De nouveaux acteurs du conseil pour un nouvel enjeu :
Le besoin de mondialisation des achats
La recherche systématique de leviers d’augmentation des marges opérationnelles conduit aujourd’hui les grands groupes à s’intéresser à l’optimisation de leurs achats au niveau international, ainsi qu’à la réduction des coûts internes liés à ces processus d’achat. Les achats centraux sont en général mandatés par les directions générales pour mener à bien cette mission, avec un périmètre souvent européen ou global et un enjeu financier significatif.
Problème théorique simple de calcul d’élasticité des prix pour optimiser le pouvoir d’achat lié à de plus gros volumes, la réussite d’un tel projet dépend en pratique de nombreux facteurs humains, voire culturels. Transverse par nature, cette mission consiste aussi à favoriser l’échange des meilleures pratiques entre tous les pays et business units, ainsi qu’à créer un réseau de contacts clés afin de mieux communiquer.
Ainsi, depuis quelques années, les grands groupes internationaux s’attachent à optimiser leurs achats non liés à la production après avoir optimisé leurs achats de production. Pour ce faire, ils font de plus en plus appel aux grands généralistes du conseil. Cependant, dans le cas particulier des achats liés aux déplacements professionnels, ils ont aussi recours au département conseil des agences de voyages, leurs partenaires traditionnels et privilégiés dans la gestion des voyages professionnels.
Les dépenses de voyage : un périmètre idéal pour réduire les coûts indirects
Les dépenses de voyage constituent en moyenne 0,55 % du chiffre d’affaires (dans une fourchette de 0,30 % à 1,30 % suivant les secteurs d’activité et le niveau d’internationalisation du groupe).
Si cette dépense ne constitue finalement en moyenne qu’environ 5 % des achats non liés à la production (achats indirects), l’effet sur la marge opérationnelle, des 5 à 20 % d’économies sur ce poste de coût, est significatif. Cependant en comparaison des catégories – marketing/communication, flotte de véhicules, matériel de bureau, restauration, nettoyage, copieurs, fret, ordinateurs ou sécurité – , les économies apparaissent comme naturellement beaucoup plus accessibles :
- les effets de volume sont maximums : le marché des fournisseurs de voyage (compagnies aériennes, hôtels, compagnies de location de véhicules, agences de voyages) est par essence un marché international ;
- il est possible de connaître très rapidement l’état des lieux et le potentiel d’économies car l’ensemble des données d’achat est disponible de manière détaillée par l’intermédiaire des agences de voyages en place ;
- l’implication des achats des groupes au sein de l’organisation concernant ce sujet est naturelle : les achats de voyage sont souvent de la responsabilité directe des départements achats locaux. Ce n’est pas le cas, par exemple, des dépenses de marketing et de communication qui sont sous la responsabilité des directions marketing ;
- il est possible de mettre en place plus rapidement une politique d’achat nouvelle. En effet, les prestations de voyage ont aussi la particularité d’être non stockables, utilisées très rapidement et en grand nombre. Les transactions d’achat (en moyenne cent mille transactions annuelles pour un groupe de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires) sont réalisées par une ou plusieurs agences de voyages qui constituent un point de passage obligé pour ce flux d’achat ;
- la notoriété du secteur du voyage donne une visibilité idéale à un tel projet : tous les employés sont utilisateurs, dirigeants et cadres sont en général de grands consommateurs et ont souvent leur propre avis sur la question.
Rapidement réalisables, rémunérateurs et visibles, les programmes de maîtrise globale des dépenses de voyage sont souvent devenus un point de départ pour les grands projets de globalisation des achats.
On a donc assisté ces cinq dernières années à l’émergence d’un véritable marché du conseil dans l’optimisation des dépenses de voyages professionnels.
Un exemple de demande du marché : l’optimisation des achats aériens
Comment se traduit ce besoin de globalisation des achats pour les principales catégories d’achats de voyage ?
Les achats aériens constituent environ deux tiers du total des dépenses de voyage dans les sociétés internationales, alors que les dépenses d’hôtel en représentent environ 15 %, et les dépenses de location de véhicules, d’agence de voyages, et de coûts internes associés entre 5 et 10 %.
Pour la plupart des groupes implantés en Europe sont négociés localement des contrats avec les compagnies aériennes y compris avec la compagnie nationale » flag carrier » de chaque pays.
Ces compagnies nationales sont souvent en position dominante en termes d’offre sur leur aéroport principal, ce qui leur donne peu de raisons économiques de concéder des conditions tarifaires avantageuses au départ de cette base.
La stratégie d’internationalisation fonctionne donc pleinement puisqu’elle conduit les entreprises à rechercher des combinaisons d’un nombre réduit de compagnies aériennes, puis à proposer à ces dernières des partenariats attractifs leur permettant de gagner des revenus sur des marchés non captifs, et donc d’offrir en retour des réductions de tarifs supplémentaires.
