De nouveaux générateurs à la frontière entre physique et mécanique
Le vent, les courants marins, le cours d’une rivière… ces écoulements présents aux quatre coins de la planète constituent de formidables réservoirs d’énergie cinétique, associée au mouvement de l’air ou de l’eau.
Les chercheurs du Laboratoire d’hydrodynamique de l’X (LadHyX) et du Laboratoire des solides irradiés (LSI) travaillent au développement de systèmes de production d’électricité innovants utilisant cette énergie. L’initiative Trend‑X a permis le rapprochement de leurs efforts respectifs, et d’identifier de nouvelles pistes de collaboration à la frontière entre la mécanique et la physique.
L’exploitation de cette ressource pour un travail mécanique ou, plus tard, la production d’électricité a motivé le développement au cours des siècles passés de technologies permettant la mise en rotation d’un moulin puis d’une turbine, sous l’action des forces aéro- ou hydrodynamiques appliquées sur les pales de la structure. Les éoliennes et hydroliennes actuelles sont les héritières de ces siècles de développement, et utilisent ces efforts mécaniques sur des échelles toujours plus importantes pour mettre en mouvement un générateur électromagnétique connecté à un réseau électrique. Si ces systèmes présentent une efficacité optimale pour les grandes puissances, leur développement a aussi permis de mieux identifier leurs limites et leurs contraintes (bruit, impact sur l’environnement, performance réduite aux faibles puissances…). La multiplication d’appareils portatifs énergivores pose aussi la question de la pertinence du modèle unique d’alimentation électrique par un réseau centralisé alimenté par des centrales de grandes puissances, par rapport à l’approche plus simple et versatile offerte par les microréseaux alimentés par des générateurs moins puissants. L’un des défis de la transition énergétique réside donc aujourd’hui dans la diversification des technologies exploitant notamment les ressources géophysiques.
Afin de compléter les opportunités technologiques offertes par les éoliennes actuelles, en particulier pour les applications aux petites échelles, de nouvelles solutions restent à trouver et à développer pour l’alimentation de microréseaux ou de systèmes électriques isolés.
REPÈRES
Du fait de leur structure électronique interne, les matériaux piézoélectriques sont polarisables et permettent un couplage électromécanique entre une structure déformable et un circuit électrique. Spécifiquement, la déformation de ces matériaux polarisés entraîne un changement de l’orientation de la polarisation qui induit un déplacement de charges électriques dans les électrodes au contact de leur surface. Ils agissent ainsi comme des générateurs de courant alternatif (déformation réversible et soumise à cyclage). À l’inverse, une tension électrique appliquée par le circuit aval introduit une contrainte mécanique qui peut modifier le comportement de la structure dont ils sont solidaires.
Des vibrations sources d’énergie
Le principe fondamental d’une grande partie des systèmes actuels de production électrique (aussi bien éoliens que fossiles) est la mise en mouvement continu ou périodique d’une structure solide qui entraîne un générateur électromagnétique. En ce sens, les instabilités mécaniques à l’origine de vibrations des structures exposées à un écoulement peuvent être utilisées pour la récupération d’énergie. Ces instabilités sont bien connues, aussi bien en botanique pour les vibrations des plantes et feuilles d’arbres sous l’effet du vent, que dans l’industrie où elles peuvent causer des dommages importants comme lors de l’effondrement du pont de Tacoma ou plus récemment lors de l’accident du réacteur nucléaire de San Onofre en Californie. Deux exemples canoniques de ces instabilités « fluide-solide », qui résultent du couplage étroit entre les mouvements d’une structure et du fluide qui l’entoure, sont le flottement d’une plaque flexible placée dans un écoulement parallèle, à la manière d’un drapeau, et la vibration de câbles sous-marins sous l’action du détachement tourbillonnaire généré par les courants marins. Ces instabilités et vibrations sous écoulement, et leur application à la récupération d’énergie, sont au centre des activités de recherche du LadHyX depuis maintenant une dizaine d’années. Leur objectif majeur est l’optimisation de l’efficacité énergétique de ces systèmes de production, qui ne sont encore aujourd’hui qu’au stade de la preuve de concept ou du prototype. Cette optimisation passe avant tout par une meilleure compréhension et modélisation des échanges énergétiques entre le fluide en mouvement, la structure solide vibrante et le circuit électrique connecté au générateur, et en particulier de la rétroaction du système électrique sur le système mécanique.
