De la numérisation de l’assurance à l’assurance connectée
La numérisation de l’assurance s’est développée lentement, les occasions d’échanges étant rares. L’assurance connectée arrive et risque de bouleverser les habitudes et les acteurs. Il s’agit alors de payer pour un service et non plus pour la possession d’un objet, tout en contrôlant les données de l’assuré pour ajuster la tarification.
Payer son assurance automobile en fonction de la qualité de sa conduite ; éviter un cambriolage grâce à un robot ménager simulant un chien de garde ; obtenir un avis d’expert sur un accident industriel via une vidéo prise par un drone… : autant de promesses de l’assurance connectée dont on parle depuis plus d’une décennie, et qui commencent tout juste à devenir réalité.
« Les utilisateurs de BlaBlaCar ou d’Autolib’ veulent pouvoir assurer un trajet, et non une voiture »
Dans la métamorphose numérique en cours, l’assurance a jusqu’ici fait figure de paradoxe : si l’on assiste à un lent transfert vers le direct (téléphone, Internet), on constate plus de continuité que de rupture dans l’achat de polices d’assurance.
Les déclarations de sinistre en ligne sont elles aussi encore balbutiantes. Il est vrai qu’avec un contact lié à un sinistre tous les quatre à dix ans, suivant les catégories, on a aujourd’hui plus de chances de changer de smartphone dans l’année que d’utiliser une « app » assurantielle.
REPÈRES
D’après une étude publiée par le cabinet Deloitte en fin d’année 2016, le marché européen de l’assurance auto connectée pourrait atteindre 17 % d’ici 2020. En France, les offres télématiques pourraient atteindre 12 % du marché de l’assurance auto. Sans surprise, dans chaque pays étudié, la principale source d’inquiétude des consommateurs concerne les utilisations qui pourraient être faites de leurs données.
En effet, ces évolutions peuvent se révéler fort peu respectueuses de la vie privée. Les algorithmes de deep learning qui font l’économie d’une modélisation explicite de la causalité pour fournir un tarif pourraient aussi se révéler discriminatoires dans les faits, et se voir remis en cause par les pouvoirs publics.
UNE BASCULE DU MARCHÉ VERS LE NUMÉRIQUE PLUS LENTE QUE PRÉVU
Pourquoi cette lenteur ? Si l’on se restreint à ce que les assureurs appellent les affaires nouvelles – les nouveaux contrats –, un quart du volume est réalisé en ligne, et une part bien plus importante passe par le numérique à un moment du processus d’achat (c’est la notion de vente multi canal). La lenteur de la bascule vers le numérique s’explique donc avant tout par la rareté de l’acte d’achat (jusqu’à la récente loi Hamon en tout cas).
ATTENTION AUX GAINS DÉLOCALISABLES
Si les clients peuvent bénéficier d’une part des gains induits par cette deuxième numérisation, il ne faut pas sous-estimer le risque de sortie du territoire national d’une énorme partie de la valeur ajoutée jusqu’ici « fixée » en France par les mécanismes assurantiels : le Booking.com des plombiers n’a pas plus de raison d’être en France – ni d’y payer des impôts – que celui des hôteliers…
La « bascule » du marché vers le numérique demeure la hantise des assureurs : celle-ci s’est déjà opérée en Grande-Bretagne, au détriment des courtiers, ou plus récemment en Espagne à l’occasion de la crise économique de 2008–2013.
C’est pourquoi, ils observent de près la seconde vague de numérisation en cours, celle de la connexion ubiquitaire qui induit l’évolution vers l’assurance à l’usage. Les utilisateurs de BlaBlaCar ou d’Autolib’ veulent pouvoir assurer un trajet, et non une voiture.
Des parcours clients « en 1 clic » ouvrent le marché à de nouveaux acteurs qui rêvent de reléguer l’assureur à un rôle de fournisseur de services d’assurance en marque blanche, sans relation directe avec ses clients.
GESTION DE SINISTRE : DU SELF-SERVICE À LA PLATEFORMISATION
Avec l’assurance connectée, l’expertise évolue : AXA France a ainsi mis en place un dispositif d’expertise vidéo via smartphone, qui permet d’expertiser un sinistre à distance.
Grâce à la numérisation, les assureurs peuvent gérer le sinistre de bout en bout, tout en maîtrisant mieux leurs coûts. © BENJAMIN NOLTE / FOTOLIA.COM
En assurance santé également, l’accès à l’expertise se renouvelle : AXA a lancé il y a quelques mois un service de téléconsultation médicale accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7…
De même, les assureurs se contentaient jusqu’ici de rembourser (sur factures). Grâce à la numérisation, ils peuvent gérer le sinistre de bout en bout, tout en maîtrisant mieux leurs coûts.
Grâce à un service comme Pick’up & Delivery, par exemple, AXA vient chercher votre voiture chez vous, vous prête un véhicule de remplacement, et vous rapporte votre voiture une fois réparée.
Un autre cas d’usage serait, suite à une inondation par exemple, que l’ensemble de l’électroménager irréparable, ayant été prédéclaré lors de l’achat auprès de l’assureur, soit immédiatement commandé à l’identique chez un partenaire et livré à domicile, dans les heures suivant le sinistre.
La connexion permanente permet aussi de substituer à la logique de l’orientation au sein d’un réseau prédéfini une logique de plateforme de crowdsourcing (permettant la mise en relation directe et la mise en concurrence de tous les garagistes souhaitant y adhérer), en laissant les clients évaluer leur qualité, comme le fait aujourd’hui Uber.
Hitch, aux États-Unis, a renouvelé l’offre en matière d’assistance routière via ce type de mécanisme.
