De l’œuf au poussin : le programme israélien des incubateurs technologiques
Les performances et l’indépendance économique d’Israël sont étroitement liées au développement de son industrie de pointe. Dès 1984 avec la première loi d’incitation à la Recherche et Développement, l’État s’est efforcé d’encourager ce secteur et de créer un environnement favorable à l’exploitation des ressources en la matière.
Le mont des Béatitudes © AMBASSADE D’ISRAËL
Afin de renforcer cet axe de priorité, le bureau du directeur scientifique (OCS) du ministère du Commerce et de l’Industrie israélien a mis en place en 1991 un programme visant à élaborer et soutenir des « pépinières » ou « incubateurs » d’entreprises. Ce programme s’efforce de créer un outil utilisable sur le long terme pour soutenir le premier stade d’une entreprise, sa création sur la base de l’exploitation d’une innovation technologique, phase présentant le plus de risques pour les investisseurs et expliquant leur réticence à soutenir ce type de projets.
À l’inverse des incitations précédentes, le programme des incubateurs s’adresse non pas à une société mais à un entrepreneur détenteur d’une innovation technologique. En plus d’une assistance financière, l’incubateur offre divers services et propose des conseils en gestion.
Les objectifs
1. Assister les entrepreneurs détenteurs d’innovations technologiques dans le processus de commercialisation des produits
La fonction principale d’un incubateur consiste à fournir un support de gestion à un entrepreneur au cours de la phase initiale de développement technologique de son projet (recherche de financement, mise en place de la structure de la société, conseil en recrutement du personnel et soutien en gestion, conseil judiciaire et logistique) et à l’aider à convertir son idée technologique en produit commercialisable.
85 % du budget approuvé de l’entreprise (dans la limite d’un plafond annuel de 559 000 shekels, soit environ 150 000 dollars, sur deux ans) est pris en charge par l’État. Au-delà de la période-test de deux années, la nouvelle entreprise (start-up) peut prétendre aux autres aides offertes par le bureau du directeur scientifique ou postuler auprès d’autres organismes selon la nature de soutien recherchée (Export Institute pour un soutien à l’export par exemple).
L’objectif du programme des incubateurs est la mise en place des conditions nécessaires à la commercialisation des produits au terme de la période d’incubation de deux ans.
En cas de ventes, la subvention se transforme en prêt remboursable sous forme de royalties.
2. Concrétiser les idées technologiques des nouveaux immigrants et promouvoir leur emploi dans leur domaine d’expertise
Si l’objectif du programme est avant tout commercial, sa dimension sociale ne peut être effacée. Dans les circonstances de l’arrivée massive d’immigrants à fort potentiel scientifique, faciliter la création d’entreprises permet également de favoriser leur intégration au sein de la société israélienne.
L’incubateur
L’incubateur est une entité indépendante à statut d’association à but non lucratif, composée d’un organe de direction et d’un Conseil d’administration formé par des professionnels de la recherche et du milieu des affaires. Ce dernier, en collaboration avec le bureau du directeur scientifique, étudie et sélectionne les candidatures. La décision finale d’approbation revient à un comité d’experts du monde des affaires et universitaire, réuni sur une base de volontariat. La capacité d’accueil d’un centre varie entre 8 et 11 projets.
L’État fournit le budget de fonctionnement et d’administration des projets à l’incubateur. La direction de la pépinière d’entreprises est confiée à un directeur général professionnel, expérimenté et rémunéré, qui agit comme un administrateur au nom de l’État pour gérer les entreprises naissantes. Si les subventions annuelles de l’État pour un projet se montent à 85 % des dépenses approuvées (jusqu’à 145 000 dollars), 100 % des frais de fonctionnement de l’incubateur sont pris en charge (avec un plafond annuel de 668 000 shekels, soit environ 180 000 dollars), incluant le salaire du directeur du centre, les frais de gestion et les dépenses associées au recrutement des projets. Le Comité de sélection guide et dirige les projets également au cours de leur développement.
Pour être éligibles les projets doivent satisfaire quatre critères :
1• les produits sont commercialisables à l’export,
2• les produits relèvent des technologies de pointe,
3• les produits sont fabriqués en Israël,
4• au moins 50 % des employés de l’entreprise naissante sont des nouveaux immigrants.
