Décarbonation & réindustrialisation : Développer les standards industriels et environnementaux de demain

Dossier : Vie des entreprises - Décarbonation et économie circulaireMagazine N°799 Novembre 2024
Par Amira ELARAKI
Par Manuel CHAREYRE
Par Pina SCHLOMBS
Par Charlotte PIERRON-PERLÈS

Dans la course à la décar­bo­na­tion, l’industrie doit repen­ser ses modèles, ses pro­ces­sus, ses métiers et même ses infra­struc­tures. Cette réa­li­té entraîne une vague de réin­dus­tria­li­sa­tion et la créa­tion de nou­veaux sites plus ver­tueux sur le plan envi­ron­ne­men­tal, cir­cu­laire et tou­jours plus digi­ta­li­sés. Cap­ge­mi­ni accom­pagne les indus­triels dans leurs réflexions et les aide à construire et mettre en œuvre ces nou­veaux sites indus­triels qui allient per­for­mance indus­trielle et envi­ron­ne­men­tale. Expli­ca­tions de Ami­ra Ela­ra­ki, Vice-Pré­si­dente en charge des sujets Net Zéro indus­triels chez Cap­ge­mi­ni Invent, et Manuel Cha­reyre, Vice-Pré­sident res­pon­sable monde des acti­vi­tés autour des Usines Intel­li­gentes chez Cap­ge­mi­ni Invent.

La décarbonation de l’industrie est de plus en plus appréhendée comme un vecteur de réindustrialisation. Pourquoi ?

On estime que 40 % des nou­veaux pro­jets indus­triels fran­çais visent à répondre aux enjeux de décar­bo­na­tion. Le monde de l’acier doit, par exemple, repen­ser et réin­ven­ter ses pro­ces­sus de pro­duc­tion pour fabri­quer de l’acier bas car­bone et se doter ain­si de nou­velles uni­tés de pro­duc­tion : réduc­tion directe du fer, élec­tri­fi­ca­tion des fours, cap­ture car­bone. Dans le sec­teur de l’automobile, pour décar­bo­ner, il faut des giga­fac­to­ries qui pro­duisent des bat­te­ries élec­triques, mais aus­si des usines fabri­quant des car­bu­rants syn­thé­tiques. En aval, il s’agit aus­si de mettre en place des usines cir­cu­laires qui vont assu­rer la répa­ra­tion et la remise en état de pièces en fin de vie pour les réuti­li­ser, per­met­tant de réduire l’impact car­bone des véhi­cules. Dans le monde de l’aviation, le sec­teur se mobi­lise autour de la créa­tion d’usines pour pro­duire du SAF, Sus­tai­nable Avia­tion Fuel, un car­bu­rant bas carbone.

Cette dyna­mique de réin­dus­tria­li­sa­tion liée aux objec­tifs Net Zéro des indus­triels est une réa­li­té inter­na­tio­nale : les États-Unis, la Chine et l’Union Euro­péenne inves­tissent mas­si­ve­ment dans ces « tech­no­lo­gies cli­mat ». En com­plé­ment de la sobrié­té et de l’efficacité éner­gé­tique, ces nou­velles tech­no­lo­gies ont voca­tion à contri­buer à près de 55 % de la réduc­tion des émis­sions CO2 en Europe d’après un récent rap­port de Cap­ge­mi­ni.

Quels sont les enjeux que posent ces nouveaux projets de réindustrialisation ?

La construc­tion d’une nou­velle usine est, d’abord, un enjeu de vitesse. Au démar­rage du pro­jet, il y a bien évi­dem­ment des enjeux d’ordre admi­nis­tra­tif et régle­men­taire afin notam­ment d’obtenir les per­mis de construire, même si depuis quelques années, il y a une volon­té de l’État de faci­li­ter la mise à dis­po­si­tion des friches indus­trielles pour des pro­jets de ce type. Une fois l’infrastructure construite, il faut alors mettre en place la ligne de pro­duc­tion, l’outil indus­triel… L’enjeu durant cette phase d’installation et tests est d’éviter que des inef­fi­ca­ci­tés entre les par­ties pre­nantes – indus­triel, ingé­nie­riste, fabri­cant de machines, réseaux élec­triques et uti­li­tés… pro­voquent des délais.

