De l’art de coincer les bulles
Charles Baroud, avec Nicolas Taccoen, doctorant à l’École polytechnique/CNRS et Deniz Gunes, chercheur au Centre de recherche Nestlé à Lausanne (Suisse) a réussi à identifier les conditions qui prolongent la « vie » des bulles dans les mousses.
En microfluidique, les effets des interfaces non miscibles deviennent dominants.
Les mousses sont partout : dans l’alimentaire comme pour la mousse au chocolat, dans la cosmétique avec la mousse à raser ou encore dans le bâtiment avec la mousse isolante utilisée pour les murs d’une habitation. Une mousse se compose de bulles qui sont des structures dynamiques pouvant fusionner entre elles, mais aussi croître ou diminuer et disparaître en l’espace de quelques secondes. L’enjeu des recherches menées par notre équipe est de stabiliser les bulles dans le temps afin que la mousse conserve son aspect et ses propriétés initiales le plus longtemps possible.
Des bulles caparaçonnées
La façon la plus courante de stabiliser une mousse est d’ajouter un émulsifiant moléculaire, composante essentielle qui stabilise les bulles d’air afin qu’elles ne fusionnent pas entre elles. Toutefois, une solution alternative déjà connue consiste à recouvrir la surface des bulles avec de petites particules solides, telles que par exemple des billes de protéines pour une mousse alimentaire.
Mais, jusqu’ici, on ne savait pas expliquer les équilibres physiques sous-jacents à cette approche. L’équipe de l’École polytechnique a été la première à y répondre, dans le cadre d’un contrat de recherche avec le groupe Nestlé. Ces travaux ont été publiés dans la revue Physical Review X.
Pourquoi faire des bulles ?
Les applications potentielles sont nombreuses. On peut imaginer d’utiliser des particules naturellement présentes dans les aliments pour stabiliser les mousses. Ces effets peuvent aussi être poussés en contrôlant la forme de ces particules ou les interactions entre elles, afin de produire des coques encore plus résistantes.
Les mousses étant présentes dans de nombreux domaines, des applications de ces résultats de recherche pourraient voir le jour dans l’industrie cosmétique, pharmaceutique ou encore dans le bâtiment. Dans le secteur du BTP, le béton cellulaire, composé de bulles qui sont recouvertes de particules de gravier ou de ciment, pourrait aussi bénéficier de ces avancées. Grâce à des bulles plus stables, le béton cellulaire ou béton de mousse pourrait être allégé tout en conservant ses qualités de résistance, et l’on pourrait imaginer des matériaux qui n’existent pas encore aujourd’hui avec une empreinte carbone réduite.
Une approche macroscopique complexe
L’approche microfluidique permet d’identifier et de comprendre les conditions qui conduisent à l’effondrement des bulles, à travers des mesures de la résistance d’une bulle unique qui est recouverte avec des particules. Mais quand on considère une mousse qui assemble plusieurs millions de bulles, le comportement global devient extrêmement complexe à étudier. Il y a donc toute une physique de la complexité qui entre en jeu, avec l’appel à des modèles théoriques – développés en collaboration avec Benjamin Dollet de l’université de Rennes‑I.
Des bulles aux gouttes
Les bulles et les gouttes sont très semblables du point de vue de la mécanique des fluides. Les mêmes techniques de microfluidique s’appliquent, mais avec des domaines d’application très différents. Par exemple, on peut faire de la biologie dans des gouttes : chaque goutte se transforme en microtube à essai, ce qui permet de faire des expériences sur des cellules individuelles, en manipulant une cellule (humaine ou bactérienne, etc.) unique par goutte par exemple. On accède alors à des phénomènes qui auraient été gommés par l’effet des grands nombres quand on fait des expériences à l’échelle plus macroscopique. Et comme les gouttes sont très petites, on peut réaliser un grand nombre d’expériences en parallèle sur un même support : plusieurs milliers sur 2 cm² !
Les bulles réservent encore des surprises
Notre technique spécifique, qui consiste à isoler une bulle unitaire dans un microcanal, a fait l’objet de dépôt de brevets par l’X. Elle permet de contrôler la taille de la bulle et sa couverture par des microparticules. On a pu ainsi évaluer l’incidence de la taille de ces microparticules sur la tenue des bulles, et se poser la question : vaut-il mieux utiliser de grandes ou de petites particules pour obtenir un meilleur résultat ? En fait, personne ne savait répondre à cette question. Et la réponse a été inattendue : la taille des particules n’a pas d’importance. Ce qui nous conduira à explorer d’autres paramètres à l’avenir comme la forme, la nature et les autres propriétés de ces particules.