Évolution du budget alloué au programme des incubateurs par l’OCS

De l’œuf au poussin : le programme israélien des incubateurs technologiques

Dossier : IsraëlMagazine N°537 Septembre 1998
Par Jean-Marie METZGER (71)
Par Katia ZILBER

Les per­for­mances et l’in­dé­pen­dance éco­no­mique d’Is­raël sont étroi­te­ment liées au déve­lop­pe­ment de son indus­trie de pointe. Dès 1984 avec la pre­mière loi d’in­ci­ta­tion à la Recherche et Déve­lop­pe­ment, l’É­tat s’est effor­cé d’en­cou­ra­ger ce sec­teur et de créer un envi­ron­ne­ment favo­rable à l’ex­ploi­ta­tion des res­sources en la matière.

Le mont des Béatitudes en Israël
Le mont des Béa­ti­tudes © AMBASSADE D’ISRAËL

Afin de ren­for­cer cet axe de prio­ri­té, le bureau du direc­teur scien­ti­fique (OCS) du minis­tère du Com­merce et de l’In­dus­trie israé­lien a mis en place en 1991 un pro­gramme visant à éla­bo­rer et sou­te­nir des « pépi­nières » ou « incu­ba­teurs » d’en­tre­prises. Ce pro­gramme s’ef­force de créer un outil uti­li­sable sur le long terme pour sou­te­nir le pre­mier stade d’une entre­prise, sa créa­tion sur la base de l’ex­ploi­ta­tion d’une inno­va­tion tech­no­lo­gique, phase pré­sen­tant le plus de risques pour les inves­tis­seurs et expli­quant leur réti­cence à sou­te­nir ce type de projets.

À l’in­verse des inci­ta­tions pré­cé­dentes, le pro­gramme des incu­ba­teurs s’a­dresse non pas à une socié­té mais à un entre­pre­neur déten­teur d’une inno­va­tion tech­no­lo­gique. En plus d’une assis­tance finan­cière, l’in­cu­ba­teur offre divers ser­vices et pro­pose des conseils en gestion.

Les objectifs

1. Assister les entrepreneurs détenteurs d’innovations technologiques dans le processus de commercialisation des produits

La fonc­tion prin­ci­pale d’un incu­ba­teur consiste à four­nir un sup­port de ges­tion à un entre­pre­neur au cours de la phase ini­tiale de déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique de son pro­jet (recherche de finan­ce­ment, mise en place de la struc­ture de la socié­té, conseil en recru­te­ment du per­son­nel et sou­tien en ges­tion, conseil judi­ciaire et logis­tique) et à l’ai­der à conver­tir son idée tech­no­lo­gique en pro­duit commercialisable.

85 % du bud­get approu­vé de l’en­tre­prise (dans la limite d’un pla­fond annuel de 559 000 she­kels, soit envi­ron 150 000 dol­lars, sur deux ans) est pris en charge par l’É­tat. Au-delà de la période-test de deux années, la nou­velle entre­prise (start-up) peut pré­tendre aux autres aides offertes par le bureau du direc­teur scien­ti­fique ou pos­tu­ler auprès d’autres orga­nismes selon la nature de sou­tien recher­chée (Export Ins­ti­tute pour un sou­tien à l’ex­port par exemple).

L’ob­jec­tif du pro­gramme des incu­ba­teurs est la mise en place des condi­tions néces­saires à la com­mer­cia­li­sa­tion des pro­duits au terme de la période d’in­cu­ba­tion de deux ans.

En cas de ventes, la sub­ven­tion se trans­forme en prêt rem­bour­sable sous forme de royalties.

2. Concrétiser les idées technologiques des nouveaux immigrants et promouvoir leur emploi dans leur domaine d’expertise

Si l’ob­jec­tif du pro­gramme est avant tout com­mer­cial, sa dimen­sion sociale ne peut être effa­cée. Dans les cir­cons­tances de l’ar­ri­vée mas­sive d’im­mi­grants à fort poten­tiel scien­ti­fique, faci­li­ter la créa­tion d’en­tre­prises per­met éga­le­ment de favo­ri­ser leur inté­gra­tion au sein de la socié­té israélienne.

L’incubateur

L’in­cu­ba­teur est une enti­té indé­pen­dante à sta­tut d’as­so­cia­tion à but non lucra­tif, com­po­sée d’un organe de direc­tion et d’un Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion for­mé par des pro­fes­sion­nels de la recherche et du milieu des affaires. Ce der­nier, en col­la­bo­ra­tion avec le bureau du direc­teur scien­ti­fique, étu­die et sélec­tionne les can­di­da­tures. La déci­sion finale d’ap­pro­ba­tion revient à un comi­té d’ex­perts du monde des affaires et uni­ver­si­taire, réuni sur une base de volon­ta­riat. La capa­ci­té d’ac­cueil d’un centre varie entre 8 et 11 projets.