Dans cette typo­lo­gie de pro­jets fai­sant appel à des tech­no­lo­gies nou­velles, les entre­prises font face à un enjeu humain et RH plus mar­qué. Il s’agit, en effet, de recru­ter des talents et des équipes sur un mar­ché du tra­vail où il y a non seule­ment des pénu­ries sur plu­sieurs métiers, mais aus­si une véri­table concur­rence entre les entre­prises. Il s’agit ensuite d’intégrer et de for­mer ces per­sonnes au bon moment et de s’assurer qu’elles dis­posent bien de tout le maté­riel néces­saire pour être opérationnelles.

« Aujourd’hui, ces nouveaux projets sont aussi une opportunité pour créer des usines aux meilleurs standards environnementaux afin d’inspirer les prochaines générations d’usines et de sites industriels. »

Dans la conti­nui­té du démar­rage de l’activité, il faut éga­le­ment être en mesure d’anticiper la pro­duc­ti­vi­té et la per­for­mance indus­trielles, mais aus­si la ren­ta­bi­li­té du pro­duit final. Cela demande de mettre en place des pro­ces­sus de desi­gn et de concep­tion des pro­duits et des lignes de pro­duc­tion inté­grés, mais aus­si d’être en mesure de modé­li­ser les flux au sein de l’usine (pro­ces­sus, appro­vi­sion­ne­ment, pro­duit…) avant même le démar­rage de l’usine.

Enfin, il y a aus­si un enjeu de per­for­mance envi­ron­ne­men­tale. L’usine doit être construite dans une logique d’efficacité éner­gé­tique, de réduc­tion maxi­mi­sée des déchets de pro­duc­tion, de mise en place de boucle de cir­cu­la­ri­té pour la ges­tion des déchets et de l’eau.

Aujourd’hui, ces nou­veaux pro­jets sont aus­si une oppor­tu­ni­té pour créer des usines aux meilleurs stan­dards envi­ron­ne­men­taux afin d’inspirer les pro­chaines géné­ra­tions d’usines et de sites industriels.

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets sur lesquels vous êtes intervenus pour accompagner les industriels sur l’ensemble de ces différentes dimensions ?

Avec un grand acteur de la bat­te­rie, nous inter­ve­nons sur plu­sieurs dimen­sions : la ges­tion de pro­gramme, la for­ma­tion, les plans de com­pé­tences, la stra­té­gie digi­tale et data, l’optimisation des modèles et pro­ces­sus de deli­ve­ry… Nous tra­vaillons aus­si sur le déploie­ment d’une appli­ca­tion pour opti­mi­ser la ges­tion de la pro­duc­tion et de la qua­li­té. L’objectif de cette démarche est de flui­di­fier les échanges au sein de l’usine afin de gagner en effi­ca­ci­té et en productivité. 

Avec cer­tains de nos clients, nous col­la­bo­rons autour de la notion de blue­print afin de leur per­mettre de répli­quer de manière effi­cace et faci­le­ment le modèle d’une usine dans d’autres zones géo­gra­phiques. Dans ce cadre, notre rôle est d’assurer la répli­ca­bi­li­té et la sca­la­bi­li­té afin de mettre en place des sites de pro­duc­tion simi­laires avec les mêmes performances.

Comment la technologie et le digital contribuent-ils à améliorer la performance ?

Le digi­tal joue un rôle fon­da­men­tal, quelle que soit la phase du pro­jet indus­triel. En phase de desi­gn, les jumeaux numé­riques et la modé­li­sa­tion des pro­ces­sus et des lignes de pro­duc­tion per­mettent d’anticiper les éven­tuels freins et obs­tacles qui pour­raient impac­ter la construc­tion ou le com­mis­sio­ning. Au niveau de la pro­duc­tion, le digi­tal est pré­sent dans toutes les fonc­tions du site indus­triel avec des appli­ca­tions qui vont cou­vrir l’ensemble des dimen­sions : pro­duc­tion, pilo­tage de la per­for­mance, qua­li­té, main­te­nance, achats, finance… En paral­lèle, la data et l’IA sont de plus en plus uti­li­sées dès le démar­rage des pro­jets pour amé­lio­rer la maî­trise du pro­duit et du pro­ces­sus, faire du contrôle, de la super­vi­sion, de l’analyse d’images et de la détec­tion de défauts ; auto­ma­ti­ser les tests et la réso­lu­tion de pro­blèmes, et tant d’autres utilisations.

