De Polytechnique à l’histoire de la monnaie en passant par la banque
Fils d’un professeur d’histoire, Gilles Bransbourg (85) a d’abord fait une carrière dans la banque avant d’effectuer un retour à l’histoire au sein de l’American Numismatic Society via les sciences sociales.
Mon intérêt pour l’histoire date de bien avant mon passage par les classes préparatoires puis l’X. Un père ayant enseigné dans ce domaine a été pour beaucoup dans le développement de cette sensibilité. J’ai donc atterri à l’X un peu par hasard, aboutissement de la filière scientifique vers laquelle le système scolaire poussait. Logiquement, à l’issue de l’X, un passage par les sciences économiques et politiques (Ensae et Sciences Po) m’a permis de me rapprocher de la discipline historique. Mais j’ai éprouvé le besoin d’aller au bout de ma carrière bancaire avant de franchir le pas décisif – un doctorat d’histoire effectué à l’École des hautes études en sciences sociales, avec un sujet de thèse portant sur l’économie politique de l’Empire romain. De là, la fermeture du système universitaire français, ses petits mandarinats et obstacles explicites ou implicites m’ont amené naturellement vers les États-Unis.
Une fondation américaine
Invité en tant que chercheur par NYU, j’ai peu après été recruté par une fondation spécialisée en histoire et conservation de la monnaie, l’American Numismatic Society. Vénérable institution fondée en 1858, publiant une demi-douzaine d’ouvrages par an, deux périodiques scientifiques, soutenue par une vingtaine de chercheurs et d’administrateurs, des moyens financiers considérables, très présente sur le circuit des conférences académiques, proche de plusieurs universités, elle possède une des toutes premières collections monétaires au monde – notamment pour l’Antiquité (environ 700 000 objets monétaires ou liés à la monnaie, les plus anciens du deuxième millénaire avant Jésus-Christ, dont près de 200 000 monnaies gréco-romaines). Elle représente ainsi une plateforme idéale pour développer et publier mes travaux, notamment dans la mesure où la recherche y est très libre. Aujourd’hui, j’en assume la direction, cumulant donc fonctions administratives et académiques.
“La fermeture du système universitaire français m’a amené vers les États-Unis.”
L’utilité de l’éducation scientifique
Le passage par une éducation scientifique s’est révélé loin d’être inutile, bien au contraire. D’une part, elle forme un état d’esprit, une manière d’aborder des problèmes, d’aller jusqu’au bout de leur résolution quand elle est possible. Elle encourage à formuler certaines questions de manière différente, parfois oblique, permettant à la pensée de développer des solutions inattendues. D’autre part, elle offre l’accès à des outils dont les historiens font souvent peu usage, notamment dans le domaine statistique. L’utilisation d’une fonction d’amortissement géométrique et de distributions de Monte-Carlo m’ont récemment permis de suggérer la valeur de la masse monétaire circulant au sein de l’Empire romain à son apogée, ce qui offre des perspectives extrêmement intéressantes pour en estimer population et production de richesses.
L’École d’autrefois
Concernant mon passage à l’X, il contient un certain degré d’interchangeabilité. Cela aurait pu être Centrale, les Mines ou une autre école scientifique ; l’X ne m’a pas apporté une valeur ajoutée spécifique. Presque au contraire, son système de formation rigide, très centré sur un tronc commun, avec une part marginale consacrée aux humanités, m’a laissé très insatisfait. Au fond de moi, j’ai regretté de ne pas avoir opté pour l’ENS, qui m’aurait laissé une bien plus grande liberté dans mes choix académiques. Mais l’X des années 1980–1990 n’est pas l’X d’aujourd’hui, ce vécu relève donc de l’archéologie pour les jeunes générations.