De la responsabilité sociétale des entreprises à celle de leurs dirigeants
On compte aussi sur les entreprises pour qu’elles assument un rôle d’éducateur
La raison d’être des entreprises est de fournir à leurs clients des biens et services, fruits de savoir-faire qu’elles maîtrisent. Les parties prenantes ont chacune leurs attentes : les actionnaires un retour sur investissement, les collaborateurs un salaire, les collectivités publiques des rentrées fiscales, etc.
Sans prétendre dresser un inventaire exhaustif des sujets entrant dans le champ des questions sociétales, on pense à l’emploi, à la formation, à l’éducation, aux droits de l’homme, aux ressources naturelles, au recyclage des déchets, à l’innovation technologique, etc.
REPÈRES
La « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE), surtout des plus grandes, est définie par la Commission européenne comme un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire ».
Le Robert date le mot « sociétal » de 1979 et le définit comme ce qui est « relatif à la société, à ses valeurs, à ses institutions », autrement dit à tout ce qui touche l’opinion publique, à ce que véhicule l’air du temps.
La norme ISO 26 000, adoptée en 2010, reprend ce concept et le rattache principalement à deux principes : s’inscrire dans une logique de développement durable en assumant les impacts de ses activités sur l’environnement et la société ; en rendre compte en s’appuyant sur des indicateurs crédibles et transparents.
L’emploi d’abord
L’emploi est un problème majeur dans le monde développé, et les principaux pourvoyeurs d’emplois qui ne pèsent pas sur les finances publiques sont les entreprises. On n’est plus seulement dans l’attente individuelle d’un emploi, mais dans l’attente collective d’une capacité d’embauche des entreprises.
Une vertu éducative
La discipline nécessaire au bon fonctionnement des entreprises a une vertu éducative, avec ses échecs, qui prennent la forme d’abandon de poste par des jeunes qui préfèrent les allocations au travail. C’est ce qu’on attend d’elles.
Et l’on voudrait qu’elles assument une responsabilité dans le développement des territoires. Compte tenu de l’évolution rapide des métiers, on attend d’elles aussi non seulement qu’elles contribuent à la formation de leur personnel aux métiers qu’ils y exercent, mais aussi qu’elles intègrent l’idée de l’employabilité et donnent à leurs salariés les moyens d’évoluer vers d’autres activités que celles qu’ils exercent à un moment donné.
On compte aussi sur elles, quand elles embauchent des jeunes, pour qu’elles les sociabilisent, qu’elles leur apprennent la politesse, le respect des horaires, bref, qu’elles assument un rôle d’éducateur.
Lutter contre les discriminations
La société assigne des missions d’intégration à l’entreprise, de lutte contre les exclusions et les discriminations. En France, l’Assemblée nationale impose par la loi des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées.
La contribution des entreprises à l’évolution des cultures et à la préservation de la diversité culturelle est aussi prise en considération dans des multinationales qui savent que c’est une condition de leur développement.
Responsabilité sans frontières
Les exigences de la RSE ne connaissent pas les frontières des États. Elles pèsent plus ou moins sur l’entreprise selon les pays, et c’est un vrai problème quand il y a concurrence. Les opinions publiques des pays évolués souhaitent le respect des droits de l’homme partout dans le monde. On ne peut que s’en féliciter, mais l’application des principes nécessiterait parfois une meilleure prise en compte de la complexité des situations ; par exemple, lutter contre le travail des enfants est une grande et belle cause, mais le proscrire brutalement sans accompagnement, sans garantie que les enfants puissent vivre décemment, échapper par exemple à la prostitution et aller à l’école, peut être contre-productif.
Des études menées par des précurseurs de la RSE ont montré avec quelle prudence il fallait traiter de tels sujets, sans transiger sur les principes, mais en veillant aux conditions réelles de leur mise en œuvre.
Respecter l’environnement
En matière d’environnement, les exigences sont fortes et des données comme l’empreinte carbone ou la possibilité de recycler les produits entrent de plus en plus dans les critères d’achat des consommateurs.
On demande aux entreprises de contribuer activement au progrès par l’offre de nouveaux produits, la mise en œuvre de nouvelles technologies et l’évolution des modes de production.
Contribuer à l’innovation
La société attend beaucoup des entreprises en matière d’innovation
La société attend beaucoup des entreprises en matière d’innovation. Même si les États contribuent à la recherche fondamentale et soutiennent l’industrie par leurs programmes militaires ou spatiaux, l’essentiel des innovations technologiques qui conditionnent le monde dans lequel nous vivons, qu’il s’agisse d’énergie, de transport, d’alimentation, d’informatique, de téléphonie, de pharmacie, vient des entreprises.
Le revers de la médaille
Des exigences montent parfois et envahissent le débat public, sans base rationnelle suffisante et sans que tous ceux qui les endossent en connaissent les enjeux réels.
Un progrès incontestable
Il y a encore bien d’autres sujets sociétaux, des congés de paternité au refus des tests de produits pharmaceutiques ou cosmétiques sur animaux vivants, en passant par la lutte contre le tabagisme passif ou la réduction des volumes d’ordures ménagères préalablement triées, etc.
