De la solidarité à l’entrepreneuriat

Dossier : TrajectoiresMagazine N°700 Décembre 2014
Par Etienne COURSIMAULT (05)

Après avoir choi­si comme spé­cia­li­sa­tion le champ des mathé­ma­tiques appli­quées et de l’économie a ger­mé, avec ma fian­cée, elle aus­si en fin d’études, l’idée de consa­crer nos pre­mières années pro­fes­sion­nelles au volon­ta­riat, dans le cadre d’une mis­sion à l’étranger au len­de­main de notre mariage.

Des conditions modestes mais justes

L’ONG « Fides­co » nous a offert le cadre idéal pour vivre ce pro­jet per­son­nel. Fon­dée il y a trente ans, cette orga­ni­sa­tion pro­pose à des volon­taires de par­tir en mis­sion d’un ou deux ans, pour exer­cer leurs com­pé­tences pro­fes­sion­nelles dans des pays en voie de développement.

“ Les volontaires ne choisissent ni leur pays, ni leur mission ”

Au plan juri­dique, les deux cents volon­taires qui partent chaque année béné­fi­cient du sta­tut de VSI (Volon­taire de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale). Ils ne reçoivent pas de salaire, mais une indem­ni­té ali­men­taire leur per­met­tant de vivre et de tra­vailler dans des condi­tions « modestes, mais justes », pour le compte d’une œuvre locale.

La pre­mière ori­gi­na­li­té de Fides­co tient au fait que les volon­taires ne choi­sissent ni leur pays ni leur mis­sion d’affectation. Ils sont cepen­dant libres d’accepter ou non la pro­po­si­tion qui leur est faite.

La seconde est qu’ils partent « comme ils sont », et c’est cette dis­po­ni­bi­li­té pour le ser­vice qui est le pre­mier « cri­tère » de recru­te­ment. Un couple de volon­taires part avec deux mis­sions pro­fes­sion­nelles bien dis­tinctes au même endroit.

Notre affec­ta­tion est tom­bée au mois de mai 2009. Nous étions envoyés à Mana­do, en Indo­né­sie, pour y être pro­fes­seurs d’université.

Mal­gré les dif­fi­cul­tés de la vie quo­ti­dienne locale, cette expé­rience aura été d’une grande richesse sur le plan per­son­nel, bien loin de l’image de sacri­fice, ou de « renon­ce­ment » pro­fes­sion­nel que d’aucuns voyaient dans un départ en mis­sion au sor­tir de nos études.

Cours d’an­glais aux élèves de l’université.

L’ACCÈS DE TOUS À L’INSTRUCTION

C’est en 2001 qu’est née l’Universitas Katolik De La Salle, sous l’impulsion de l’évêque de Manado, Mgr Josef Suwatan, en partenariat avec les Frères des écoles chrétiennes, congrégation enseignante fondée au XVIIe siècle, en France, par saint Jean-Baptiste de La Salle.
L’intuition de cet éducateur visionnaire, inspirateur de l’école gratuite, était de favoriser l’émergence d’une société plus juste et plus fraternelle, en promouvant l’accès de tous à l’instruction. C’est dans ce cadre que nous avons été appelés à travailler durant ces deux années (2009−2011) : à la fois comme professeurs (mathématiques, économie et anglais en ce qui me concernait), mais aussi comme membres de l’équipe enseignante.

Acquérir une crédibilité

Vue du volcan Klabat depuis le campus de l'université De La Salle
Gagné sur la jungle, le cam­pus de l’u­ni­ver­si­té De La Salle est implan­té en péri­phé­rie de la ville de Mana­do (Sula­we­si du Nord, Indo­né­sie), et fait face au vol­can Klabat.

De retour en France, j’ai emprun­té la voie de l’informatique en rejoi­gnant Smile, une socié­té de ser­vices spé­cia­li­sée dans la concep­tion et le déve­lop­pe­ment de pla­te­formes Web. Bien loin de mes pro­jets ini­tiaux, cette nou­velle orien­ta­tion pro­fes­sion­nelle est le fruit du hasard de mes années de mis­sion en Indonésie.

En effet, paral­lè­le­ment à mes cours à l’université, le rec­teur m’avait deman­dé de prendre en charge le déve­lop­pe­ment de la pla­te­forme Web de l’université, me condui­sant à appro­fon­dir un domaine dont j’ignorais tout jusque-là.

J’ai décou­vert alors un envi­ron­ne­ment pro­fes­sion­nel dans lequel le fait d’être issu d’une grande école, fût-elle pres­ti­gieuse, est loin d’être un pas­se­port universel.

Dans cette SSII mar­quée par une culture très tech­nique, les plus diplô­més se taisent et écoutent les conseils des plus com­pé­tents, et c’est avant tout par la connais­sance tech­nique des envi­ron­ne­ments que s’acquièrent la cré­di­bi­li­té et la légi­ti­mi­té pour pilo­ter une équipe de développeurs.

