De polytechnicien à historien : aucun lien, vraiment ?

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Olivier BARUCH (75)

Plu­sieurs poly­tech­ni­ciens ont fait car­rière dans l’histoire. C’est le cas de Marc Oli­vier Baruch, spé­cia­liste de l’histoire de la fonc­tion publique sous le régime de Vichy. L’École poly­tech­nique ne l’a pas fait his­to­rien, mais l’a influen­cé dans son rap­port à l’histoire. Ce témoi­gnage ouvre la deuxième sec­tion du dos­sier consa­crée aux X ayant fait pro­fes­sion de l’histoire.

Mes réponses aux trois ques­tions posées par La Jaune et la Rouge seront assu­ré­ment brèves, et risquent même d’en cho­quer les lec­teurs. Ten­tons néan­moins l’exercice :

Com­ment es-tu pas­sé de l’X à une pra­tique pro­fes­sion­nelle comme historien ? 

En tour­nant le dos à l’X.

Quelles spé­ci­fi­ci­tés cette for­ma­tion t’a‑t-elle appor­tées dans la pra­tique de ce métier ? 

Elle ne m’en a pas apporté.

Existe-t-il un lien entre tes domaines de spé­cia­li­sa­tion et ton pas­sage par l’X ?

Aucun.

Et pourtant…

Les quelques nota­tions qui vont suivre, clas­sées par ordre chro­no­lo­gique car je suis his­to­rien, mon­tre­ront que j’ai sans doute été plus influen­cé par l’X, dont j’ai été élève du
1er sep­tembre 1975 au 31 août 1978, que je veux bien le reconnaître.

C’est dès sep­tembre 1975, au Lar­zac où la pro­mo­tion fait encore ses classes, que nous croi­sons l’histoire. Roman­tiques comme on l’est à vingt ans, trois d’entre nous ren­con­trons les col­lec­tifs pay­sans oppo­sés à l’extension du camp mili­taire pour orga­ni­ser l’achat col­lec­tif, par trente élèves de la pro­mo­tion 1975, d’une par­celle en indi­vi­sion. L’administration n’a guère de dif­fi­cul­tés à faire pres­sion sur quelques maillons faibles, et la vente ne se fait pas. Dès l’année sui­vante, les X font leurs classes à La Courtine. 

Quatre mois plus tard, après une for­ma­tion à Saint-Cyr Coët­qui­dan – dont la biblio­thèque ren­fer­mait alors des tré­sors pour un his­to­rien en herbe –, je suis affec­té pour sept mois à Lan­dau où can­tonne le 8e RI. La porte d’entrée de cha­cun des quatre bâti­ments de la caserne est sur­mon­tée d’un bas-relief figu­rant un aigle enser­rant une croix gam­mée. L’armée fran­çaise, qui occu­pait les lieux depuis plus de trente ans, n’avait jamais cru bon de les faire dis­pa­raître. Je m’en éton­nai, pour ne pas dire plus, auprès d’un capi­taine, qui répli­qua cal­me­ment que la France n’était que loca­taire des bâti­ments. Les régimes passent, les bâti­ments res­tent, une pre­mière leçon de cette his­to­riette. La sot­tise de cer­tains offi­ciers fran­çais en est une seconde.

Tout début sep­tembre 1976, ren­trée – la pre­mière de l’X à Palai­seau. En l’espace de quelques jours, les élèves reçoivent deux lettres. La pre­mière, que je regrette de ne pas avoir gar­dée, émane de l’AX : les hasards des temps, nous écrit-elle, ayant char­gé notre pro­mo­tion d’une lourde res­pon­sa­bi­li­té, nous devons nous mon­trer dignes de l’héritage de nos grands anciens et refu­ser col­lec­ti­ve­ment d’aller à Palai­seau, où l’âme de l’École ne pour­ra que péri­cli­ter. La réac­tion des mili­taires ne se fit pas attendre : offi­ciers d’active, nous nous devions de répondre à la convo­ca­tion que nous avions reçue, sous peine d’être décla­rés déser­teurs. Triste dilemme : la mémoire de Vaneau, mort sur les bar­ri­cades pen­dant les Trois Glo­rieuses, ou le poteau d’exécution au petit matin pour déser­tion. Nous allâmes tous à Palaiseau.

X Résistance

Vingt et quelques années plus tard, je recroise pro­fes­sion­nel­le­ment l’histoire de l’X lorsque quelques grands anciens – Ber­nard Lévi (41), Jean Rous­seau (42), Gérard Brun­sch­wig (43) – scan­da­li­sés de l’hommage ren­du à Biche­lonne (1923) lors du bicen­te­naire de l’X (ne reve­nons pas sur ce pitoyable épi­sode !) vinrent nous trou­ver, Vincent Gui­gue­no de la pro­mo­tion 88 (voir article p. 34) et moi, pour réflé­chir à une réac­tion à la fois citoyenne et his­to­rienne : X Résis­tance était née, ou plu­tôt renais­sait. Moments émou­vants que notre ren­contre avec ceux qui, 55 ou 60 ans plus tôt, déci­dèrent de choi­sir le refus, le com­bat, la révolte plu­tôt que le sui­visme. J’ai une pen­sée par­ti­cu­lière pour Robert Sau­nal, sans doute pas le plus connu des 1 043 com­pa­gnons de la Libé­ra­tion, dont je ne peux m’empêcher de conti­nuer à admi­rer la révolte tran­quille de tau­pin déci­dant à l’été 1940 de par­tir pour Londres – ce sera ensuite le Fez­zan et Bir Hakeim – plu­tôt que de rejoindre la ville de pro­vince où il devait pas­ser les oraux de l’X.

Résu­mons : le fait d’être X n’a pas fait de moi un his­to­rien, mais il a enri­chi, de manière inou­bliable, mon expé­rience d’historien.

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