Une seconde piste d’optimisation réside dans le système de conversion lui-même. En effet, si les générateurs électromagnétiques « classiques » présentent des performances optimales pour des puissances importantes, l’utilisation de matériaux électroactifs peut se révéler performante et adaptée aux plus petites échelles. Ces matériaux sont connus et exploités depuis longtemps notamment dans le domaine du contrôle, pour actionner le déplacement ou la déformation d’une structure en réponse à un signal électrique. Le rendement de ces polymères et leurs propriétés mécaniques les rendent à présent d’autant plus attractifs pour l’implémentation sur des systèmes récupérateurs en vibration, en particulier par rapport à d’autres matériaux comme les céramiques, moins flexibles et plus fragiles.
Comprendre les couplages et transferts énergétiques fluide-solide-électrique
Les chercheurs du LadHyX se posent aujourd’hui une triple question, fondamentale du point de vue de la mécanique mais surtout essentielle pour une application future à la transition énergétique : quelle est l’efficacité de récupération attendue pour un système dont la mise en mouvement spontanée repose sur une instabilité fluide-solide (et non sur l’aérodynamique stationnaire d’un profil de pale), peut-on l’optimiser, et si oui comment ? Pour répondre à cette triple question, une modélisation fine et non-linéaire de la dynamique du système est réalisée permettant la description explicite et complète du transfert énergétique depuis la source (i.e. l’écoulement) jusqu’au circuit récupérateur.
Un élément original et essentiel de ces recherches
est la prise en compte de l’effet du circuit récupérateur sur la dynamique de la structure, ouvrant la voie à un nouveau champ interdisciplinaire : les interactions
fluide-solide-électrique. Deux systèmes font l’objet d’une attention toute particulière : le flottement d’une plaque flexible en écoulement axial (connu sous le nom de « drapeau ») et la vibration de câbles sous-marins. Pour chacun, des modèles mathématiques et numériques réduits ont été mis au point et analysés en parallèle d’expériences de laboratoire pour leur validation.
Les « drapeaux » piézoélectriques sont ainsi nés de ces recherches, en partenariat avec des chercheurs de l’Imsia à l’Ensta et du Satie à l’ENS Cachan. L’implantation de matériaux piézoélectriques à la surface du drapeau permet ainsi de convertir sa déformation périodique en courant électrique. Elle introduit aussi un couplage inverse sous la forme d’efforts mécaniques pilotés par le circuit aval. Les travaux du LadHyX ont ainsi mis en évidence l’existence de mécanismes d’accrochage électro-mécaniques, où la fréquence de battement est directement dictée par le circuit électrique permettant une récupération dans la gamme la plus efficace. L’étude des interactions entre plusieurs systèmes récupérateurs a de plus mis en évidence la compétition des couplages électriques et mécaniques entre plusieurs drapeaux récupérateurs positionnés à proximité dans l’écoulement et reliés au même circuit récupérateur.
Ces progrès importants ont cependant aussi mis en évidence une limitation fondamentale de ces systèmes due à la difficulté de combiner dans un même matériau un couplage électromécanique important avec la flexibilité nécessaire au développement de l’instabilité.
Vers des matériaux piézoélectriques optimisés
Le LSI a récemment montré que non seulement les irradiations aux électrons mais également les irradiations aux ions lourds accélérés, pour une dose inférieure à 100 kGy, n’affectaient pas la réponse piézoélectrique du PVDF.