Comment peut-on minimiser les impacts environnementaux de ces projets ?

Dans cette démarche, il faut appré­hen­der plu­sieurs fac­teurs envi­ron­ne­men­taux. Tout d’abord, le fac­teur éner­gé­tique qui est for­te­ment lié à l’impact car­bone. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de construire de nou­velles usines inté­grant les meilleurs stan­dards d’efficacité éner­gé­tique : opti­mi­sa­tion des sur­faces des bâti­ments, iso­la­tion, choix de sys­tèmes de géné­ra­tion et de consom­ma­tion d’énergie effi­cients, auto­pro­duc­tion d’énergie verte, récu­pé­ra­tion de la cha­leur sur site…

En paral­lèle, la per­for­mance envi­ron­ne­men­tale passe aus­si par la capa­ci­té à opti­mi­ser la ges­tion des déchets, mettre en place des filières de valo­ri­sa­tion des déchets… Le digi­tal et la data jouent là aus­si un rôle fon­da­men­tal : gérer les don­nées du pro­duit et du pro­cess dès les phases pilotes per­met d’accélérer la com­pré­hen­sion du pro­ces­sus et donc son effi­ca­ci­té éner­gé­tique et matière. Enfin, il s’agit aus­si de pen­ser à l’environnement dès la concep­tion du pro­duit : desi­gn com­pact et léger, sour­cing des matières pre­mières bas car­bone et recy­clables, etc.


Pour accompagner ces projets de réindustrialisation, Capgemini s’associe à Siemens qui fournit des solutions clés de digitalisation du produit et du processus.

Pina Schlombs – Sus­tai­na­bi­li­ty Lead at Siemens

Sie­mens est un lea­der tech­no­lo­gique mon­dial, moteur de la trans­for­ma­tion digi­tale et de l’innovation durable. Avec plus de 300 000 employés dans plus de 200 pays, nous sommes spé­cia­li­sés dans l’automatisation, l’électrification et la numé­ri­sa­tion. En 2023, Sie­mens a réa­li­sé un chiffre d’affaires mon­dial de 78,5 Md€.

Siemens a récemment ouvert en Chine l’usine « Digital and Sustainable Native ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Notre usine de Nan­jing illustre la syner­gie entre les tech­no­lo­gies numé­riques avan­cées et les pra­tiques durables. « Digi­tal and Sus­tai­nable Native » signi­fie que l’usine est conçue pour inté­grer plei­ne­ment la digi­ta­li­sa­tion et la dura­bi­li­té. Cela inclut l’utilisation de notre tech­no­lo­gie de jumeau numé­rique, cou­vrant la concep­tion, la pro­duc­tion et la main­te­nance, et per­met­tant de sur­veiller et d’optimiser les opé­ra­tions en temps réel pour mini­mi­ser l’impact environnemental.

Comment cette intégration digitale se traduit-elle en avantages concrets ?

Les avan­tages sont consi­dé­rables. Grâce à la sur­veillance en temps réel, nous avons aug­men­té notre pro­duc­ti­vi­té de 20 % en résol­vant les pro­blèmes avant qu’ils ne deviennent cri­tiques, rédui­sant ain­si les temps d’arrêt. Les tech­no­lo­gies de pointe telles que la fabri­ca­tion addi­tive, la robo­tique et les véhi­cules à gui­dage auto­ma­tique amé­liorent la pré­ci­sion et l’efficacité, nous per­met­tant de nous adap­ter rapi­de­ment aux demandes du marché.

En matière de durabilité, comment cette usine se démarque-t-elle ?