Moins de 10 % du budget du directeur scientifique est alloué au programme des incubateurs. Le montant des fonds alloué n’a cessé d’augmenter depuis le début du programme gouvernemental pour se stabiliser en 1997 à 32 millions de dollars.
On recense à ce jour 26 incubateurs répartis sur l’ensemble du territoire d’Israël, à proximité des grandes villes comme dans les zones de développement. Si l’État a donné l’impulsion au programme, les universités, centres de recherche et communes ont pris l’initiative de la localisation des pépinières. Ainsi, la ville de Kiryat Gat est à l’origine de l’incubateur implanté sur les terrains municipaux.
L’aide gouvernementale est souvent complétée par les organismes suivants : l’Agence juive, les autorités locales, les instituts de recherche (Technion) et des industries israéliennes (au début de l’année 1998, Dow Chemicals a investi 750 000 dollars au sein de l’incubateur d’Ashkelon).
De 28 à 84 ans : la réussite du programme des incubateurs
Lors de son année de lancement en 1991, le programme présentait un budget de 1 million de dollars et accueillait 50 projets. À la mi-97, 538 projets avait sollicité le soutien du programme des pépinières d’entreprises, dont 200 sont encore en cours de développement.
Répartition des projets par activité | |
Chimie Électronique Divers Informatique/logiciel Équipement médical |
29% 25% 20% 13% 13% |
Source : bureau du directeur scientifique |
Parmi les 338 start-up qui ont terminé leur période d’incubation, 45 % ont vu leur projet échouer tandis que 55 % continuaient de se développer. Parmi ces « bons élèves », 72 % ont fabriqué un produit commercialisable et poursuivent leur croissance avec des partenaires stratégiques et 28 % se trouvent à des stades variés de négociation avec des investisseurs potentiels. Exemple de succès, la société Téradion, qui fabrique des thermomètres permettant de mesurer des températures à distance, emploie, deux ans après sa sortie du programme, 16 personnes et a réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 2 millions de dollars (pour 3 millions de dollars de financement reçu).
Depuis 1991, plus de 100 millions de dollars ont été investis dans des jeunes entreprises innovantes issues du programme, ces dernières ayant réalisé des ventes d’un montant supérieur à 40 millions de dollars.
En général, les projets couvrent tous les spectres d’activité de la R&D et il n’y a pas de domaine privilégié de spécialisation imposé aux pépinières d’entreprises qui font partie de ce programme.
La moitié des projets est l’initiative de nouveaux immigrants.
750 professionnels sont employés dans ces centres, dont 70 % sont des nouveaux immigrants de l’ex-URSS. La majorité du personnel des incubateurs et des personnes travaillant sur des projets « lauréats » est composée de scientifiques et d’ingénieurs.
Le succès du programme est réel : la moitié des entreprises qui ont passé la période d’incubation de deux ans est encore en activité, comparé à un taux de survie mondial de seulement 10 % : l’incubateur technologique est la structure indispensable permettant aux nouveaux immigrants comme aux Israéliens de souche de bénéficier d’une opportunité sans égale pour transformer leurs concepts en produits commerciaux viables.
Conçu initialement pour favoriser l’intégration de jeunes immigrants, le programme des incubateurs a dépassé sa mission initiale pour constituer un formidable pôle de développement de l’ensemble de la technologie du pays. Le plus jeune bénéficiaire du programme est un Israélien de 28 ans, né dans le pays, dont la société (encore en stade d’incubation) travaille avec 19 personnes dans le domaine de la réalité virtuelle sur Internet ; le plus ancien est un immigrant de l’ex-URSS, âgé de 84 ans, dont la société a mis au point un procédé de purification du silicium (voir encadré).
Le Docteur Rina Pridor, chargée au ministère du Commerce et de l’Industrie de la gestion du programme des incubateurs estime que celui-ci n’a pour autre but que d’amener les projets technologiques du stade de l’œuf à celui du poussin, le secteur financier, industriel ou de capital-risque se chargeant de fournir les fonds qui amèneront le poussin à maturité. Devant les succès déjà engrangés, le programme est en passe de devenir pour Israël une poule aux œufs d’or.