L’É­tat four­nit le bud­get de fonc­tion­ne­ment et d’ad­mi­nis­tra­tion des pro­jets à l’in­cu­ba­teur. La direc­tion de la pépi­nière d’en­tre­prises est confiée à un direc­teur géné­ral pro­fes­sion­nel, expé­ri­men­té et rému­né­ré, qui agit comme un admi­nis­tra­teur au nom de l’É­tat pour gérer les entre­prises nais­santes. Si les sub­ven­tions annuelles de l’É­tat pour un pro­jet se montent à 85 % des dépenses approu­vées (jus­qu’à 145 000 dol­lars), 100 % des frais de fonc­tion­ne­ment de l’in­cu­ba­teur sont pris en charge (avec un pla­fond annuel de 668 000 she­kels, soit envi­ron 180 000 dol­lars), incluant le salaire du direc­teur du centre, les frais de ges­tion et les dépenses asso­ciées au recru­te­ment des pro­jets. Le Comi­té de sélec­tion guide et dirige les pro­jets éga­le­ment au cours de leur développement.

Pour être éli­gibles les pro­jets doivent satis­faire quatre critères :

1• les pro­duits sont com­mer­cia­li­sables à l’export,
2• les pro­duits relèvent des tech­no­lo­gies de pointe,
3• les pro­duits sont fabri­qués en Israël,
4• au moins 50 % des employés de l’en­tre­prise nais­sante sont des nou­veaux immigrants.

Moins de 10 % du bud­get du direc­teur scien­ti­fique est alloué au pro­gramme des incu­ba­teurs. Le mon­tant des fonds alloué n’a ces­sé d’aug­men­ter depuis le début du pro­gramme gou­ver­ne­men­tal pour se sta­bi­li­ser en 1997 à 32 mil­lions de dollars.

On recense à ce jour 26 incu­ba­teurs répar­tis sur l’en­semble du ter­ri­toire d’Is­raël, à proxi­mi­té des grandes villes comme dans les zones de déve­lop­pe­ment. Si l’É­tat a don­né l’im­pul­sion au pro­gramme, les uni­ver­si­tés, centres de recherche et com­munes ont pris l’i­ni­tia­tive de la loca­li­sa­tion des pépi­nières. Ain­si, la ville de Kiryat Gat est à l’o­ri­gine de l’in­cu­ba­teur implan­té sur les ter­rains municipaux.

L’aide gou­ver­ne­men­tale est sou­vent com­plé­tée par les orga­nismes sui­vants : l’A­gence juive, les auto­ri­tés locales, les ins­ti­tuts de recherche (Tech­nion) et des indus­tries israé­liennes (au début de l’an­née 1998, Dow Che­mi­cals a inves­ti 750 000 dol­lars au sein de l’in­cu­ba­teur d’Ashkelon).

De 28 à 84 ans : la réussite du programme des incubateurs

Lors de son année de lan­ce­ment en 1991, le pro­gramme pré­sen­tait un bud­get de 1 mil­lion de dol­lars et accueillait 50 pro­jets. À la mi-97, 538 pro­jets avait sol­li­ci­té le sou­tien du pro­gramme des pépi­nières d’en­tre­prises, dont 200 sont encore en cours de développement.

Répar­ti­tion des pro­jets par activité
Chi­mie
Électronique
Divers
Informatique/logiciel
Équi­pe­ment médical
29%
25%
20%
13%
13%
Source : bureau du direc­teur scientifique

Par­mi les 338 start-up qui ont ter­mi­né leur période d’in­cu­ba­tion, 45 % ont vu leur pro­jet échouer tan­dis que 55 % conti­nuaient de se déve­lop­per. Par­mi ces « bons élèves », 72 % ont fabri­qué un pro­duit com­mer­cia­li­sable et pour­suivent leur crois­sance avec des par­te­naires stra­té­giques et 28 % se trouvent à des stades variés de négo­cia­tion avec des inves­tis­seurs poten­tiels. Exemple de suc­cès, la socié­té Téra­dion, qui fabrique des ther­mo­mètres per­met­tant de mesu­rer des tem­pé­ra­tures à dis­tance, emploie, deux ans après sa sor­tie du pro­gramme, 16 per­sonnes et a réa­li­sé un chiffre d’af­faires cumu­lé de 2 mil­lions de dol­lars (pour 3 mil­lions de dol­lars de finan­ce­ment reçu).

