible pour le titane. Pour cette première réalisation je me suis rapproché des usines qui fabriquaient les pièces en titane pour l’aéronautique, afin de les intégrer ensuite dans mes bijoux. Les anodisations donnent au titane des reflets multicolores incroyables qui se retrouvent à travers les reflets mystérieux sur les parois en or, polies comme des miroirs. La fabrication additive permet également de réaliser à l’unité et à moindre coût tous les galbes nécessaires pour se marier aux différents tours de doigts.
J’ai créé la bague Atlantis pour mettre en valeur le dessin du bijou avec les différents aspects de surface résultant de la fabrication additive. Les surfaces accessibles au poli sont brillantes et les tranches sont mates. Cela met en valeur la structure de ma création. Une sphère interchangeable vient se loger au milieu de la bague.
“Parler
à un nouveau sens dans
la perception du bijou, l’odorat.”
Le plaisir de l’odorat avec celui de la vue
Mon cabinet de curiosités avec ses Scarabées est un autre exemple d’utilisation de formes innovantes au service de la création. Il contient la « matière olfactive » sous les élytres, qui peuvent s’écarter à la demande grâce à un mécanisme secret. Cette matière est comme une éponge métallique, une matière faite de vide pour absorber par capillarité le parfum et le restituer à la demande. Nous nous sommes inspirés des recherches faites en médecine pour les prothèses en titane pour les os. Ces dernières sont poreuses pour que les cellules des os puissent les coloniser et les solidariser avec le corps humain. Après la vue et le toucher, cette technologie m’a permis de parler à un nouveau sens dans la perception du bijou : l’odorat.
Propos recueillis par Joël Rosenberg (84)