De la gestion scientifique au service public
Au moment de choisir une troisième année à l’X, il y a trois ans, la palette des formations disponibles me laissa perplexe. Comparées à celles des universités nord-américaines dont émergeaient les success stories du moment (Facebook, Instagram, etc.), je trouvais les formations proposées par l’X trop scientifiques et académiques.
Par chance, je pus profiter de la création de l’option « Entrepreneuriat » pour réaliser un doublé inespéré : m’éloigner des sciences fondamentales et découvrir le monde de l’entreprise. Avec en prime l’opportunité d’effectuer un stage dans la mythique Silicon Valley.
REPÈRES
La gestion scientifique (GS) est une discipline qui prône une approche scientifique de la gestion d’une entreprise, comme peut le faire la recherche opérationnelle. À l’image des sciences expérimentales, l’approche GS consiste à rechercher des constantes dans le comportement des acteurs et à en tirer des principes de gestion avisée.
Elle aide à mieux appréhender l’impact des choix que l’on peut faire en tant que décideurs (mise en place de tableaux de bord, choix d’une démarche qualité, d’une politique de ressources humaines, etc.).
La gestion scientifique
À l’heure du choix d’une quatrième année, je souhaitais néanmoins parfaire ma compréhension des entreprises et des organisations au sens large. Malgré la vraisemblance de leurs théories et leur franglais châtié, les chantres de la création d’entreprise me servaient un leitmotiv qui me laissait sur ma faim. C’est en errant sur les pages Web des formations de « 4A » que j’entrevis une lueur d’espoir.
“ Comprendre le fonctionnement des organisations ”
« Si le management s’appuie sur des méthodes et des outils, qu’il faut connaître, il s’inscrit aussi dans des organisations, dont il importe de comprendre le fonctionnement. » Telle était la phrase de présentation de l’option « Gestion scientifique » proposée par les Mines de Paris, que j’ai finalement suivie.
Dynamisme et innovation
La formation dispensée par l’option GS s’articule autour de deux périodes complémentaires : une formation initiale théorique (quatre mois) et un stage en entreprise (six mois).
Sauver les nénuphars du dépôt de bilan. KEY GRAPHIC
La formation initiale consiste en une introduction aux sciences de gestion. Lecture des œuvres fondatrices d’une part ; interventions d’invités issus du monde de l’entreprise d’autre part, au profil parfois original.
Un jeune entrepreneur américain vint par exemple nous expliquer avec passion comment il avait redressé une pépinière de nénuphars du Lot-et- Garonne au bord du dépôt de bilan. Une preuve que le dynamisme et l’innovation ne sont pas le monopole du monde 2.0.
Voyageur et matériel roulant
Puis vint le « choix » du stage en entreprise. La particularité de l’option GS est de demander aux élèves de constituer des binômes et de se répartir des stages négociés au préalable par les professeurs.
L’optimum de Pareto eut pour notre binôme un nom obscur : « RATP – Département bus – Schéma général directeur du matériel roulant et remisage ; projet de modélisation. » L’utilisateur moyen d’une ligne de bus ne s’intéresse généralement qu’à deux choses : l’horaire de passage du suivant et s’il va bien là où il veut.
Il oublie toutefois un détail : « son » bus existe indépendamment de lui. Ainsi que les 4 500 bus et les 13 000 conducteurs gérés par la RATP en Île-de-France.
L’exploitation d’un tel réseau nécessite une coordination millimétrée, une organisation du travail rigoureuse et un outil industriel lourd.
Optimiser 350 lignes
Il fallait trouver une méthode permettant d’optimiser la répartition des 350 lignes dans les dépôts au gré des évolutions du réseau. Idéalement, une ligne doit être « remisée » dans un dépôt près duquel elle passe, afin de minimiser le surcoût lié aux kilomètres effectués sans voyageurs entre le dépôt et l’itinéraire commercial de la ligne.
Les coûts afférents à la répartition des lignes dans les dépôts représentent un enjeu important pour la RATP qui, comme chacun ne le sait pas, se prépare à l’ouverture à la concurrence des transports en commun franciliens à partir de 2024 pour le réseau de bus.
“ Une source de problématiques stimulantes ”
Initialement, nous pensions avoir affaire à un problème d’optimisation discrète : 350 lignes, vingt dépôts, il n’y avait finalement que 7 000 possibilités à étudier. Nous avons rapidement découvert qu’évaluer un coût avec une précision satisfaisante requérait plus de travail que l’application d’une bête règle de trois.
De sorte que les 7 000 études nous amenaient bien au-delà de la fin du stage. Ensuite, nous avons compris que le coût n’était pas le seul critère décisionnel. Des considérations techniques, sociales, stratégiques ou politiques constituaient autant d’éléments contraignant la répartition des lignes dans les dépôts.
Enfin, les hypothèses de départ vacillèrent. Pourquoi ne pas envisager de répartir une même ligne dans plusieurs dépôts ?
Un vrai casse-tête.
Face à une combinatoire grandissante et à la nécessité d’une intervention humaine dans le processus, c’est finalement une analogie insoupçonnée avec l’algorithmique du jeu d’échecs qui nous a permis d’aboutir à un outil informatique d’aide à la décision.
La créativité intellectuelle
Gérer les autobus comme on joue aux échecs.
Je n’aurais jamais pensé que l’exploitation d’un réseau de bus pouvait être la source de problématiques aussi stimulantes sur le plan intellectuel. Quand j’étais à l’X j’étais le premier à penser que l’industrie n’était pas attractive : pas de challenge intellectuel, peu d’innovation, pas de salaire mirobolant, trop d’inertie.
Comme tout le monde je voulais faire du conseil ou monter une start-up. En Californie je m’étais même promis de ne jamais travailler dans un grand groupe… en toute ignorance de cause.
J’avais tort. L’industrie – même lourde, même franco-française – est une belle opportunité d’exercer notre capacité de conceptualisation et notre créativité intellectuelle. Elle regorge de problématiques passionnantes dont l’intérêt provient parfois plus de la complexité que de la technicité, comme l’illustre le stage que j’ai effectué à la RATP, où je suis entré finalement.