La dura­bi­li­té est une pierre angu­laire de notre usine de Nan­jing. Nous avons réduit la consom­ma­tion d’énergie de 30 % grâce à des sys­tèmes à haut ren­de­ment éner­gé­tique et à l’utilisation d’énergies renou­ve­lables. L’infrastructure intel­li­gente, avec des appa­reils et cap­teurs IoT, opti­mise l’utilisation des res­sources et per­met une main­te­nance pré­dic­tive, rédui­sant les coûts opé­ra­tion­nels de 15 %. La concep­tion modu­laire et com­pacte de l’usine a amé­lio­ré l’efficacité de l’espace de 40 %. Nous avons réduit la consom­ma­tion d’eau de 35 % grâce à des sys­tèmes avan­cés de recy­clage, et les émis­sions de CO2 ont dimi­nué de 30 %.

Comment ces pratiques affectent-elles la main‑d’œuvre dans l’usine ?

La syner­gie entre les tra­vailleurs et les machines de pointe est essen­tielle. Les robots col­la­bo­ra­tifs (cobots) et les outils de réa­li­té aug­men­tée assistent notre main‑d’œuvre, amé­lio­rant pro­duc­ti­vi­té et sécu­ri­té. Cette inté­gra­tion tech­no­lo­gique per­met aux tra­vailleurs d’effectuer des tâches com­plexes avec plus de faci­li­té et de pré­ci­sion, rédui­sant les taux d’erreur de 25 %.

Il s’agit aussi d’une configuration très flexible. Quels sont les avantages de cette flexibilité pour vos activités ?

La flexi­bi­li­té est un atout majeur. La concep­tion modu­laire de l’usine nous per­met d’ajuster les opé­ra­tions et d’intégrer de nou­velles tech­no­lo­gies au fur et à mesure. Cette adap­ta­bi­li­té est cru­ciale pour répondre aux condi­tions chan­geantes du mar­ché et aux exi­gences de pro­duc­tion, et elle nous per­met de recon­fi­gu­rer les lignes de pro­duc­tion 50 % plus rapi­de­ment que les usines traditionnelles.

Globalement, qu’est-ce que cela signifie pour Siemens à l’échelle mondiale ?

L’usine de Nan­jing éta­blit une nou­velle norme, démon­trant l’impact puis­sant de la com­bi­nai­son de la digi­ta­li­sa­tion et de la durabilité.


Quelles sont les perspectives autour de ce sujet de la réindustrialisation ?

Aujourd’hui, il y a une dyna­mique évi­dente qui a voca­tion à s’intensifier sur le court et le moyen terme et qui est, en plus, créa­trice de valeur et d’emplois. On peut notam­ment citer l’exemple de l’usine de Flins de Renault qui était en perte de vitesse et qui a été recon­ver­tie en usine de déman­tè­le­ment et de recy­clage de véhi­cules, ce qui a per­mis de pré­ser­ver les emplois et de refor­mer les sala­riés. Le lien entre la réin­dus­tria­li­sa­tion et la décar­bo­na­tion est por­teur de sens et a voca­tion à offrir une large diver­si­té de métiers et d’opportunités de car­rière. Enfin, il est aus­si à l’origine d’un nou­veau pacte social et envi­ron­ne­men­tal en France. 


Char­lotte Pier­ron-Per­lès Mana­ging Direc­tor Intel­li­gent Indus­try – Cap­ge­mi­ni Invent : « Plus de 70 % des émis­sions de gaz à effet de serre indus­trielles sont géné­rées en dehors du péri­mètre direct des opé­ra­tions des entre­prises. À mesure que le cal­cul de l’impact envi­ron­ne­men­tal s’améliore, l’enjeu est d’en tirer des actions concrètes, ciblées, et trans­for­ma­tion­nelles pour avoir un impact posi­tif sur la réduc­tion de l’empreinte car­bone dans la durée. Après la mesure, le temps est à l’action. Ce n’est qu’en maî­tri­sant mieux la chaîne de valeur, depuis la sélec­tion des four­nis­seurs jusqu’à l’usage et la ges­tion de la fin de vie des pro­duits que les indus­triels pour­ront géné­rer cet impact de manière pérenne. Cette dyna­mique contri­bue à un nou­veau pacte où per­for­mance éco­no­mique et res­pon­sa­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale se conjuguent pour façon­ner une réin­dus­tria­li­sa­tion durable et responsable. »

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