Depuis 1991, plus de 100 mil­lions de dol­lars ont été inves­tis dans des jeunes entre­prises inno­vantes issues du pro­gramme, ces der­nières ayant réa­li­sé des ventes d’un mon­tant supé­rieur à 40 mil­lions de dollars.


Musée de la Science à Jéru­sa­lem © AMBASSADE D’ISRAËL

Le Doc­teur Yosef Zin­man racon­té par lui-même

Yosef Zin­mann est né en Rus­sie en mars 1914.

Il a étu­dié à la facul­té de phy­sique de l’U­ni­ver­si­té de Leningrad.

Ayant immi­gré en Israël en 1980, ce n’est que dix ans plus tard, au cours de leur séjour d’in­té­gra­tion dans le nord du pays que sa fille et son gendre ren­con­trèrent d’autres nou­veaux immi­grants et déci­dèrent de déve­lop­per les idées que Yosef Zin­man n’a­vait pu concré­ti­ser en Union soviétique.

Cette déci­sion les condui­sit à l’in­cu­ba­teur tech­no­lo­gique d’EL­TAM près de Haï­fa (aujourd’­hui fer­mé), où ils pré­sen­tèrent un pro­gramme de déve­lop­pe­ment d’une tech­nique de puri­fi­ca­tion du sili­cium. Ils obtinrent suc­ces­si­ve­ment le sou­tien de Intel et Moto­ro­la, et à l’is­sue de la période d’in­cu­ba­tion et une mis­sion de pré­sen­ta­tion aux États-Unis, cinq fonds de capi­tal-risque amé­ri­cains et israé­liens déci­dèrent d’in­ves­tir 4,5 mil­liards de dol­lars dans la socié­té Sizar­ri, créée pour l’in­dus­tria­li­sa­tion du procédé.

La socié­té Sizar­ri est aujourd’­hui implan­tée dans le parc tech­no­lo­gique de Tefen en Gali­lée et emploie 19 per­sonnes, nou­veaux immi­grants et Israé­liens de souche.

En géné­ral, les pro­jets couvrent tous les spectres d’ac­ti­vi­té de la R&D et il n’y a pas de domaine pri­vi­lé­gié de spé­cia­li­sa­tion impo­sé aux pépi­nières d’en­tre­prises qui font par­tie de ce programme.

La moi­tié des pro­jets est l’i­ni­tia­tive de nou­veaux immigrants.

750 pro­fes­sion­nels sont employés dans ces centres, dont 70 % sont des nou­veaux immi­grants de l’ex-URSS. La majo­ri­té du per­son­nel des incu­ba­teurs et des per­sonnes tra­vaillant sur des pro­jets « lau­réats » est com­po­sée de scien­ti­fiques et d’ingénieurs.

Le suc­cès du pro­gramme est réel : la moi­tié des entre­prises qui ont pas­sé la période d’in­cu­ba­tion de deux ans est encore en acti­vi­té, com­pa­ré à un taux de sur­vie mon­dial de seule­ment 10 % : l’in­cu­ba­teur tech­no­lo­gique est la struc­ture indis­pen­sable per­met­tant aux nou­veaux immi­grants comme aux Israé­liens de souche de béné­fi­cier d’une oppor­tu­ni­té sans égale pour trans­for­mer leurs concepts en pro­duits com­mer­ciaux viables.

Conçu ini­tia­le­ment pour favo­ri­ser l’in­té­gra­tion de jeunes immi­grants, le pro­gramme des incu­ba­teurs a dépas­sé sa mis­sion ini­tiale pour consti­tuer un for­mi­dable pôle de déve­lop­pe­ment de l’en­semble de la tech­no­lo­gie du pays. Le plus jeune béné­fi­ciaire du pro­gramme est un Israé­lien de 28 ans, né dans le pays, dont la socié­té (encore en stade d’in­cu­ba­tion) tra­vaille avec 19 per­sonnes dans le domaine de la réa­li­té vir­tuelle sur Inter­net ; le plus ancien est un immi­grant de l’ex-URSS, âgé de 84 ans, dont la socié­té a mis au point un pro­cé­dé de puri­fi­ca­tion du sili­cium (voir encadré).

Le Doc­teur Rina Pri­dor, char­gée au minis­tère du Com­merce et de l’In­dus­trie de la ges­tion du pro­gramme des incu­ba­teurs estime que celui-ci n’a pour autre but que d’a­me­ner les pro­jets tech­no­lo­giques du stade de l’œuf à celui du pous­sin, le sec­teur finan­cier, indus­triel ou de capi­tal-risque se char­geant de four­nir les fonds qui amè­ne­ront le pous­sin à matu­ri­té. Devant les suc­cès déjà engran­gés, le pro­gramme est en passe de deve­nir pour Israël une poule aux œufs d’or.

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