Découvrir de nouveaux matériaux grâce à l’IA
Victor Schmidt (X12), cofondateur et CTO d’Entalpic, nous présente cette jeune start-up qui capitalise sur l’IA pour créer de nouveaux matériaux. Il nous en dit plus sur la genèse de l’entreprise, la forte place de la R&D et de l’innovation et nous détaille son modèle et sa stratégie de développement. Rencontre.
Quelle a été la genèse d’Entalpic ?
En 2019, je suis parti au Canada, à Montréal, pour effectuer un doctorat avec Yoshua Bengio, un éminent chercheur en IA et prix Turing 2018. Ma thèse portait sur les applications du deep learning à la lutte contre le réchauffement climatique. Dans ce travail de recherche, j’ai consacré la première partie de mes recherches aux modèles génératifs pour les images (GANs) et la seconde aux modèles génératifs pour les matériaux. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Alexandre Duval, cofondateur et actuel CSO d’Entalpic. Ensemble, nous avons travaillé sur les applications du deep learning à la prédiction de propriétés physico-chimiques et à la découverte de nouveaux matériaux.
En octobre 2023, j’ai été contacté par Mathieu Galtier, que j’avais rencontré lors d’un stage en 2015, afin de réfléchir ensemble à la création d’une start-up.
“Entalpic est une entreprise centrée sur la production de propriété intellectuelle. Sa raison d’être est de découvrir de nouvelles formulations et de nouveaux matériaux. Au cœur de notre métier, on retrouve donc la R&D.”
Très naturellement, nous avons fait le choix de continuer les travaux que je menais alors avec Alexandre, convaincus du potentiel de l’IA dans le domaine de la recherche de nouveaux matériaux, mais aussi que la recherche de nouveaux matériaux est un puissant levier pour lutter contre le réchauffement climatique. La start-up a ainsi vu le jour en mars 2024, et, un mois plus tard, je défendais ma thèse !
Quel est donc le positionnement d’Entalpic ?
Entalpic est une entreprise centrée sur la production de propriété intellectuelle. Sa raison d’être est de découvrir de nouvelles formulations et de nouveaux matériaux. Au cœur de notre métier, on retrouve donc la R&D. Concrètement, nous développons une IA générative qui permet de chercher dans le très vaste espace des compositions et des configurations atomiques, pour trouver de nouveaux matériaux qui peuvent améliorer l’efficacité des réactions chimiques industrielles. Ces matériaux, qu’on appelle des catalyseurs, interviennent dans un très grand nombre, voire la quasi-totalité, des réactions chimiques industrielles d’aujourd’hui.
“L’ambition d’Entalpic n’est pas de remplacer les produits finaux, mais de trouver de nouveaux catalyseurs qui vont permettre de produire ces matériaux finaux d’une manière plus durable et écologique.”
En d’autres termes, l’ambition d’Entalpic n’est pas de remplacer les produits finaux (souvent des commodités), comme l’ammoniaque ou l’hydrogène, mais plutôt de trouver de nouveaux catalyseurs qui vont permettre de produire ces matériaux finaux d’une manière plus durable et écologique en consommant, par exemple, moins d’énergie.
Quels sont les enjeux et problématiques que vous appréhendez ?
Ils sont nombreux ! L’objectif de notre démarche est de créer de nouveaux catalyseurs plus efficaces pour réduire les besoins énergétiques nécessaires à une réaction chimique, ou bien pour baisser les coûts de production des alternatives aux hydrocarbures ou enfin trouver des substituts aux métaux et terres rares, réduisant ainsi l’empreinte écologique de ces activités, mais aussi notre dépendance à certaines matières premières.
Pour développer ces catalyseurs et nouveaux matériaux, quel est le modèle que vous avez choisi ?
Entalpic ne fournit pas d’accès à une plateforme, à un service ou à un logiciel. Nous appréhendons la recherche de ces nouveaux matériaux, au travers d’une démarche partenariale et de codéveloppement avec des entreprises qui ont une expertise métier dans la production de matériaux ou de produits chimiques.
Autour de quels axes s’articule votre stratégie aujourd’hui ?
Nous avons levé 8,5 millions d’euros en capital risque auprès de trois investisseurs : Breega, Cathay Innovation et Felicis. À partir de là, notre premier enjeu est d’industrialiser notre plateforme, dont les premiers développements s’inscrivent dans le cadre de nos parcours académiques et nos recherches.
En parallèle, il s’agit d’approfondir notre connaissance du marché industriel et de commencer à créer un réseau d’entreprises partenaires afin d’être en prise directe avec leurs besoins et leurs enjeux en matière de nouveaux matériaux et catalyseurs.
Au-delà, notre approche contribue également au mouvement de réindustrialisation, ainsi qu’au renforcement de notre souveraineté et de notre indépendance au regard de l’enjeu de la disponibilité des matériaux.
Sur le plus long terme, nous envisageons notamment la création d’un laboratoire expérimental, AI Lab, ainsi que la verticalisation ou la diversification de nos activités.
Quelles sont les premières applications envisagées à ce stade ?
Nous travaillons notamment sur les batteries stationnaires, l’hydrogène, le méthanol, l’ammoniaque, les biocarburants… À ce stade, nous sommes encore en phase exploratoire et sommes ouverts à toute discussion avec les industriels. En parallèle, nous accordons une attention particulière à la dimension environnementale et écologique afin d’apporter notre contribution à notre modeste échelle.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Aujourd’hui, il s’agit de construire une équipe d’une quinzaine de personnes aux compétences et expertises pointues issues des meilleures institutions dans les domaines de l’IA, de la chimie, des matériaux…
Entalpic a un ADN académique et notre volonté est de conserver des relations fortes avec le monde de la recherche académique.
Et pour conclure ?
Aujourd’hui, il a une forme de « bulle de l’IA », avec des applications parfois douteuses voire frivoles ou même directement nocives. A contrario, Entalpic veut être le fer de lance d’une IA sérieuse, à la croisée des immenses enjeux scientifiques, techniques et sociétaux de notre ère.