De la finance new-yorkaise au big data israélien
Avant la crise de 2008, les métiers de la finance attiraient de très nombreux talents. Aujourd’hui, ce sont les start-up qui les attirent d’où l’engouement de certains pour la Start-up Nation.
C’est indirectement l’histoire de l’évolution fulgurante de l’École. En 2003, on ignorait le terme start-up, on ne parlait pas d’entreprendre, on formait nombre de mathématiciens financiers qui vont être sacrifiés lors de la crise des subprimes. Finalement tout finit bien, car on murmure que la promotion 2003 est celle qui comprend le plus d’entrepreneurs ?
Tout commençait en 2004 : après six mois en stage FHM, je rejoignais le Platâl pour commencer ma formation académique polytechnicienne et je me réjouissais d’animer, avec ceux qui allaient devenir mes amis, le binet Shalom, autour du partage des valeurs de la culture israélienne.
À l’époque, l’expression Start-up Nation n’avait pas encore été inventée, mes seuls liens polytechniciens avec Israël étaient au travers des lectures des activités du groupe X‑Israël, auxquelles je participe aujourd’hui.
REPÈRES
Dans un article publié par notre revue en novembre 2015 sous la rubrique « 10 questions à un X entrepreneur », l’auteur expliquait ce qui l’avait amené à créer Quantmetry, cabinet spécialisé dans l’exploitation des données massives.
Il évoque ici son parcours depuis son intégration à l’X jusqu’à la création d’une start-up, en passant par la tenue d’un blog sur les nouvelles technologies en Israël.
UN TERME IGNORÉ
On ne parlait pas entre nous de start-up. D’abord, parce qu’on n’en connaissait pas et aussi parce qu’on ne faisait pas la différence entre les géants de l’internet et les sociétés en forte croissance.
“ On ne parlait pas entre nous de start-up ”
L’entrepreneuriat se résumait à la junior entreprise et toute initiative professionnelle hors stages et études était formellement proscrite : en tant qu’élève officier, le droit d’entreprendre se limitait à des cours particuliers ou un site web bricolé dans son casert.
Les choses ont bien changé aujourd’hui avec l’excellente initiative « La Fibre Entrepreneur – Drahi – X Novation Center ».
CACHE-MISÈRE
Un vague cours avec les étudiants d’HEC en 3A sur comment monter une start-up servait de cache-misère à notre promotion, tenue volontairement ignorante de toute possibilité de prise de risque… alors que, quatre ans après, à peine diplômés de notre 4A, c’est toute la 2003 qui s’exclamait être « la promotion sacrifiée » suite à la crise de 2008 et l’errance forcée de la plupart des 120 élèves ingénieurs qui avaient misé sur une formation en mathématiques financières sans jamais avoir à utiliser professionnellement le lemme d’Itô.
Ils ont su se réinventer car la 2003 se targue, sans vérification aucune, d’être la promotion qui compte le plus d’entrepreneurs !
À LA DÉCOUVERTE DES START-UP ISRAÉLIENNES
De retour de New York après un séjour de deux ans de trading algorithmique écourté par la chute de Lehman, je rejoins un groupe de bénévoles qui participent à une initiative nouvelle : écrire un blog en français sur les start-up israéliennes.
LA FORMULE D’ITÔ
La formule d’Itô a été démontrée par le mathématicien japonais Kiyoshi Itô dans les années 1940. Elle est réputée constituer l’une des pierres angulaires du calcul stochastique, et est utilisée dans de très nombreux domaines, entre autres les mathématiques appliquées à la finance.
En effet, elle permet de modéliser le mouvement brownien géométrique, souvent considéré comme le plus simple modèle d’évolution des cours de Bourse.
C’est un peu comme ça que j’ai commencé ma propre aventure entrepreneuriale : en parlant avec des ingénieurs qui préparent la voiture autonome de demain chez Mobileye (qui vient d’être racheté par Intel 15 milliards de dollars, un record pour une société israélienne), de découvrir la réalité augmentée en 3D avec Primesense (qui a été racheté par Apple) et de découvrir des projets qui n’ont jamais décollé : une application de dating ou un logiciel de montage vidéo automatique.
J’ai écrit quelques articles qui nous ont permis d’obtenir une place dans le petit cercle des articles repris sur Google News France : le premier sur une start-up qui proposait de réduire les frais de roaming (l’accès web mobile à l’étranger devenu obsolète avec l’offre de Golan Telecom qui s’inspire de Free en France), un deuxième sur une start-up qui proposait un comparateur de vols personnalisé, puis d’autres sur des start-up promettant de ne plus jamais rater ses photos ou pouvant simuler le regard humain sur une page internet.
INNOVER SOUS LES ROQUETTES
J’ai pu découvrir le parcours d’une jeune star montante du monde technologique israélien, Ben Lang, auteur d’une carte qui représente les lieux d’innovation en Israël et rédacteur d’un article sur TechCrunch, qui raconte le quotidien des développeurs informatiques en période d’attaques de roquettes entre coupures électriques et nécessité de se mettre à l’abri.
