De la relation avant toute chose
La relation au cœur de l’équation : 1+1 = 3
La relation au cœur de l’équation : 1+1 = 3
L’être humain est fondamentalement un être de relation, dont la croissance se fait par l’échange avec l’autre. En entrant en relation avec une personne, nous passons en fait de deux à trois. L’espace de l’échange entre nous deux devient une réalité importante à prendre en considération. L’image du pont éclaire cette équation : les piles du pont ne sont là que pour porter le tablier, qui, lui, relie une rive à l’autre.
Plus globalement, l’efficacité opérationnelle d’une équipe ou d’un groupe dépend de la qualité de cet espace commun où chacun peut prendre sa place, donner le meilleur de lui-même. La conjugaison des différences dans les échanges et les confrontations positives permet qu’émergent des idées nouvelles, des solutions inattendues.
REPÈRES
Dans un monde d’une complexité croissante, la réponse à une pression toujours plus forte se situe dans la relation : rassembler, relier, tisser des liens – et cela de façon hyperstatique. Car la performance opérationnelle dépend objectivement de la qualité de la relation entre les acteurs. C’est elle qui peut faire la différence : les 2 % à 3 % de marge qui permettent de « passer devant », c’est dans la relation qu’on peut avantageusement aller les chercher, et même en récolter bien davantage.
Une boussole pour développer la relation
Tout ce qui n’est pas partagé est perdu
Comment engager ce travail de relation ? En créant la confiance, mais la confiance ne se décrète pas. Elle est le fruit de cinq règles de base, qui constituent la boussole du « vivre ensemble » :
- l’écoute : écouter l’autre et faire l’effort de comprendre ce qu’il veut dire ;
- le respect des personnes comme des idées : vivre l’altérité et la responsabilité ;
- l’authenticité : être clair avec soi et vrai avec les autres ;
- l’implication positive : engagement à partager ses idées et à construire ensemble ; tout ce qui n’est pas partagé est perdu ;
- la confidentialité : ce qui est dit dans le groupe appartient au groupe et n’en sort pas sans accord explicite.
Ces règles acceptées donnent un cadre qui permet à chacun de s’engager et de s’impliquer dans une œuvre dont la réussite va dépendre d’autres acteurs que lui.
Surmonter ensemble les difficultés
J’ai pu appliquer les règles ci-dessus sur le chantier du musée des Sciences et Techniques de La Villette. Une solide relation de confiance et de coopération s’est construite et soudée entre les représentants du maître d’ouvrage, du maître d’œuvre et le contractant général que j’étais. Ainsi, lorsque l’on a découvert, à moins de huit mois de la date d’inauguration de mars 1986, un écart de 20 cm entre les coupoles et la toile tendue qui les raccordait à la toiture (toile Téflon fabriquée aux USA), nous avons su prendre les dispositions techniques (et d’ordonnancement), administratives, juridiques, etc., nécessaires pour tenir le délai. Ce qui fut fait.
Les poupées russes des relations
Les demandes d’accompagnement des dirigeants se placent souvent sur le plan de la dynamique collective : un meilleur fonctionnement de leurs équipes, plus de transversalité, de meilleures relations entre services lors d’une réorganisation ou d’une acquisition, une bonne transmission, etc.
Il s’agit donc d’améliorer la relation aux autres.
Après avoir défini une boussole commune, j’aborde ce « jeu collectif » avec des questionnements, des mises en situation, des exercices, des apports qui donnent au dirigeant et aux équipiers un regard et un feedback sur leurs interrelations ; cela crée des liens et aide chacun à s’engager avec confiance dans cette dynamique collective.
Jouer collectif
Mais on ne peut aller très loin sans que soit abordée la « relation à l’autre ». Si un collectif est bien plus complexe que la juxtaposition de relations interpersonnelles, celles-ci restent la base du jeu collectif ; j’approfondis la connaissance mutuelle, développe les feedback et les confrontations positives, creuse l’exercice de la juste autorité ; les relations hiérarchiques sont ainsi « rénovées » en les remettant plus en vérité et plus « à double sens ».
Relation à soi et relation à l’Autre
Faire grandir son collaborateur par la réussite de sa mission
Or, cette capacité dépend d’un autre niveau, celui de la « relation à soi ». Dans l’image du pont, on voit bien que si une pile n’est pas bien fondée, il est vain de construire le tablier. J’approfondis, plus ou moins profondément et dans le respect et la liberté de chacun, la connaissance et l’acceptation de soi, l’altérité, la vulnérabilité.
En creusant ce dernier niveau, plus encore qu’aux autres, on touche à la relation à l’Autre, au plus grand que soi : son regard sur la vie, sur l’humanité en mouvement, sa vocation, son chemin d’accomplissement, qui oriente et donne du sens aux trois premiers niveaux.
Les cinq facettes de la relation managériale
Il est fort intéressant d’explorer ces différents niveaux de relation dans le contexte d’une organisation hiérarchique ; cette dimension humaine du management est-elle reliée à la façon dont s’exerce l’autorité du chef : plus ou moins proche, directif, dans le contrôle, ou plus dans la confiance, la subsidiarité ? Quels sont les ingrédients de la relation hiérarchique au-delà de la posture d’autorité d’un patron sur ses collaborateurs ?
