De la solidarité à l’entrepreneuriat
Après avoir choisi comme spécialisation le champ des mathématiques appliquées et de l’économie a germé, avec ma fiancée, elle aussi en fin d’études, l’idée de consacrer nos premières années professionnelles au volontariat, dans le cadre d’une mission à l’étranger au lendemain de notre mariage.
Des conditions modestes mais justes
L’ONG « Fidesco » nous a offert le cadre idéal pour vivre ce projet personnel. Fondée il y a trente ans, cette organisation propose à des volontaires de partir en mission d’un ou deux ans, pour exercer leurs compétences professionnelles dans des pays en voie de développement.
“ Les volontaires ne choisissent ni leur pays, ni leur mission ”
Au plan juridique, les deux cents volontaires qui partent chaque année bénéficient du statut de VSI (Volontaire de solidarité internationale). Ils ne reçoivent pas de salaire, mais une indemnité alimentaire leur permettant de vivre et de travailler dans des conditions « modestes, mais justes », pour le compte d’une œuvre locale.
La première originalité de Fidesco tient au fait que les volontaires ne choisissent ni leur pays ni leur mission d’affectation. Ils sont cependant libres d’accepter ou non la proposition qui leur est faite.
La seconde est qu’ils partent « comme ils sont », et c’est cette disponibilité pour le service qui est le premier « critère » de recrutement. Un couple de volontaires part avec deux missions professionnelles bien distinctes au même endroit.
Notre affectation est tombée au mois de mai 2009. Nous étions envoyés à Manado, en Indonésie, pour y être professeurs d’université.
Malgré les difficultés de la vie quotidienne locale, cette expérience aura été d’une grande richesse sur le plan personnel, bien loin de l’image de sacrifice, ou de « renoncement » professionnel que d’aucuns voyaient dans un départ en mission au sortir de nos études.
Cours d’anglais aux élèves de l’université.
L’ACCÈS DE TOUS À L’INSTRUCTION
C’est en 2001 qu’est née l’Universitas Katolik De La Salle, sous l’impulsion de l’évêque de Manado, Mgr Josef Suwatan, en partenariat avec les Frères des écoles chrétiennes, congrégation enseignante fondée au XVIIe siècle, en France, par saint Jean-Baptiste de La Salle.
L’intuition de cet éducateur visionnaire, inspirateur de l’école gratuite, était de favoriser l’émergence d’une société plus juste et plus fraternelle, en promouvant l’accès de tous à l’instruction. C’est dans ce cadre que nous avons été appelés à travailler durant ces deux années (2009−2011) : à la fois comme professeurs (mathématiques, économie et anglais en ce qui me concernait), mais aussi comme membres de l’équipe enseignante.
Acquérir une crédibilité
Gagné sur la jungle, le campus de l’université De La Salle est implanté en périphérie de la ville de Manado (Sulawesi du Nord, Indonésie), et fait face au volcan Klabat.
De retour en France, j’ai emprunté la voie de l’informatique en rejoignant Smile, une société de services spécialisée dans la conception et le développement de plateformes Web. Bien loin de mes projets initiaux, cette nouvelle orientation professionnelle est le fruit du hasard de mes années de mission en Indonésie.
En effet, parallèlement à mes cours à l’université, le recteur m’avait demandé de prendre en charge le développement de la plateforme Web de l’université, me conduisant à approfondir un domaine dont j’ignorais tout jusque-là.
J’ai découvert alors un environnement professionnel dans lequel le fait d’être issu d’une grande école, fût-elle prestigieuse, est loin d’être un passeport universel.
Dans cette SSII marquée par une culture très technique, les plus diplômés se taisent et écoutent les conseils des plus compétents, et c’est avant tout par la connaissance technique des environnements que s’acquièrent la crédibilité et la légitimité pour piloter une équipe de développeurs.