Si certains sujets paraissent dérisoires par rapport à d’autres, ou certaines exigences excessives, au total, la prise en compte de la responsabilité sociétale des entreprises est le signe d’une évolution où chacun est plus averti, où tout est interconnecté et traçable, où l’on voudrait que plus rien ne soit laissé au hasard ou aux habitudes. Appréhender ouvertement ces responsabilités qui, au fond, existaient est un progrès.
La société peut s’enticher de causes plus ou moins fondées et leur donner une importance excessive, avec des effets pires que ceux qu’on fuit : on s’inquiète beaucoup moins de l’épuisement des métaux rares nécessaires aux batteries que de celui du pétrole ; on parle peu du recyclage des batteries, pourtant appelées à se multiplier dans les voitures hybrides ou tout électrique ; les sources d’énergie dites alternatives ne font pas l’objet de procès aussi structurés que les sources établies.
Les conséquences de certains choix sortent du champ prévu ; par exemple, le développement des biocarburants en vue d’une substitution au moins partielle aux carburants fossiles vient en réalité buter sur la question de l’affectation des sols à l’alimentation de la population mondiale.
Une forme d’obscurantisme peut émerger du processus pourtant vertueux d’une plus grande vigilance de la société par rapport à ce qu’elle engendre, comme dans le cas des OGM. Qui sait exactement dans le public ce que sont les OGM ? Qui a une idée des dangers qu’on leur prête ? Sans doute pas tous ceux qui s’y déclarent hostiles.
Loi et consumérisme actif
Les exigences de la cité s’expriment par différents canaux : Internet et les réseaux sociaux, la loi, le consumérisme actif, l’investissement socialement responsable, les ONG et sans doute d’autres encore.
La loi est bien dans la tradition française où l’intérêt général est souvent considéré comme l’apanage des pouvoirs publics ; on a même constitutionnalisé le principe de précaution. C’est la forme d’expression la plus abrupte, mais le consumérisme actif, plus présent dans des pays moins enclins à légiférer, peut être très sévère aussi quand il conduit au boycott de marques au motif qu’elles-mêmes ou leurs sous-traitants ne se conforment pas à certaines convenances.
Investir socialement
Les entreprises conscientes de leur responsabilité sociétale se développent mieux que les autres
L’investissement socialement responsable prend de l’importance pour les entreprises. Le fait que des investisseurs institutionnels excluent certaines entreprises de fonds dits éthiques qu’ils gèrent, au motif qu’elles ne respectent pas un certain nombre d’exigences sociales ou environnementales, n’est pas anodin sur les conditions de financement et de développement de ces entreprises.
Quand c’est leur métier qui par nature pose problème, comme l’armement ou le tabac, il leur est difficile de s’adapter ; mais quand ce sont leurs pratiques qui sont en cause, elles ont des efforts à faire pour tenir compte des attentes de la cité que les agences de notation extrafinancière suivent de près.
Les investisseurs institutionnels observent que les contraintes de l’investissement socialement responsable qu’ils appliquent à ces fonds spéciaux, loin de porter atteinte à leur performance, en favorisent au contraire le rendement dans la durée. Les entreprises conscientes de leur responsabilité sociétale et organisées pour l’assumer se développeraient donc mieux que les autres, ce qui est très encourageant.
Tant la Commission européenne que la norme ISO mettent en avant l’initiative volontaire des entreprises. En réalité, les entreprises n’échappent ni à l’air du temps, ni aux lois qui en découlent. Mais elles peuvent aller plus loin et être initiatrices de progrès sur les sujets sociétaux, que ce soit par engagement sincère de leurs dirigeants ou par souci de leur image.
Réfléchir ensemble
De nombreux cercles, parfois anciens, réunissent des chefs d’entreprises soucieux de réfléchir ensemble aux progrès possibles dans l’approche des personnes ou de l’environnement ; les sujets ne sont jamais épuisés, car le comportement des personnes évolue, la compréhension des jeunes générations est un défi pour chaque époque et les enjeux de l’environnement évoluent avec les progrès techniques.
Le manifeste pour la première embauche a été signé par des centaines de chefs d’entreprises qui s’engagent à en respecter les différentes dispositions, de la volonté de recruter des débutants à la manière de les accueillir en passant par le refus des faux stages et au contraire l’accueil de jeunes sans connexion privilégiée pour les stages devenus obligatoires dans beaucoup de cursus.
La responsabilité des dirigeants
Il ne suffit pas d’avancer, encore faut-il, on l’a vu, pouvoir en faire état et le prouver. L’exécution et la conformité sont des sujets clés pour les entreprises et leurs dirigeants. La responsabilité personnelle des dirigeants est de plus en plus invoquée pour tout ce qui met en cause leurs entreprises. En contrepoint, ils sont aussi de plus en plus impliqués personnellement dans l’engagement de leurs entreprises sur les questions sociétales.
Leur rôle positif dans la construction du monde vaut bien qu’on mette en valeur, autant que la « responsabilité sociétale des entreprises », la « responsabilité sociétale des dirigeants. »