Décrochage scolaire : prévenir plutôt que guérir
Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité. Depuis 2008, les actions menées en continu par les politiques scolaires ont permis de faire baisser le nombre des décrocheurs dans tous les territoires. Pour le Cnesco, l’objectif est de garder le lien avec les jeunes en échec scolaire en mettant l’accent sur la détection et la prise en charge des signes avant-coureurs, en impliquant établissements et familles.
C’est la continuité dans le temps des politiques scolaires qui produit des effets. Rapport après rapport, les évaluations du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) le soulignent : les politiques scolaires, pour être efficaces, doivent se fonder sur un consensus transpartisan et enjamber ainsi les échéances électorales. S’il est un domaine de l’enseignement scolaire qui le démontre clairement et positivement, c’est la lutte contre le décrochage scolaire. Portées par une impulsion européenne forte, ces politiques se sont déployées en France depuis 2008 dans une logique de continuité implacable, chaque gouvernement rajoutant à l’édifice réglementaire et législatif sa contribution pour parachever une politique appréhendée systématiquement et systémiquement. Pour une fois loin de tout débat idéologique stérile qui prend l’école en otage.
Un décrochage scolaire en nette baisse mais toujours présent
Les résultats ont suivi : le décrochage recule nettement en France, quels que soient les indicateurs mobilisés. L’enquête territoriale de Boudesseul (2017) menée pour le Cnesco montre aussi que ce reflux touche l’ensemble des académies, selon des configurations qui peuvent être différentes : certaines académies se sont attaquées au décrochage dans les territoires les moins touchés, d’autres ont réussi, en plus, à faire reculer ce phénomène dans les enclaves les plus difficiles. Ces chiffres mettent en évidence une mobilisation forte et réussie de tous les acteurs, depuis les niveaux national et régional, jusqu’à l’établissement.
Pour autant le décrochage n’a pas disparu, quelque 100 000 jeunes sortent encore du système éducatif sans diplôme en France, le système scolaire déploie des moyens extraordinaires et coûteux pour identifier, avec succès, des « perdus de vue » sortis des établissements sans laisser de traces, et, à l’autre bout de l’aventure malheureuse du décrochage, l’univers des formules dites de « retour à l’école » ou plus largement de la seconde chance est marqué d’une offre de formation balkanisée, peu lisible, aux coûts divergents.
Que faut-il faire pour faire reculer plus encore le décrochage ? Bien évidemment les leviers sont multiples comme en témoigne la richesse des préconisations issues de la conférence de comparaisons internationales du Cnesco et du Ciep (novembre 2017) qui couvrent les trois grands temps de la lutte contre le décrochage – prévention (améliorer les apprentissages, la santé, le climat scolaire…), intervention aux premiers signes du décrochage et raccrochage (développer davantage d’offres, desserrer l’étau du diplôme…).
Mieux faire connaître les effets négatifs du manque de sommeil
sur l’attention, la mémoire et le décrochage scolaire.
Détecter les premiers signaux
Les actions sont multiples mais il est un temps crucial sur lequel le Cnesco s’est particulièrement penché. C’est le temps des premiers signes du décrochage dans l’établissement scolaire, l’époque fragile dans la carrière scolaire du jeune où tout est encore possible mais la bascule hors de l’école possiblement proche. Le Cnesco réaffirme qu’il faut prévenir plutôt que guérir. Car tout jeune décrocheur, même si l’aventure malheureuse se finit bien, sort cabossé de ce chemin chaotique. Car le décrochage coûte cher à la société. Selon la Cour des comptes, l’engagement financier en faveur du décrochage ponctionne 35 % des financements publics en faveur de l’ensemble des jeunes de 16 à 25 ans alors que les « sortants précoces » ne représentent « que » 9 % des 18–24 ans.
Intervenir dès les premiers signes d’un possible décrochage quand le jeune est encore dans l’établissement est donc vital. L’« effet-établissement » sur l’absentéisme, mis en évidence dans une étude inédite réalisée pour le Cnesco (Monseur et Baye, 2017), doit nous amener à renforcer plus encore les interventions des professionnels de l’éducation dans ce cadre. Le personnel doit être outillé pour identifier les élèves qui présentent un risque de décrochage. Cela peut se traduire par une mutualisation de l’ensemble des informations scolaires (notes, appréciations, retards, absences, exclusions de cours, punitions, problèmes de santé…), par la mise en place d’un outil de suivi de l’activité de chaque élève dans la classe (prise de parole à l’oral, aide de ses camarades, apport de son matériel, respect des consignes, etc.), par l’utilisation de questionnaires de recensement précoce des élèves et par une information des établissements sur leur exposition au risque de décrochage.
Dans Paroles de décrocheurs, Canopé Grand Est donne la parole à des jeunes sur les raisons de leur sortie du système scolaire. Les raisons sont très variées telles que le désintérêt pour l’école, le sentiment d’inutilité des études, le manque de motivation qui entraînent l’absentéisme ; les mauvaises fréquentations ; la perte d’un proche, du sens et du goût de la vie ; une grossesse précoce ; le déracinement et la perte des repères, la difficulté avec la langue ; le harcèlement scolaire ; la peur d’être jugé quand on ne comprend pas ; une mauvaise orientation après la troisième ; le sentiment d’abandon par les professeurs et le système.