Un travail analytique détaillé sur un grand nombre de couples origine-destination est nécessaire afin de déterminer les meilleurs partenaires, de mesurer les économies potentielles, de proposer plusieurs options et enfin de mesurer le pouvoir de négociation par des indicateurs de niveau monopolistique de chaque partenaire potentiel.
L’optimisation des achats aériens pour l’ensemble d’un groupe exige aussi une mesure agrégée du bénéfice apporté par une telle optimisation. Les termes financiers des contrats aériens sont particulièrement complexes en Europe, car ils incluent des clauses de prix sur certaines origines-destinations, des clauses particulières de commissionnement des intermédiaires, agences de voyages, ainsi que des systèmes de remises de fin d’année.
La capacité de l’entreprise à obtenir en un seul chiffre la valeur apportée par chaque contrat, sans perte en ligne, est donc primordiale.
Le mécanisme complet d’achat se partage entre la décision stratégique des achats du groupe de signer des contrats cadres avec des partenaires compagnies aériennes privilégiés, et le respect par l’utilisateur – l’employé voyageur -, de ces contrats cadres.
La réussite de la globalisation des achats aériens passe aussi par le suivi continu, par pays, par business unit, par site, éventuellement par voyageur, des comportements d’achats utilisateurs. Ce pilotage consiste, par exemple, à mesurer et engager des actions afin de respecter les engagements de parts de marché pris auprès d’une compagnie aérienne sur une route aérienne donnée.
Un marché de nouveaux acteurs spécialisés
Des acteurs appartenant à des métiers connexes ont investi massivement ce nouveau marché du conseil dans les achats de voyage, aujourd’hui en forte expansion : grands réseaux d’agences de voyages (Carlson Wagonlit Travel, American Express, Rosenbluth, Business Travel International), consolidateurs de données, consultants indépendants.
Les compétences et outils requis pour répondre aux besoins des clients nécessitent en effet d’importants investissements dans des domaines très spécialisés :
- des bases de données mondiales : couverture des routes par les compagnies aériennes (qualification du niveau de service offert : service direct ou avec connexion, nombre de fréquences, position de monopole), référencement de dizaines de milliers de données hôtels (services offerts, types de chambres), tarifs publics et négociés avec les entreprises sur toutes les routes aériennes et tous les hôtels, données de marché pour réaliser des étalonnages (benchmark), niveau de taxes et de commission ;
- des ressources spécialisées dans le domaine du voyage : connaissance du secteur aérien, du secteur hôtelier, des pratiques de revenue management ;
- des modèles de recherche opérationnelle afin d’élaborer des scénarios de consolidation sur un nombre réduit de fournisseurs, de mesurer les économies potentielles, d’évaluer la valeur ajoutée des propositions.
La pratique du conseil par ces acteurs spécialisés se distingue du modèle classique du consultant dans son offre de services :
- des prestations standardisées sous forme de » produits » : programme annuel de globalisation des achats hôteliers, programme d’internationalisation des achats aériens pour l’Europe, programme d’optimisation mensuel des dépenses ;
- des services régis plus par une obligation de résultat que par des moyens engagés. La tarification des services peut dépendre des économies réalisées sur les achats ;
- des services souvent proches de modèles d’externalisation (outsourcing ) des achats : les ressources internes précédemment dédiées sont remplacées par des contrats avec ces consultants sur la base d’économies à réaliser.
Ces acteurs spécialisés du conseil dans l’optimisation des achats de voyage ne sont pour autant pas directement des concurrents des généralistes du conseil. Ces derniers (AT Kearney, KPMG…) ont développé des pratiques spécifiques afin de pouvoir accompagner de grands programmes de globalisation des achats pouvant aller jusqu’à plusieurs milliards d’euros. Ils n’ont pas développé de savoir-faire spécifique dans la catégorie des achats de voyage et font eux-mêmes souvent appel aux acteurs spécialisés pour inclure cette catégorie à leur champ d’intervention.
Conclusion
La conjoncture économique actuelle redouble l’attention des multinationales vers le contrôle de leurs coûts et de leurs achats et devrait accélérer la croissance de ce marché du conseil dans les achats de voyage, poussant de plus en plus d’acteurs à s’y lancer.
Hervé Joseph-Antoine est directeur Europe de la pratique Air Sourcing de CWT Solutions Group, structure d’audit et de conseil stratégique, filiale de Carlson Wagonlit Travel.
Forte d’une équipe internationale de 40 consultants, le CWT Solutions Group accompagne les grandes entreprises, clientes ou non de Carlson Wagonlit Travel, dans leur recherche d’optimisation et de réduction des coûts. Il intervient dans trois domaines spécifiques : les achats stratégiques aériens et hôteliers, le choix et le déploiement d’outils technologiques et le meeting management (gestion des réunions).