VERS UNE TARIFICATION AU SERVICE
La connexion ubiquitaire bouleverse l’actuariat, le faisant passer d’un monde où les données étaient rares et la segmentation de la clientèle en portefeuille inévitablement limitée par des facteurs exogènes ou inconnus, à un monde où le raffinement tarifaire ne connaît plus de limite.
« Un service vidéo via smartphone permet d’expertiser un sinistre à distance »
Les méthodes actuarielles traditionnelles évoluent donc vers la data science et le machine learning, ouvrant la voie à la contextualisation et la prédiction des risques et de leur tarification.
Cette technicité croissante suscite une concurrence avec les autres détenteurs de données, notamment financières (banques) ou de la vie quotidienne (opérateurs téléphoniques, fournisseurs d’électricité…), mais aussi et de plus en plus les GAFA – Google détient probablement 70 à 80 % des données nécessaires pour tarifer de l’assurance dommage (et beaucoup d’autres permettant une segmentation très fine et une très grande pertinence commerciale).
L’ASSURANCE COMME OPTION D’ACHAT
L’ensemble du e‑commerce inclut à présent l’assurance comme une option d’achat. Le secteur du voyage a été pionnier, et les constructeurs d’automobiles de leur côté ne vendent plus de voiture sans proposer des options d’assurance dommage. L’électroménager « BBB » suit, et de plus en plus d’achats comportent une part assurantielle : séjours au ski (assurance neige), spectacles (assurance annulation), etc.
La disponibilité de nouvelles sources de données permet de tarifer l’usage et non le bien en lui-même (assurance au kilomètre, à la journée…) et de tenter d’influer sur le comportement de l’assuré : c’est le passage du as you [drive/live] au how you. À plus long terme, le rejet des formes d’autorité centralisée par une partie croissante des consommateurs est déjà exploité par plusieurs start-ups comme Friendsurance, et anticipé par les assureurs.
Ainsi, AXA a récemment investi dans la société Blockstream afin d’explorer le potentiel du « réseau transactionnel ouvert » que constitue la blockchain.
Cependant, l’évolution très (trop ?) rapide des sources de données ne permet pas encore de créer de modèles suffisamment déterministes : le pay-how-you-drive est encore souvent fondé sur des critères dont l’impact réel sur le risque n’est que partiellement connu.
C’est pourquoi certains estiment que la sophistication tarifaire n’est qu’une manière de gagner du temps avant de trouver les vrais relais pour le secteur : l’assureur comme un (prestataire de) service(s).
DISTRIBUTION : DES AGENTS HEUREUX AUX API AGISSANTES
La clarté dans la promesse (conditions de couverture, franchise de remboursement, etc.) n’est pas toujours le fort des assureurs.
ACCOMPAGNEMENT VIRTUEL
Certaines API, comme AXA WayGuard, proposent l’accompagnement virtuel pendant un trajet jugé inquiétant d’une personne qui le souhaite par un ami qui la suit sur une carte à distance et peut entrer en contact avec elle à tout moment.
Des start-ups comme Fluo ont même construit leur modèle d’affaires sur ce point : faciliter, à un instant donné et dans des conditions aisément reconnaissables (« au comptoir de location de voiture », « au moment d’acheter son forfait remontées mécaniques en station de ski », etc.), la vérification de couverture et l’achat de compléments.
Les assureurs s’efforcent eux aussi de construire une relation plus forte et plus quotidienne avec les assurés. Ils incluent sur leurs plateformes de plus en plus de services API-sés en provenance d’autres prestataires.
Mais une tendance « B2B2C » devrait s’affirmer où les compagnies d’assurances fourniraient les éléments permettant de doter très simplement tout site d’e‑commerce d’une composante assurantielle. Un assuré pourrait vérifier sa couverture via une API, ne se verrait alors pas proposer d’assurance redondante avec celles dont il dispose déjà, et pourrait compléter d’un clic sa couverture auprès de son assureur.
Des start-ups comme Fluo ont construit leur modèle d’affaires sur ce point : faciliter, à un instant donné, la vérification de couverture et l’achat de compléments.
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NOUVEAUX SERVICES EN LIGNE : PRÉDICTION, PRÉVENTION ET PRESCRIPTION
Les assureurs enrichissent aussi leur offre avec des services monétisables avant qu’un sinistre ne survienne : prévention, maintenance, conseils, etc. Le problème, c’est que la valeur perçue d’un tel service est faible, du fait de la rareté des sinistres et de notre biais d’optimisme.
« Google détient probablement 70 à 80 % des données nécessaires pour tarifer l’assurance dommage »
En assurance auto (Connected Car), le coût moyen du risque par kilomètre parcouru est de l’ordre de 20 centimes… Des services positionnés en assistance à la conduite doivent donc maintenir un coût unitaire d’interaction très bas.
Situer les moments clefs où une interaction sera suffisamment pertinente pour être rentable via la diminution du risque est crucial, mais repose sur un monitoring permanent et potentiellement intrusif.
Ce problème de pertinence est identique en assurance habitation (Connected Home). En assurance santé (Connected Health), la situation semble plus prometteuse, notamment s’agissant du respect d’un régime ou de l’observance médicale.
Les assureurs pourraient dans cette perspective évoluer vers un modèle de « conciergerie connectée multiaccès », proposant des services sans couture aux personnes ou aux entreprises. Ces services pourront être pour partie collaboratifs, qu’il s’agisse de nudge (gamification et socialisation de la qualité de conduite automobile via un score, par exemple, comme le propose AXA Drive) ou d’entraide.
Là aussi, une approche de plate-forme peut faciliter la monétisation : la MAIF a investi 1,7 Me en 2015 dans mesdepanneurs. fr, start-up française spécialisée dans la mise en relation entre particuliers et professionnels du dépannage à prix fixe.