Décliner les directives européennes au niveau local
La protection de l’eau et des milieux aquatiques est une nécessité dont on s’est trop tardivement saisi et les exigences réglementaires sont à présent ambitieuses. Mais toute la question est de traduire ces exigences au niveau local, là où se joue le succès de la politique publique, avec ses contraintes particulières et ses moyens limités face à des difficultés croissantes à mesure que le plus facile est fait. Les résultats sont réels, mais encore insuffisants. Le fardeau qui pèse sur les épaules de l’élu local est bien lourd !
Nous avons l’habitude de nous plaindre quand il y a trop de pluie mais aussi quand il n’y a pas assez d’eau, en cas de sécheresse. Par ailleurs, le volume de l’eau sur terre n’évolue guère mais elle est aussi répartie de manière très hétérogène entre les territoires. Enfin, l’eau est indispensable à la vie biologique, à l’agriculture comme à l’industrie, mais son usage peut la salir et la rendre impropre aux usages auxquels on la destine.
Cachez cette eau sale qui sent et peut m’inonder !
Historiquement, l’être humain a toujours eu besoin d’eau. Il a très tôt cherché à la domestiquer autant qu’à en profiter : boire, irriguer, se laver, profiter de sa force motrice, pêcher des poissons. L’eau a aussi accompagné la révolution industrielle dans des process industriels, pour du chauffage ou du refroidissement. De tout temps, l’eau a été gérée comme une ressource collective, un bien commun au niveau local comme au niveau du pays, car tout usage individuel ou professionnel a un impact sur la collectivité.
Au fil des siècles, les pouvoirs publics ont réglementé ce secteur : première grande loi sur l’eau en 1898, loi sur l’énergie hydraulique de 1919… Dans les années 1950, les concepts en vigueur étaient, pour les rivières, de les cacher dans des buses pour qu’elles ne débordent pas et ne sentent pas (sic), car on y déversait les eaux usées. De plus, rectifier et canaliser les cours d’eau était considéré comme la meilleure façon de traiter le problème des inondations, pour évacuer l’eau au plus vite. Une formule toujours en vigueur a eu des effets dévastateurs : « le tout-à‑l’égout ».
Et, encore aujourd’hui, nous en subissons les conséquences calamiteuses en récupérant dans les réseaux en grande quantité des lingettes, des produits chimiques comme l’alcool ou des dissolvants, malgré les campagnes de sensibilisation. L’autre effet pervers de ce concept a été de renvoyer sur la collectivité le traitement de ces effluents et déchets, non de responsabiliser le citoyen qui s’en est désintéressé. La situation est devenue assez délicate pour ne pas dire difficile dans les années 1960.
La prise de conscience des années 1960
Les rivières étaient en très mauvais état, les eaux des rivières étaient beaucoup trop polluées par les eaux usées, les intrants agricoles et des produits chimiques. L’environnement en subissait les conséquences. La gestion des inondations aussi était insuffisante. Cette situation n’était pas durable. La loi sur l’eau du 16 décembre 1964 organise donc la gestion de l’eau par bassin, avec la création des agences de l’eau et des comités de bassin. La même année est introduit le principe « pollueur payeur ». Puis, dans les années 70, la politique publique de l’eau s’inscrit dans le cadre européen.
La législation communautaire a d’abord porté sur les usages de l’eau (dont l’eau potable), puis sur la réduction des pollutions et l’environnement. L’eau est devenue un enjeu politique au moment de la prise de conscience individuelle et collective pour disposer de rivières propres dans un environnement naturel agréable. Ces biens communs doivent être gérés collectivement, au niveau local dans le respect d’une stratégie nationale.
Des structures préexistaient souvent, comme les syndicats de meuniers du XIXe siècle que les communes ont souvent repris, ou elles se sont organisées. Faute de disposer d’une couverture complète du territoire, à partir de 2014 le législateur a confié la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), et ultérieurement celle de l’assainissement, aux communautés de communes ou d’agglomérations, charge à elles de les rétrocéder aux structures préexistantes le cas échéant. Les organisations locales sont très variées, mais personne n’a démontré que c’était un handicap.
Le cadre général aujourd’hui
L’objectif affiché est d’atteindre en 2027 un bon état des masses d’eau superficielles et souterraines. Pour ce faire, un ensemble de directives a vu le jour : directive-cadre sur l’eau, directive eau potable, directive eaux résiduaires urbaines, directive nitrates, directive inondation, complétées par des documents plus spécifiques tels que le règlement européen sur l’anguille, etc.
