Décarbonation et croissance verte, l’ingénierie répond présent
Enjeu majeur de notre actualité, l’accélération de la transition écologique nécessite la mobilisation concertée de tous les acteurs de la société. Les métiers de l’industrie de la connaissance s’engagent pour apporter leur contribution à ce jeu collectif. C’est le cas en particulier de l’ingénierie, dont le rôle est crucial dans la décarbonation, car elle intervient dès la conception des projets.
Publié en février 2022, le dernier rapport d’évaluation du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) est particulièrement alarmant. Il montre que, au rythme actuel, le réchauffement de la température mondiale pourrait atteindre 2,7 °C à la fin du XXIe siècle, avec des conséquences désastreuses pour la planète et l’humanité. Pour préserver l’avenir des générations futures, nous savions déjà que nous devions revoir notre modèle de développement, fondé sur l’utilisation croissante de ressources considérées comme infinies et sur les énergies fossiles. Aujourd’hui, il nous faut engager des actions fortes et immédiates autour d’un objectif commun : la réduction drastique des émissions de CO2.
Une stratégie nationale bas carbone
En matière de décarbonation, la France a déjà une feuille de route : la stratégie nationale bas carbone (SNBC), introduite par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Elle définit une trajectoire de réduction des émissions afin de permettre à notre pays d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, fixant la baisse à – 33 % entre 2015 et 2030 et à – 81 % entre 2015 et 2050. Elle donne également de grandes orientations pour mettre en œuvre la transition énergétique. Manque encore, toutefois, la déclinaison concrète de ces orientations. D’où l’intérêt du Plan de transformation de l’économie française, une initiative du Shift Project née au printemps 2020, dans le sillage de la crise sanitaire et des réflexions engagées autour du « monde d’après ».
Avec ce plan, The Shift Project veut convaincre un maximum de décideurs de planifier la transition écologique, en proposant des solutions pragmatiques pour décarboner l’économie française. Il me semble que c’est précisément le pragmatisme qui devrait nous inciter à privilégier une « troisième voie » entre la décroissance prônée par certains et la conviction ancrée chez d’autres que la technologie nous sauvera. Une voie qui, loin de les opposer, emprunte à ces deux visions : celle de la sobriété appuyée par la technologie.
REPÈRES
Think tank œuvrant en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, The Shift Project a publié en janvier 2022 Climat, crises : le plan
de transformation de l’économie française. Fruit de deux ans de travail associant une centaine de contributeurs, ce vaste programme opérationnel vise à emmener la France vers la neutralité carbone. Il balaye une quinzaine de secteurs (mobilité, logement, usages numériques, santé, culture, administration publique, défense, enseignement supérieur et recherche ; agriculture et alimentation, forêt et bois, énergie, fret, industrie lourde, industrie automobile) et inclut aussi des chantiers transversaux comme l’emploi et la finance.
Décarboner, une démarche collective
Les entreprises, qui apportent des solutions en investissant et en innovant, sont en première ligne de la transition écologique. Mais, sur un sujet d’intérêt général comme celui-là, rien ne peut se faire sans les décideurs politiques. Ce sont eux qui fixent le cap, donnent l’impulsion et coordonnent les actions menées à tous les échelons territoriaux. L’appui de la société civile est également essentiel. Pour être acceptées, les décisions prises par les politiques comme les solutions proposées par les entreprises doivent refléter les choix des citoyens-consommateurs. On le constate sur les questions énergétiques.
“La voie de la sobriété appuyée par la technologie.”
À titre d’exemple, malgré un volontarisme affiché, la France a des difficultés à mettre en place des parcs éoliens offshore, dont le principe est très discuté en raison notamment de tensions autour des usages de la mer. A contrario, on assiste depuis deux ans à un véritable retournement sur le nucléaire. Pourtant, les enjeux de sûreté et de gestion des déchets demeurent. Mais, face aux menaces que le changement climatique fait peser sur les populations, ils ne sont plus perçus de la même manière. Cela ouvre de nouvelles perspectives. Pourquoi ne pas utiliser l’énergie nucléaire la nuit pour recharger les batteries des véhicules électriques, par exemple, ou pour développer la production d’hydrogène décarboné ?
L’industrie de la connaissance, actrice de l’économie décarbonée
Jeu collectif, l’économie décarbonée ne peut s’épanouir que dans un écosystème global où chacune des parties prenantes est à l’écoute des autres et où toutes travaillent ensemble en développant les synergies. L’industrie de la connaissance se met en ordre de marche pour apporter sa contribution à l’effort commun. Tous nos métiers sont mobilisés et tous ont un rôle à jouer dans la décarbonation. L’ingénierie encore plus que les autres, peut-être, parce qu’elle intervient dès la phase de conception des projets. Elle a donc un impact potentiel déterminant sur l’empreinte carbone finale des bâtiments, des équipements, des procédés industriels et des infrastructures d’eau, de transport, d’énergie et de traitement des déchets.