Essayer la vente en ligne

Fort de cette nou­velle com­pé­tence tech­nique dans le Web, je décou­vris com­bien elle rejoi­gnait une aspi­ra­tion entre­preu­na­riale per­son­nelle que je culti­vais depuis quelque temps avec mon épouse, celle de la vente en ligne.

“ Que représente une expérience atypique à l’échelle d’une vie professionnelle ? ”

Si les risques asso­ciés nous avaient jusque-là dis­sua­dés de nous y lan­cer, la pers­pec­tive de maî­tri­ser un aspect essen­tiel de ce pro­jet (la concep­tion et la réa­li­sa­tion de la pla­te­forme Web) le ren­dait alors plus acces­sible, et je réso­lus de m’y atte­ler en paral­lèle de mon poste chez Smile.

Une pre­mière expé­rience dans la vente en ligne d’accessoires de mode et de déco­ra­tion, confec­tion­nés dans des tis­sus tra­di­tion­nels indo­né­siens (batik), nous per­mit de nous fami­lia­ri­ser avec le métier de la vente en ligne, dans ses aspects tant tech­niques que marketing.

PAPAETMAMAN

Mais c’est durant l’été 2013 que devait ger­mer le pro­jet qui occupe désor­mais l’essentiel de nos acti­vi­tés entre­pre­neu­riales. Sous le nom de Papaetmaman.fr, il s’agit d’une pla­te­forme de vente en ligne qui ras­semble une com­mu­nau­té gran­dis­sante de créa­trices (plus de cent vingt à ce jour) dans le domaine du fait-main pour enfants.

“ Prenez le temps de discerner la voie dans laquelle vous vous reconnaîtrez le plus ”

L’idée est de leur offrir une vitrine sur mesure qui mette en valeur leur tra­vail de créa­tion, qu’elles mènent bien sou­vent en paral­lèle de leurs occu­pa­tions fami­liales et professionnelles.

Lan­cé en décembre 2013, le site a rapi­de­ment trou­vé son public, pour offrir en octobre 2014 un cata­logue de près de 2 500 créa­tions uniques et per­son­na­li­sables, dans les domaines de l’habillement, des acces­soires ou de la déco­ra­tion intérieure.

La ren­trée aura confir­mé l’intérêt du public et des créa­trices pour ce type de pla­te­forme de réseau social, et nous abor­dons 2015 avec l’objectif de mener à bien de nom­breux déve­lop­pe­ments de ce concept avec le sou­tien de par­te­naires et investisseurs.

Un creuset pour les projets

Au plan per­son­nel, cette nou­velle oppor­tu­ni­té pro­fes­sion­nelle est sur­tout une confir­ma­tion de plus que ces deux années de ser­vice en Indo­né­sie, qui m’auront per­mis de mûrir mon orien­ta­tion, sont loin de n’avoir été qu’une simple « paren­thèse », mais bien au contraire le creu­set de mes pro­jets actuels.

Moment de détente avec quelques-uns de nos étudiants
Moment de détente avec quelques-uns de nos étu­diants et voi­sins du cam­pus de l’u­ni­ver­si­té, ori­gi­naires de Papoua­sie. À nos pieds, les restes du repas — un babi bakar batu, fes­tin tra­di­tion­nel papou consis­tant à cuire des mor­ceaux de porc dans des feuilles de bana­nier enter­rées sous des pierres brûlantes.

À y regar­der de plus près, que repré­sente une expé­rience aty­pique d’un ou deux ans à l’échelle d’une car­rière professionnelle ?

On peut, certes, y « perdre » un peu de tech­ni­ci­té dans son domaine (elle revient vite) ; on y fera cer­tai­ne­ment un peu moins d’économies sur son plan épargne. Et l’idée de repar­tir « à zéro » dans sa recherche d’emploi deux ans après le reste de sa pro­mo­tion n’est pas réjouissante.

Mais ces incon­vé­nients sont sans com­mune mesure avec la liber­té inté­rieure que pro­cure le fait d’avoir don­né une cer­taine gra­tui­té à ces deux années, et la satis­fac­tion d’y avoir lais­sé place à l’inconnu. Ain­si, l’essentiel de ce que nous sommes aujourd’hui (vie pro­fes­sion­nelle, fami­liale, etc.) n’est-il pas le fruit de ren­contres et d’événements que nous n’avons pas pré­vus, mais sim­ple­ment accueillis ?

À tous les nou­veaux jeunes diplô­més, et plus encore aux élèves qui voient la fin de leur cur­sus poly­tech­ni­cien se pro­fi­ler sans qu’une filière pro­fes­sion­nelle par­ti­cu­lière ne les attire immé­dia­te­ment, j’aimerais ain­si don­ner ce simple conseil : « Ne lais­sez pas le hasard d’un stage ou d’un clas­se­ment déci­der de l’orientation de votre vie pro­fes­sion­nelle, mais pre­nez le temps de dis­cer­ner la voie dans laquelle vous vous recon­naî­trez le plus. »


La pla­te­forme Web papaetmaman.fr 

Poster un commentaire