Entreprises familiales : des relations à la puissance 3
Dans le cas des entreprises familiales, il convient d’intégrer encore d’autres plans, tout spécialement dans le cas d’une transmission d’une génération à la suivante, celui des relations au sein de la famille (entre parents et enfants comme au sein de la fratrie), et celui des enjeux capitalistiques, qui s’ajoutent et s’imbriquent aux niveaux professionnels « classiques » : places, rôles, compétences, pouvoirs, etc. Si une approche opérationnelle doit être privilégiée, il convient aussi de jouer sur d’autres registres, plus personnels, qui sont souvent essentiels pour résoudre la problématique.
J’ai accompagné plusieurs groupes dans l’exploration de la partie plus relationnelle du management, au-delà des aspects professionnels, techniques, financiers. En examinant les conditions qui permettent à chacun de donner le meilleur de lui-même, ils ont ainsi défini cinq facettes qui définissent la relation managériale :
- la qualité d’être : connaissance de soi, fiabilité, assertivité, sens de la responsabilité ;
- la capacité relationnelle : ouverture aux autres, disponibilité, écoute, confiance réciproque, bonne et juste délégation ;
- la vision et le sens partagé : donner du sens à l’action, entraîner vers un but mobilisateur ;
- la dynamique collective : créer du lien et faire travailler ensemble des personnalités diverses, articuler toutes ces compétences différentes, jouer collectif entre entités ;
- et enfin, l’épanouissement du collaborateur par la réussite de sa mission : accroître ses capacités, développer sa créativité, le faire grandir par sa propre réussite.
Repères managériaux
Ces différents domaines, intimement reliés les uns aux autres, ont été pris par ces groupes comme des repères managériaux connus de tous. Leur examen périodique entre patron et collaborateurs a facilité, fluidifié et enrichi leurs relations, en faisant tomber les tabous du type « le chef a toujours raison ». Ils les ont intégrés globalement dans les critères des entretiens annuels.
Un exercice d’équilibres multiples
À chacun de ces plans, les relations se jouent sur trois registres : la tête, le cœur, le corps. Si nous privilégions par formation la pensée et le verbe – l’intelligence intellectuelle –, la relation habite aussi les émotions – l’intelligence émotionnelle –, et se traduit dans le corps – le langage non verbal.
Les prises de conscience et les changements de comportement se font et s’ancrent d’autant plus qu’ils touchent l’émotion et s’appuient sur un vécu incarné, sur des sensations bien perçues ; d’où l’importance d’intégrer ces plans dans l’animation des temps forts (séminaires, conventions, etc.).
Accompagner les équipes
La performance du groupe va dépendre de la relation de chacun aux autres, à l’autre, à soi, à l’Autre. Le rôle d’accompagnateur est de tenir et d’aligner les multiples niveaux et registres des relations, et de guider le groupe sur un parcours qui lui permette d’avancer en sécurité vers l’objectif visé. Concrètement, dans l’animation des temps forts collectifs, je donne le temps de la réflexion personnelle, du retour sur soi avant le partage en petits groupes (qui permet une implication plus en vérité et en profondeur), puis la mise en commun plénière de toutes les réflexions, expériences, propositions pour en tirer ensemble la « substantifique moelle ».
L’autorité de l’accompagnateur
Faire reformuler par chacun la proposition de l’autre pour accroître sa capacité d’écoute
L’autorité, la crédibilité de l’accompagnateur se fonde sur sa qualité d’être et sur son expérience relationnelle ; elle conditionne la réussite de sa mission et lui impose un travail permanent d’ajustement et de développement sur chacun des niveaux de relation, au fil de ses missions mais aussi des événements de sa vie personnelle. Il sait imposer, au nom de la mission qui lui a été confiée, un processus spécifique si les relations sont plus empreintes de compétition que de coopération.
Il m’est arrivé de faire reformuler par chacun la proposition de l’autre pour accroître sa capacité d’écoute, pour sortir de joutes intellectuelles, de discussions « ping-pong » ou d’oppositions stériles.
Quitter les visions binaires
Dans ces échanges, je pousse à sortir de la dialectique du « ou » pour aller vers celle du « et », quitter les visions binaires blanc-noir, bon-mauvais, local-global, etc., pour aller chercher plus finement la richesse des multiples facettes de toute réalité : découvrir l’opportunité cachée derrière la contrainte, le cadeau positif derrière l’épreuve, le potentiel disponible derrière les limites.
La relation, un gisement de progrès à exploiter
Les méthodes et processus continuent de nous offrir des voies de productivité et d’innovation dont notre humanité a besoin. Mais le développement des relations est un autre gisement de progrès considérable, conditionnant la réussite du premier, portant des fruits dès les premiers pas, tant au plan de la mission du groupe qu’à celui de la croissance des personnes.
Dis, grand-père…
Un des plus beaux exemples d’interactions entre ces plans a été un travail conduit auprès des membres d’un gouvernement africain nouvellement composé. Lors d’un séminaire de trois jours en résidentiel, nous les avons aidés à formaliser leur vision pour leur pays. Nous adaptant à la culture locale, nous les avons invités à prendre un temps de réflexion individuelle avec la question suivante : « Quand vous serez vieux, retirés des affaires, qu’est-ce que vous répondrez à vos petits-enfants qui vous demanderont : Dis, grand-père (grand-mère), qu’est-ce que tu as voulu faire de notre pays quand tu étais ministre ? » C’est en allant chercher le meilleur de leur « qualité d’être », puis en partageant en vérité leurs visions personnelles en sous-groupes, qu’ils ont pu définir ensemble leur projet pour leur pays, concevoir puis mettre en œuvre un plan d’actions de gouvernement lui assurant un développement cohérent.