UNE CULTURE ENTREPRENEURIALE TRÈS MARQUÉE
Je n’avais pas interviewé que des pépites mais j’avais retenu de nombreux enseignements sur une culture très différente de la nôtre. Premièrement, les Israéliens ont un rapport au risque fondamentalement différent des Français : le rapport à la guerre et à l’armée leur donne un niveau de sensibilité très supportable aux concessions nécessaires pour une réussite entrepreneuriale.
Puis, la situation économique est radicalement différente : certains jobs, même qualifiés, sont mal payés alors que le prix du quotidien reste élevé ; le contrat de travail ne garantit pas la stabilité de l’emploi comme le fait le CDI chez nous et il n’y a finalement que peu de confort à être salarié quand on peut entreprendre.
DES RÉSEAUX FORTS ET OUVERTS SUR LE MONDE
Ensuite, dans cette nouvelle économie, les réseaux comptent pour beaucoup. Et Israël peut ajouter celui de son service militaire comme étant un moyen supplémentaire de rapprocher les Israéliens qui ont beaucoup plus de relations communes avec n’importe quel autre entrepreneur.
Cela facilite les associations et les recrutements sous l’image tutélaire de l’unité 8 200, qui forme l’élite des développeurs du pays.
En plus, le marché israélien en termes de débouchés est trop petit pour financer l’activité commerciale locale, les Israéliens pensent au monde avant de penser à eux. Il n’est pas rare de voir des start-up où tout se fait en anglais alors qu’il n’y a que des hébréophones qui envisagent déjà leur internationalisation.
Enfin, avec de nombreuses années d’avance sur la France, Israël s’est doté de ce qui se fait de plus moderne en termes d’écosystème d’innovation : laboratoires de recherche, fonds d’investissement, incubateurs, accélérateurs, espaces de coworking et installation des équipes de R & D des géants américains (Intel, Microsoft, Samsung, Oracle).
ISRAËL, UNE « DATA NATION »
J’avais créé Quantmetry, un cabinet de conseil qui s’appuyait sur les deux fondamentaux que j’avais découverts en finance : ce que les maths peuvent apporter à l’entreprise et ce que l’informatique peut apporter aux métiers.
“ Les Israéliens ont un rapport au risque fondamentalement différent des Français ”
Son activité commençait à se développer autour de missions d’intelligence artificielle pour des grands groupes.
J’ai décidé alors d’abandonner le journalisme très astreignant pour limiter ma fréquentation des start-up israéliennes aux délégations présidentielles (François Hollande en 2013) et ministérielles (Emmanuel Macron puis Axelle Lemaire) et aux visites du Technion à Haïfa.
UN PARTAGE DE ROYALTIES EFFICACE
Le Technion est au cœur de la technologie israélienne, tant de brevets et de start-up en sont issus. Le modèle de partage de royalties entre l’université et les chercheurs y est tout particulièrement motivant et donne lieu à beaucoup de réussites.
Kira Radinsky a été élue Lady Globes Woman.
Seulement 9 % des 500 millions de fonctionnement proviennent des frais de scolarité.
UN SECTEUR EN PLEINE EXPANSION
Dans mon secteur technologique, le big data, on y compte de nombreux professeurs qui travaillent sur le machine learning et le calcul distribué, et des start-up israéliennes montrent le chemin comme Vision.Bi ou Ravello.
Le Technion s’apprête à lancer la première formation mondiale en data science au niveau bachelor, une annonce très attendue par le marché, qui peine à trouver des profils.
UNE FEMME À L’HONNEUR
En 2016, Israël a élu sa Lady Globes Woman : Kira Radinsky, l’étoile montante du machine learning, qui voit sa start-up SalesPredict rachetée par eBay.
Le salon DLD, l’équivalent du Consumer Electronic Show de Las Vegas, réunit chaque année des milliers de visiteurs qui découvrent les nouveautés israéliennes, sources d’inspiration pour des dizaines d’entrepreneurs français, parmi lesquels des dirigeants de grands groupes.
Il n’est pas rare de voir des bus entiers de délégations étrangères, surtout asiatiques, s’agglutiner devant les démonstrations.
CAP SUR LA PREMIÈRE « XCORNE »
La France et Israël sont devenus comparables aujourd’hui en termes de taille d’écosystème technologique ; avec des dynamiques différentes : Israël stagne là où la France est en pleine explosion.
“ Le Technion s’apprête à lancer la première formation mondiale en data science au niveau bachelor ”
Pourtant, nous tardons toujours ici à observer des sorties en milliards alors que cette barre est aisément franchie par Waze, Mobileye, Trusteer.
Un seul polytechnicien est dans l’effectif de ces décacornes (terme utilisé pour désigner de jeunes entreprises valorisées plus de 10 milliards de dollars).
Souhaitons que nos partenariats entre l’X et les universités israéliennes et que le nombre croissant d’élèves qui y font leur 4A nous apportent, en France, notre première « Xcorne ».