Essayer la vente en ligne
Fort de cette nouvelle compétence technique dans le Web, je découvris combien elle rejoignait une aspiration entrepreunariale personnelle que je cultivais depuis quelque temps avec mon épouse, celle de la vente en ligne.
“ Que représente une expérience atypique à l’échelle d’une vie professionnelle ? ”
Si les risques associés nous avaient jusque-là dissuadés de nous y lancer, la perspective de maîtriser un aspect essentiel de ce projet (la conception et la réalisation de la plateforme Web) le rendait alors plus accessible, et je résolus de m’y atteler en parallèle de mon poste chez Smile.
Une première expérience dans la vente en ligne d’accessoires de mode et de décoration, confectionnés dans des tissus traditionnels indonésiens (batik), nous permit de nous familiariser avec le métier de la vente en ligne, dans ses aspects tant techniques que marketing.
PAPAETMAMAN
Mais c’est durant l’été 2013 que devait germer le projet qui occupe désormais l’essentiel de nos activités entrepreneuriales. Sous le nom de Papaetmaman.fr, il s’agit d’une plateforme de vente en ligne qui rassemble une communauté grandissante de créatrices (plus de cent vingt à ce jour) dans le domaine du fait-main pour enfants.
“ Prenez le temps de discerner la voie dans laquelle vous vous reconnaîtrez le plus ”
L’idée est de leur offrir une vitrine sur mesure qui mette en valeur leur travail de création, qu’elles mènent bien souvent en parallèle de leurs occupations familiales et professionnelles.
Lancé en décembre 2013, le site a rapidement trouvé son public, pour offrir en octobre 2014 un catalogue de près de 2 500 créations uniques et personnalisables, dans les domaines de l’habillement, des accessoires ou de la décoration intérieure.
La rentrée aura confirmé l’intérêt du public et des créatrices pour ce type de plateforme de réseau social, et nous abordons 2015 avec l’objectif de mener à bien de nombreux développements de ce concept avec le soutien de partenaires et investisseurs.
Un creuset pour les projets
Au plan personnel, cette nouvelle opportunité professionnelle est surtout une confirmation de plus que ces deux années de service en Indonésie, qui m’auront permis de mûrir mon orientation, sont loin de n’avoir été qu’une simple « parenthèse », mais bien au contraire le creuset de mes projets actuels.
Moment de détente avec quelques-uns de nos étudiants et voisins du campus de l’université, originaires de Papouasie. À nos pieds, les restes du repas — un babi bakar batu, festin traditionnel papou consistant à cuire des morceaux de porc dans des feuilles de bananier enterrées sous des pierres brûlantes.
À y regarder de plus près, que représente une expérience atypique d’un ou deux ans à l’échelle d’une carrière professionnelle ?
On peut, certes, y « perdre » un peu de technicité dans son domaine (elle revient vite) ; on y fera certainement un peu moins d’économies sur son plan épargne. Et l’idée de repartir « à zéro » dans sa recherche d’emploi deux ans après le reste de sa promotion n’est pas réjouissante.
Mais ces inconvénients sont sans commune mesure avec la liberté intérieure que procure le fait d’avoir donné une certaine gratuité à ces deux années, et la satisfaction d’y avoir laissé place à l’inconnu. Ainsi, l’essentiel de ce que nous sommes aujourd’hui (vie professionnelle, familiale, etc.) n’est-il pas le fruit de rencontres et d’événements que nous n’avons pas prévus, mais simplement accueillis ?
À tous les nouveaux jeunes diplômés, et plus encore aux élèves qui voient la fin de leur cursus polytechnicien se profiler sans qu’une filière professionnelle particulière ne les attire immédiatement, j’aimerais ainsi donner ce simple conseil : « Ne laissez pas le hasard d’un stage ou d’un classement décider de l’orientation de votre vie professionnelle, mais prenez le temps de discerner la voie dans laquelle vous vous reconnaîtrez le plus. »