Stéphane Le Viet (X99), cofondateur de l’école M

De l’entrepreneuriat tech à l’école maternelle Stéphane Le Viet (X99), cofondateur de l’école M

Dossier : TrajectoiresMagazine N°803 Mars 2025
Par Dominique VALENTINY (X84)

En 2017 Sté­phane Le Viet (X99), serial entre­pre­neur de la Tech, a cofon­dé un réseau d’écoles mater­nelles bilingues à impact social : l’école M et la Fon­da­tion 2 000 jours. Son objec­tif est de faire de la réus­site sco­laire une réa­li­té pour tous les enfants et de contri­buer à réduire les inéga­li­tés, qui se creusent dès la maternelle.

Stéphane, tu as cofondé Multiposting, une start-up technologique à succès. Quel est ton parcours entrepreneurial et qu’est-ce qui t’a conduit à cette aventure ? 

En 1994, alors que j’étais encore ado­les­cent, j’ai eu la chance de décou­vrir le monde du web et je me suis pas­sion­né pour la créa­tion de sites Inter­net. À 15 ans, je lan­çais des sites au sujet de séries télé comme Friends ou X‑Files. Grâce à ça, j’ai com­men­cé à gagner un peu d’argent et, plus tard, j’ai lan­cé un autre site dédié au ciné­ma : 6nema.com. En paral­lèle avec mes études en France et aux États-Unis, je n’ai donc jamais quit­té l’univers entrepreneurial.

Après quatre ans dans des car­rières clas­siques pour un jeune diplô­mé – le conseil à New York et la finance à Londres – j’ai déci­dé de créer ma pre­mière start-up, Mul­ti­pos­ting, avec Gau­tier Mache­lon, mon meilleur ami. Fon­dée en 2008, Mul­ti­pos­ting pro­po­sait une solu­tion de mul­ti­dif­fu­sion d’offres d’emploi sur le web. Nous avons créé l’entreprise à 50/50 avec Gau­tier et, après un finan­ce­ment ini­tial de 100 000 euros, nous nous sommes ­dévelop­pés en auto­fi­nan­ce­ment. Quelques années plus tard, nous avons ven­du l’entreprise à SAP ; Mul­ti­pos­ting géné­rait alors 10 mil­lions d’euros de chiffre d’affaires et était très rentable.

Après la vente de Multiposting, tu t’es lancé un nouveau défi : entreprendre aux États-Unis. Peux-tu m’en parler ?

Après cette pre­mière aven­ture, avec Gau­tier nous avons déci­dé de nous lan­cer aux États-Unis, dans le domaine du recru­te­ment tou­jours : Work4 est née. Work4, c’est une solu­tion per­met­tant aux entre­prises de recru­ter sur Face­book. À l’époque, Lin­ke­dIn était en train de révo­lu­tion­ner le recru­te­ment des cadres. L’idée était de déve­lop­per la même chose, mais pour les non-cadres. Nous avons donc créé une solu­tion tech­no­lo­gique pour recru­ter via Facebook.

Por­tés par la réus­site de Mul­ti­pos­ting et son rachat par SAP, nous avons rapi­de­ment levé 11 mil­lions de dol­lars auprès du fonds amé­ri­cain Matrix Part­ners et j’ai démé­na­gé à San Fran­cis­co avec ma famille. Pour ren­for­cer l’équipe, je me suis tout de suite asso­cié avec un jeune diplô­mé de Ber­ke­ley qui avait été admis à Har­vard Law School et qui déci­da de dro­pout pour nous rejoindre. À l’époque, cette prise de risque m’avait beau­coup impres­sion­né et illus­trait bien une cer­taine dif­fé­rence de men­ta­li­té entre les États-Unis et la France. J’avais recru­té Matt à dis­tance, je lui ai envoyé un billet d’avion pour venir me ren­con­trer à Paris, et c’est comme ça que tout a démarré.

L’expérience amé­ri­caine a été beau­coup plus dif­fi­cile. Gérer des équipes entre les États-Unis et la France, c’était un vrai défi pour moi. Et puis le pro­duit n’était pas assez per­for­mant au début, et il était dif­fi­cile de four­nir des can­di­dats via Face­book à un coût attrac­tif. Il y a eu des hauts et des bas et, à un moment, j’ai sou­hai­té pas­ser la main et un nou­veau CEO m’a rem­pla­cé. La socié­té s’est déve­lop­pée opé­ra­tion­nel­le­ment sans moi, mais je suis res­té au conseil d’administration avec Gau­tier. Aujourd’hui Work4 deve­nue Sei­za vient d’être ven­due à Adzu­na, une socié­té anglaise.

