Découvertes

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°751 Janvier 2020
Par Jean SALMONA (56)

L’inertie de l’esprit humain, sa résis­tance aux nou­veau­tés ne s’affirment pas, comme on pour­rait le croire, dans les masses igno­rantes – aisé­ment per­sua­dées dès que l’on frappe leur ima­gi­na­tion – mais chez les pro­fes­sion­nels qui vivent de la tra­di­tion et du mono­pole de l’enseignement.

Arthur Koest­ler, Les Somnambules

La Xe Symphonie de Beethoven : une folie

En 1949, Pierre Hen­ry et notre cama­rade Pierre Schaef­fer inventent la musique concrète, fon­dée non sur l’utilisation d’instruments de musique mais sur l’assemblage de sons de la vie cou­rante – les bruits d’une machine, le cri d’un oiseau, le rire d’une femme – pré­en­re­gis­trés, jetant ain­si les bases de tout un pan de la musique contem­po­raine. Trente ans plus tard, Pierre Hen­ry, que Bee­tho­ven a obsé­dé toute sa vie, conçoit une œuvre extra­or­di­nai­re­ment ambi­tieuse, dont le maté­riau est consti­tué des neuf sym­pho­nies de Bee­tho­ven et des sons de sa biblio­thèque per­son­nelle et qu’il nommera
Xe Sym­pho­nie Remix. Le résul­tat : 10 mou­ve­ments aux titres évo­ca­teurs : Marche dans le temps, Guerre, Aube… que l’on peut consi­dé­rer comme un hom­mage à Bee­tho­ven ou comme l’image psy­cha­na­ly­tique d’une névrose obses­sion­nelle, une œuvre puis­sante dans laquelle il convient de s’immerger tota­le­ment une heure durant et qui mérite la découverte.

De la Lituanie

La jeune chef litua­nienne Mir­ga Graži­nytė-Tyla nous avait fait décou­vrir les sym­pho­nies de Wein­berg 1. Elle nous révèle à pré­sent une com­po­si­trice litua­nienne contem­po­raine, Ramin­ta Šerkš­nyt (née en 1975), qui pour­rait bien être à la fois le Mah­ler et le Chos­ta­ko­vitch du XXIe siècle, avec trois de ses œuvres : Mid­sum­mer Song, De pro­fun­dis, Chants du cré­pus­cule et de l’aube . C’est une musique tonale très éla­bo­rée, super­be­ment orches­trée, mer­veilleu­se­ment évo­ca­trice, et qui ne res­semble à aucune autre. Les Chants du cré­pus­cule et de l’aube, ora­to­rio d’une grande richesse orches­trale qui asso­cie quatre solistes et un chœur à l’Orchestre natio­nal sym­pho­nique de Litua­nie, sur des textes de Rabin­dra­nath Tagore et le thème d’un raga indien, évoquent imman­qua­ble­ment Le Chant de la Terre de Mah­ler. Que l’on ne s’y trompe pas : c’est de la grande, de la très grande musique qui res­te­ra et qui renou­velle de manière heu­reuse et ines­pé­rée la musique contem­po­raine, dont trop de com­po­si­teurs sont enga­gés dans des voies sans issue.

Josef Suk

Suk, mort en 1935, élève et gendre de Dvořák, qui fut le plus célèbre des com­po­si­teurs tchèques au début du XXe siècle, était presque tom­bé dans l’oubli, injus­te­ment. Il res­sus­cite avec l’enregistrement de deux de ses œuvres, Asrael – sa deuxième sym­pho­nie – et la suite Conte de fées, enre­gis­trés par le Phil­har­mo­nique tchèque diri­gé par Jiří Bělohlá­vek. C’est une musique bien écrite, remar­qua­ble­ment orches­trée, puis­sante, foi­son­nante, émou­vante, rigou­reu­se­ment tonale (comme l’est la musique de Mah­ler) et qui échappe à tout clas­se­ment, ce qui est la carac­té­ris­tique d’une œuvre ori­gi­nale. Si l’on veut à toute force la qua­li­fier, on pour­ra la situer entre Brahms et Mah­ler, avec une finesse d’orchestration digne de Tchaïkovski.

Paul Valé­ry s’attristait d’avoir « lu tous les livres ». L’amateur de belle musique, lui, peut se réjouir : dans la seule musique des XXe et XXIe siècles, il lui reste des cen­taines d’œuvres à découvrir.

1. La Jaune et la Rouge, août 2019.

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