Ces directives sont traduites ou reprises telles quelles par des lois et des décrets au niveau national. En France, une grande partie de ces objectifs avec leur déclinaison locale se retrouve dans les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui sont élaborés par les agences de bassin. Le SDAGE est souvent lui-même décliné en schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) par bassin versant, à l’initiative des collectivités. Certains aspects relèvent d’autres codes ; par exemple le raccordement des immeubles aux réseaux d’assainissement relève du code de la santé publique.
En parallèle, les gouvernements ont lancé des plans d’action thématiques : en 2018, les assises de l’eau, un plan biodiversité, un plan d’adaptation au changement climatique. En 2022, un Varenne agricole de l’eau et le fonds vert sont apparus. Enfin en 2023 le plan eau, lancé par le Président de la République, vise à réduire les prélèvements d’eau et la consommation.
Des objectifs multiples et ambitieux pour les collectivités
Pour les acteurs de terrain, le cadre prescriptif est donc très copieux à connaître et à maîtriser. Ainsi, l’état d’une masse d’eau est analysé selon quatre rubriques : l’état écologique qui comprend un volet biologie (diversité de la faune et de la flore), une rubrique physico-chimique (polluants métalliques et pesticides…), une rubrique hydromorphologique (continuité hydrologique non altérée) et enfin une rubrique état chimique (suivi d’une liste de plusieurs dizaines de substances). Ces objectifs sont réputés volontaristes, c’est-à-dire très ambitieux et sans considération ni de la situation locale ni de l’ampleur de l’effort à réaliser pour les atteindre, tout au moins à une échéance précise.
“Des obligations de résultat laissant aux opérateurs locaux le choix des moyens.”
Ensuite, il s’agit d’obligations de résultat laissant aux opérateurs locaux le choix des moyens. Deux particularités rendent l’exercice particulièrement redoutable et sont généralement méconnues. Le premier souci est le principe du one out, all out, qui signifie que, si un critère de la liste n’est pas respecté, c’est cette mauvaise appréciation qui l’emporte pour toute la rubrique. Deuxième souci, il n’est pas tenu compte des pollutions héritées (le stock) qui atténuent la portée des efforts accomplis (le flux).
Aménager la rivière pour la rendre saine, utile et agréable
Le syndicat intercommunal de l’Orge que je préside depuis plus de dix ans représente un bassin de population de 430 000 habitants pour 62 communes en banlieue parisienne, 280 km de cours d’eau sur 483 km² de bassins versants ruraux et urbains. Le budget annuel est de l’ordre de 14 millions d’euros, qui proviennent pour l’essentiel des cotisations des collectivités, des redevances sur la facture d’eau et des subventions. Nous assurons l’aménagement de la rivière et de ses abords, ainsi que la gestion hydraulique de la rivière pour prévenir et limiter les inondations.
La restauration morphologique des cours d’eau passe par la suppression des cuvelages rectilignes en béton ; par le méandrage de la rivière qui s’appuie sur une politique d’acquisition foncière ; le profilage des berges en pente douce avec des plantations de façon à ralentir le débit et augmenter les capacités de stockage en cas de hautes eaux d’une part, à permettre le développement d’une faune et d’une flore qui contribuent à l’autoépuration de l’eau d’autre part. De manière volontariste, nous supprimons les obstacles à l’écoulement, les seuils qui bloquent la montaison des poissons et la descente des sédiments. En vingt ans, nous avons remis en écoulement libre plus de 20 km à partir de la Seine, en supprimant une trentaine de seuils.
Rénover les réseaux d’eaux usées pour limiter les fuites
Pour l’assainissement, nous entretenons les réseaux et gérons de petites stations d’épuration, soit une quinzaine. L’essentiel des travaux consiste à rénover des canalisations anciennes en mauvais état qui infiltrent dans le sol des eaux usées et se chargent en eau de pluie ou du sol par infiltration quand le sol est saturé. Il est parfois nécessaire de déplacer des canalisations d’eaux usées posées à l’époque dans les berges, voire dans le lit de la rivière, car c’était plus facile sans se préoccuper de l’exploitation future ou de leur renouvellement.