En outre, son expertise technique, sa capacité à imaginer des réponses nouvelles à des problématiques complexes, à apporter analyses et conseils aux décideurs publics et privés, lui confèrent une place éminente dans le choix et la mise en œuvre de solutions répondant à l’objectif climatique. C’est le levier vertueux de l’ingénierie, bien au-delà de l’impact de ses activités en propre (études, consommables, déplacements) pour lesquelles elle doit bien sûr également progresser, comme toute activité de services.
L’ingénierie au service de la construction durable…
Conscients de leurs responsabilités, les ingénieurs s’engagent pour la décarbonation dans tous les secteurs d’activité. Les évolutions constatées dans le domaine de la construction, responsable de 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) annuelles en France, en témoignent. La construction bas carbone se développe dans notre pays, avec dès la conception des projets cette question initiale : faut-il construire du neuf ou rénover l’existant ?
Actuellement, dans le tertiaire, on privilégie plutôt la rénovation. Et, quand on décide de construire du neuf, c’est de plus en plus avec des matériaux biosourcés ou renouvelables, issus si possible d’un approvisionnement local. On voit se multiplier les structures en bois ou mixtes, par exemple, et de nouveaux matériaux font leur apparition, comme les bétons bas carbone.
La construction durable, c’est également l’attention portée à l’efficacité énergétique des bâtiments. J’évoquais plus haut la sobriété appuyée par la technologie. Nous en avons une illustration ici, puisque l’exploitation de la data est l’un des leviers pour accroître cette efficacité énergétique. En collectant, centralisant et analysant les données, il est possible d’identifier les gisements d’économies puis d’adapter la gestion des consommations pour renforcer la performance.
Les tendances durables observées dans l’habitat et le tertiaire se retrouvent dans la construction d’infrastructures. Pour le contournement Nîmes-Montpellier, nous avons ainsi réalisé des ouvrages tests avec du béton recyclé. Et, pour la liaison ferroviaire Lyon-Turin, les matériaux extraits du percement seront réutilisés sur place pour fabriquer le parement en béton des tunnels, dans une logique d’économie circulaire.
Le saviez-vous ?
Syntec-Ingénierie a élaboré en 2019 une Charte de l’ingénierie pour le climat. Les signataires prennent un double engagement. D’une part, être force de proposition dans les missions et les projets qu’ils réalisent pour en réduire l’empreinte carbone. D’autre part, adopter durablement des pratiques internes sobres en carbone et diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Comme soixante-dix dirigeants de sociétés adhérentes de Syntec-Ingénierie, j’ai signé cette charte dès octobre 2019 au nom du groupe Setec pour matérialiser la préoccupation forte, résolument portée par les collaborateurs de notre entreprise, de mener une action concrète pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. La charte symbolise cet engagement quotidien, qui donne du sens à notre métier et que résume notre nouvelle signature « ingénieurs et citoyens ».
… et de la mobilité propre
L’ingénierie participe activement à la décarbonation d’un autre secteur prioritaire pour la transition écologique française, puisqu’il représente plus de 30 % des émissions annuelles : celui des transports. Les solutions imaginées sont multiformes. Cela va du développement de véhicules lourds « zéro émission » (tel le Coradia iLint d’Alstom, premier train de passagers alimenté par une pile à hydrogène) à la mise en place du « transport à la demande », un service qui offre aux usagers la possibilité de se déplacer sur réservation grâce à la coordination des solutions de mobilité disponibles, en privilégiant les plus écologiques.
Les ingénieurs interviennent à tous les niveaux des projets menés et pour tous leurs acteurs. Ils accompagnent ainsi l’usage croissant de la voiture électrique en conseillant à la fois les collectivités sur leur plan de mobilité, les opérateurs sur le déploiement d’un réseau de bornes de recharge répondant aux besoins des automobilistes et les industriels sur la mise au point de véhicules vertueux tout au long de leur cycle de vie, jusqu’au recyclage des batteries.
Des ingénieurs à la fois maîtres d’œuvre et conseils
De fait, si le cœur de métier de l’ingénierie est d’être pourvoyeur de solutions en termes de maîtrise d’œuvre, un des objectifs de notre profession est qu’elle soit reconnue également pour sa capacité de conseil dans la maîtrise d’ouvrage. Un conseil applicable à chacun des domaines de la transition écologique. Nous pouvons aussi bien contribuer à la mise en place de filières de décarbonation industrielle, par exemple autour du captage de CO2, qu’à l’alimentation des agriculteurs en énergie renouvelable locale issue de la méthanisation et de l’incinération de déchets, ou encore au renforcement de la résilience des territoires et leur adaptation aux aléas climatiques.
D’ores et déjà, une chose est certaine : l’ingénierie a pris résolument le tournant de la croissance verte, en interne et avec ses clients. Pour continuer dans cette voie, nous avons besoin des jeunes. Nous les avons entendus lorsqu’ils appelaient les entreprises à se mobiliser autour des enjeux écologiques. Aujourd’hui, nous les invitons à nous rejoindre pour accélérer avec nous les transformations en cours : le défi est de taille, mais ô combien enthousiasmant !