Il est donc possible d’améliorer la densité de puissance en sortie par irradiation. Cependant, même en pariant sur l’accroissement de la réponse piézoélectrique du PVDF à l’aide des défauts induits par irradiation aux électrons, l’inconvénient majeur de ce matériau est sa faible permittivité. Par conséquent, des éléments électroactifs de petite taille (dans un contexte de miniaturisation de dispositifs embarqués) auront des capacités faibles et souffriront d’une perte de signal significative lors de la charge électrique. Pour résoudre ce problème de faible capacité, les chercheurs du LSI ont inclus des nano-objets métalliques dans le polymère piézoélectrique. En effet, il est déjà connu que la présence d’inclusions métalliques augmente significativement la permittivité diélectrique des polymères. Prenant l’opportunité de la résistance du PVDF aux irradiations, un faisceau d’ions lourds accélérés (Ganil) a été utilisé récemment pour nanostructurer des films de PVDF piézoélectriques dans leur épaisseur en créant des nanopores cylindriques de dimension et densité parfaitement maîtrisées (technique dite de track etching). Les nanopores ont ensuite été partiellement remplis par des nanofils de nickel obtenus par réduction électrochimique des sels métalliques. Les résultats obtenus jusqu’ici montrent une augmentation de la permittivité du composite Ni/PVDF d’un facteur 5 et une amélioration de la réponse piézoélectrique résultante d’un facteur 2.5 par rapport au matériau initial.
Drapeaux piézoélectriques : de nouvelles opportunités et de nouveaux défis
Les microgénérateurs de type « drapeaux piézoélectriques » présentent donc un potentiel important en termes de récupération d’énergie. Les travaux récents effectués au sein du centre de recherche de l’École polytechnique ont d’ores et déjà permis de mieux comprendre les mécanismes généraux de leur fonctionnement et de lever plusieurs verrous scientifiques. Ces recherches ont aussi identifié de nouveaux défis, et plusieurs éléments fondamentaux restent à analyser afin de permettre le développement technique de prototypes. D’un point de vue mécanique, les travaux menés jusqu’ici se sont concentrés sur l’optimisation des performances de tels systèmes dans des écoulements simples, c’est-à-
dire uniformes et permanents. Si la compréhension du comportement de ces systèmes dans de telles conditions idéalisées est une étape préliminaire indispensable, comprendre l’impact de la variabilité temporelle et spatiale des écoulements géophysiques sur leur efficacité est une seconde étape tout aussi essentielle. En particulier, vents et courants sont par nature turbulents, varient à l’échelle de la journée ou des saisons, et sont hétérogènes spatialement du fait de leur interaction avec le relief. Comprendre la robustesse des performances de ces systèmes vis-à-vis de ces complexités représente l’un des enjeux majeurs du point de vue de la mécanique des fluides dans les prochaines années. D’un point de vue matériau, le couplage des irradiations aux ions lourds accélérés (Ganil) et de l’irradiation aux électrons (Sirius) pourrait permettre d’accroître non seulement la permittivité des matériaux composites mais aussi l’élasticité par les défauts structuraux tels que les scissions de chaînes polymères induites par irradiation aux électrons. La flexibilité du matériau est en effet un paramètre critique pour l’efficacité d’un drapeau piézoélectrique, afin de permettre une mise en mouvement spontanée de la structure pour de faibles vitesses d’écoulement. Dans le cadre de Trend‑X, l’étude des propriétés élastiques du matériau obtenu fait aussi l’objet d’une collaboration avec l’Imsia à l’Ensta.
Des matériaux nanostructures
La nanostructuration ou l’hybridation de matériaux piézoélectriques polymères permet aujourd’hui d’augmenter les performances électromécaniques de ces matériaux, jusqu’ici considérés comme peu performants pour la collecte d’énergie.
L’irradiation dope les polymères piézoélectriques
Les travaux du LSI ont démontré, dans le cas de polymères piézoélec-triques tels que le polydifluorure de vinylidène (PVDF) et dérivés, que l’irradiation aux électrons induisait des défauts augmentant la réponse piézoélectrique des matériaux.