Après Multiposting et Work4, pourquoi t’es-tu tourné vers l’éducation, et plus spécifiquement vers les écoles maternelles avec l’école M ? 

En 2014, je suis ren­tré à Paris pour cofon­der avec deux asso­ciés une nou­velle start-up : Legal­start. Après quelques années à par­ti­ci­per avec suc­cès au déve­lop­pe­ment de l’entreprise, j’ai déci­dé de lan­cer un nou­veau pro­jet dans un sec­teur qui me pas­sionne et me tient à cœur, l’éducation. J’ai tou­jours aimé l’école, j’ai eu des parents extra­or­di­naires, j’étais bon élève et plu­sieurs profs m’ont mar­qué. Mon par­cours sco­laire m’a beau­coup appor­té : une école bilingue jusqu’au col­lège, Louis-le-Grand au lycée, une pré­pa à Ginette, l’X et puis Har­vard comme der­nière année.

Deve­nu père et de retour des États-Unis où j’avais vu beau­coup de choses inté­res­santes qui m’ont ins­pi­ré, je vou­lais créer un pro­jet avec un impact durable. Avec un de mes meilleurs amis d’enfance, Maxime Faguer, nous avons donc fon­dé l’école M ; c’est aujourd’hui un réseau de six écoles mater­nelles bilingues à Paris et en région pari­sienne. Nous avons éga­le­ment déve­lop­pé une pla­te­forme tech­no­lo­gique, jenseigne.fr, qui met à dis­po­si­tion un moteur de recherche de res­sources péda­go­giques pour les ensei­gnants (blogs d’enseignants, sites ins­ti­tu­tion­nels, édi­teurs sco­laires, etc.).

Contrai­re­ment à mes pro­jets pré­cé­dents (Mul­ti­pos­ting, Work4, Legal­start), où l’objectif était pré­cis (mon­ter, déve­lop­per, vendre), ce pro­jet s’inscrit dans le temps long et a une dimen­sion d’impact très forte (30 % des enfants sco­la­ri­sés dans nos écoles béné­fi­cient d’une aide financière).

Chaque classe est multi-niveaux et accueille une vingtaine d’enfants.
Chaque classe est mul­ti-niveaux et accueille une ving­taine d’enfants.

La création de l’école M repose sur des principes innovants. Quelle est la vision et quelles sont les valeurs derrière ce projet ?

Nous avons créé l’école M afin de faire de la réus­site sco­laire une réa­li­té pour tous les enfants et de per­mettre à chaque enfant de déve­lop­per son poten­tiel, quels que soient ses goûts, ses inté­rêts, son rythme et ses forces. Comme l’a mon­tré le Prix Nobel d’économie James Heck­man, tout ce qui se passe avant l’âge de 6 ans est clé et c’est pour cette rai­son que nous avons déci­dé de nous concen­trer sur la mater­nelle. Entre 0 et 6 ans, un enfant par­court envi­ron 2 000 jours et cette période pose les bases de l’épanouissement sco­laire, per­son­nel et social. 

Dans cet esprit, nous avons éga­le­ment créé la Fon­da­tion 2 000 jours, qui aide les familles défa­vo­ri­sées à accé­der à une édu­ca­tion mater­nelle de qua­li­té, un pilier essen­tiel pour réduire les inéga­li­tés (80 % des élèves décro­cheurs sont déjà en dif­fi­cul­té en CP). Notre volon­té est de pro­po­ser un modèle d’école pri­vée acces­sible au plus grand nombre de familles, quelle que soit leur situa­tion finan­cière. Actuel­le­ment, presque un tiers des familles reçoivent une aide finan­cière de la part de la Fon­da­tion. C’est un pro­jet qui me tient à cœur et que je me vois mener sur le très long terme.

Les enseignants de l’école M rendent leurs élèves acteurs de leurs apprentissages.
Les ensei­gnants de l’école M rendent leurs élèves acteurs de leurs apprentissages.

Tu parles de l’importance de l’impact. Comment le concrétisez-vous ?

Nous avons créé la Fon­da­tion 2 000 jours (www.2000jours.org) pour ren­for­cer notre impact social. La Fon­da­tion 2 000 jours favo­rise l’accès à l’école des élèves de condi­tion modeste, par l’attribution d’aides pour finan­cer les frais de sco­la­ri­té. Mais la Fon­da­tion, c’est aus­si un sou­tien à plu­sieurs pro­jets par an dans le cadre de la mis­sion de déve­lop­pe­ment de l’innovation péda­go­gique pour les 0–6 ans (ex. : Ma Chance Moi Aus­si). Les 2 000 pre­miers jours de l’enfant, de sa nais­sance à son entrée en CP, sont vrai­ment cruciaux.