Ces canalisations anciennes sont assez souvent en mauvais état, soit parce qu’elles sont attaquées par des gaz, notamment sulfurés, soit à la suite des mouvements de sol qui les fracturent. Parallèlement, il est indispensable de rénover les stations d’épuration pour maintenir un bon niveau de performance, lequel est régulièrement relevé par la réglementation.
Des actions sans regret et multifonctionnelles
Ces actions contribuent à l’amélioration du milieu, mais l’évaluation des effets est frustrante. D’un côté, nous savons mesurer la réduction de la pollution déversée localement mais, d’un autre côté, nous ne savons pas mesurer l’impact sur la qualité globale de la rivière. En effet, c’est l’effet cumulatif des actions au fil du temps qui entraîne une amélioration. Il n’y a que pour les stations d’épuration ou de potabilisation que l’on peut cibler un paramètre précis.
Par ailleurs, le milieu subit des aléas dont il faut gérer les conséquences. Les aléas peuvent être des inondations. En effet, une canalisation d’eaux usées en zone urbaine peut déborder dans les rues, qui vont les récupérer dans les réseaux d’eaux pluviales, lesquels débouchent dans la rivière. Il existe aussi des pollutions occasionnelles ou systématiques quand des habitations ou des entreprises envoient les eaux usées directement dans les réseaux d’eaux pluviales.
Nous avons donc mis en place un programme pluriannuel de contrôle de conformité des branchements pour les habitations et les activités, avec des pénalités financières en cas de « passivité ». Cependant, les collectivités ne disposent pas du pouvoir de police (constatation, instruction, amendes…) sur ces sujets qui relèvent de l’État, essentiellement de l’Office français de la biodiversité. Depuis peu, nous avons aussi engagé des actions de désimperméabilisation et d’infiltration sur place des eaux de pluie, avec les collectivités.
Des résultats réels mais encore insuffisants
L’objectif de bon état en 2027 était particulièrement ambitieux et ne sera pas atteint sur notre territoire, comme ailleurs. Pourtant la qualité de la rivière s’est grandement améliorée, ainsi que la maîtrise du traitement des eaux usées. Grâce aux actions de reprofilage naturel de la rivière, des espèces piscicoles qui avaient disparu sont maintenant régulièrement présentes, comme le barbeau fluviatile et les anguilles. Mais nous avons constaté que, si les premiers progrès ont été faciles, désormais nos actions sont dans les rendements d’efficacité décroissants.
Plus précisément, les niveaux moyens des polluants dans la rivière sont en dessous des seuils et l’ampleur des variations s’est nettement réduite. Mais il est désormais plus difficile de progresser, car il y a encore trop de pollutions occasionnelles (accidents ou déversements sauvages) et des pollutions historiques (métaux, pesticides et leurs métabolites, hydrocarbures, médicaments…) piégées dans les sols, notamment les sédiments qui les relâchent au fil du temps.
Le rôle ingrat mais nécessaire de l’élu
On n’inaugure pas une canalisation lors de sa mise en service ! Un investissement à long terme pour réhabiliter une canalisation ou une station ne rapporte pas de voix ! Et enfin personne n’est élu sur le taux de la redevance d’assainissement ! Pour autant, l’élu doit convaincre les délégués de sa collectivité et de son syndicat.
Les projets doivent être priorisés de manière objective selon leur efficacité, leur efficience et leur degré de maturité notamment. Il doit composer avec l’État comme avec ses financeurs qui peuvent avoir des exigences, certes convergentes et légitimes mais souvent différentes. Les délais peuvent se compter en années : réalisation de l’inventaire faune-flore, dossier « loi sur l’eau » soumis à l’État, passation du marché, sans compter parfois l’enquête publique.
Enfin, il faut aussi respecter le droit de propriété des propriétaires d’ouvrage privé, même quand ils « contribuent » aux inondations ! Et subir l’absence d’entretien des berges, qui relève des riverains mais est rarement respecté, etc. Alors le rôle de l’élu qui accepte de prendre la présidence d’un syndicat de ce type, c’est de résoudre des problèmes quotidiens et de long terme, d’expliquer aux élus comme aux habitants de justifier et d’essayer de convaincre tout en acceptant de « prendre des coups ». Cela reste pourtant exaltant et intéressant de travailler sur et pour le bien commun qu’est l’eau.