“Les 2 000 premiers jours de l’enfant sont vraiment cruciaux.”

Qui sont les concurrents ?

En France, envi­ron 80 % des écoles sont publiques, 20 % pri­vées, et plus de 90 % de ces der­nières sont sous contrat catho­lique. L’offre pri­vée laïque reste minime, bien que la demande soit forte, notam­ment pour des écoles bilingues. Au-delà du fait que les enfants apprennent les langues plus faci­le­ment, le bilin­guisme attire natu­rel­le­ment des familles de cultures diverses. Les écoles bilingues créent une ouver­ture sur le monde. Au sein de nos dif­fé­rentes écoles, nous avons plus de 40 natio­na­li­tés dif­fé­rentes. Le mar­ché reste peu concur­ren­tiel, même si quelques groupes se sont récem­ment créés, avec des approches péda­go­giques variées comme Mon­tes­so­ri ou l’accent mis sur l’admission dès deux ans. En termes d’impact social, il y a encore trop peu d’écoles pri­vées qui offrent une vraie mixi­té et le modèle de l’école M est assez unique de ce point de vue.

Tu as suivi le processus de recrutement de l’Éducation nationale avant de lancer votre projet. Pourquoi ?

Avant de lan­cer notre pro­jet, nous avons déci­dé de faire une année com­plète en immer­sion : visites d’écoles en France et à l’étranger (notam­ment en Fin­lande), ren­contres avec des ensei­gnants, recherche biblio­gra­phique, etc. De mon côté, j’ai aus­si fait le pro­ces­sus de recru­te­ment de l’Éducation natio­nale pour deve­nir pro­fes­seur rem­pla­çant en Seine-Saint-Denis. Tous les matins, on m’appelait pour des rem­pla­ce­ments de la mater­nelle au CM2. Cette année d’immersion nous a per­mis de confir­mer que nous vou­lions cibler le niveau de la mater­nelle et nous a per­mis de mieux com­prendre les clés pour per­mettre à une école de bien fonc­tion­ner. Pour créer une école, il faut avoir à la fois un pro­jet péda­go­gique solide et aus­si des com­pé­tences plu­ri­dis­ci­pli­naires (aménage­ment, mar­ke­ting, recru­te­ment, régle­men­taire, mana­ge­ment, etc.) – nous sommes donc très com­plé­men­taires de l’équipe enseignante.

L’équipe réunie dans l’école du 11e arrondissement de Paris.
L’équipe réunie dans l’école du 11e arron­dis­se­ment de Paris.

Quels sont tes objectifs à moyen et long terme pour l’école M ?

À court terme, dans deux à trois ans, nous vou­drions avoir 10 à 12 écoles en région pari­sienne. Cela per­met­trait d’avoir une taille cri­tique et une struc­ture stable d’un point de vue éco­no­mique. À plus long terme, nous réflé­chis­sons à dif­fé­rentes pistes : déve­lop­per la for­ma­tion des ensei­gnants, s’étendre à l’élémentaire ou adop­ter un modèle de déve­lop­pe­ment dif­fé­rent, par exemple avec un sys­tème de licences.

Que dirais-tu à des entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans un secteur différent ?

Entre­prendre : c’est arri­ver à être à l’aise avec le fait de ne pas être légi­time au sens sco­laire du terme. Arri­ver à cas­ser ces bar­rières men­tales de légi­ti­mi­té et se dire que l’on peut tout apprendre. C’est un peu cli­ché mais, si on n’essaie pas, on ne passe jamais à la phase de fai­sa­bi­li­té. Bien sûr, le long du che­min il y aura des contraintes externes, comme obte­nir du finan­ce­ment. L’important, c’est de com­men­cer par se dire que c’est pos­sible, de se lan­cer et d’apprendre conti­nuel­le­ment. À l’école M, nous essayons de trans­mettre un peu cet esprit entre­pre­neu­rial aux enfants, en tra­vaillant beau­coup les com­pé­tences socio-émo­tion­nelles (confiance en soi, curio­si­té, opti­misme, etc.). Nous sommes convain­cus que, en plus du pro­gramme de l’Éducation natio­nale, ces com­pé­tences sont impor­tantes et qu’elles s’apprennent dès la maternelle.

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