Vidéo consultable en ligne : https://www.dailymotion.com/video/x6bhf79
Proposer des alternatives aux exclusions temporaires
Les exclusions scolaires peuvent constituer un premier pas vers un potentiel décrochage scolaire. Des alternatives peuvent être développées par les établissements en venant apporter du sens à la sanction : en cas de non-respect des horaires, l’élève peut participer à un travail d’équipe où chacun doit accomplir un maillon du travail ; en cas de dégradation de biens, il peut accompagner des agents de service dans leur travail d’entretien et de réparation ; en cas d’atteinte aux personnes, il est sensibilisé à l’importance du travail en équipe et au respect des personnes en participant aux activités de solidarité d’un organisme caritatif local.
C’est notamment ce qui a pu être développé à Montreuil où un accueil des collégiens exclus temporairement est organisé. Différentes activités sont proposées aux élèves : activités autour de l’estime de soi et des compétences sociales, débat autour de l’école, retour sur la sanction, gestion des conflits et de la communication non violente. Dès la seconde sanction, les élèves contribuent aussi à une action bénévole dans une association de la ville (Restos du cœur, Compagnons bâtisseurs, Ohcyclo (réparation de vélos), Les Voyageurs du code (apprentissage du code informatique), etc.).
Le Cnesco est une institution chargée d’une évaluation indépendante, créée par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, du 8 juillet 2013.
Il est composé de scientifiques issus de champs disciplinaires variés, de parlementaires ainsi que de membres du CESE, nommés pour six ans (2014−2020).
Le Cnesco est chargé d’évaluer l’organisation et les résultats de l’enseignement scolaire et de promouvoir une culture d’évaluation
en direction des professionnels de l’éducation et du grand public.
Créer des liens avec les familles les plus éloignées de l’école
Il ne faut pas attendre que les situations se dégradent pour rencontrer les familles. Il est nécessaire d’apprendre à les connaître, ainsi que de s’approprier le territoire dans lequel s’inscrit l’école ou l’établissement. Par exemple, l’école maternelle Grands Pêchers de Montreuil, classée REP+, est ouverte aux familles une matinée par semaine, pour organiser des ateliers cuisine, bricolage, musique, accompagnés par des enseignants.
Par ailleurs, des actions de médecine préventive, pour les élèves et leurs parents, doivent être développées : mieux faire connaître les effets négatifs du manque de sommeil sur l’attention, la mémoire et le décrochage scolaire, repérer les symptômes de dépression et de faible estime de soi aussi associés au décrochage et valoriser les activités sportives des jeunes et des parents. C’est le cas au lycée polyvalent Jules Fil de Carcassonne qui a mis en place un projet avec des équipes élèves/parents/enseignants ayant pour objectif de réaliser 10 000 pas quotidiens.
Il est, enfin, indispensable d’impliquer les familles dès que les premiers risques de décrochage ont été identifiés. L’envoi d’un SMS, dès la première absence non signalée, déjà expérimenté dans certains établissements, doit être généralisé, afin d’informer les familles en temps réel. Il doit permettre de solliciter rapidement un rendez-vous auprès des familles, dès les signes précurseurs du décrochage (retards ou absences, punitions, mauvais résultats scolaires) en convoquant divers professionnels concernés (enseignants de différentes disciplines, CPE, personnels sociaux en faveur des élèves, infirmiers, psychologues de l’Éducation nationale, etc.).
Valoriser les activités sportives des jeunes et des parents.
Sur le long terme, une prévention pour tous les élèves
L’école ou l’établissement doivent être définis comme le lieu privilégié de l’action face au décrochage scolaire. Il s’agit de porter une attention particulière à la variation des situations et contextes d’apprentissage des élèves, à travers la différenciation pédagogique, en s’inspirant notamment des méthodes pédagogiques de formation continue des adultes et en associant certains contenus à la vie quotidienne des élèves.
Il s’agit aussi de redonner une perspective aux choix d’orientation des élèves. En effet, le décrochage étant très lié aux orientations subies, notamment en voie professionnelle, chaque élève, quelle que soit son origine sociale, doit pouvoir faire des choix d’orientation de manière la plus éclairée possible, dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie. Par exemple, des programmes sur l’orientation doivent également viser à combattre les perceptions genrées des métiers pour élargir les choix des élèves et éviter ainsi les orientations subies. D’autres pays l’ont fait. En Autriche, en Bulgarie, en Allemagne, en Italie, en Lituanie et en Slovénie, le projet Boys in Care vise à inciter les jeunes hommes en situation de décrochage à s’orienter vers des formations menant à des professions à dominante féminine (soins de santé, éducation de la petite enfance, enseignement primaire, etc.).
Une politique efficace en faveur du raccrochage scolaire doit se préoccuper
d’identifier systématiquement les jeunes « perdus de vue ».
Créer un lien fort avec l’établissement
Le sentiment d’appartenance à l’établissement étant particulièrement faible en France (et directement lié au risque d’absentéisme, comme le montre l’étude du Cnesco), il apparaît indispensable de mener des actions spécifiques pour coconstruire une culture commune au sein des établissements, et pour créer des relations fortes entre l’établissement et ses usagers. Le collège Vauban de Belfort mène, par exemple, un projet innovant autour de la confiance accordée aux élèves. Ces derniers ont accès au CDI de manière autonome, grâce à un système de badges, nommés Pass. Ces badges sont remis sous réserve du respect du règlement intérieur et de leur capacité à travailler dans le calme.
Salma, élève de troisième à Strasbourg
« Quand j’ai perdu mon frère, l’école, la vie ont perdu leur importance. À l’école, je ne voulais pas m’arrêter, je savais que ça perturbait les autres élèves, mais c’était le seul moyen que je trouvais pour être vue et entendue par les professeurs. Je n’avais pas envie de dire que je n’y arrivais plus, j’avais peur d’être jugée par les professeurs, par mes parents, je faisais celle qui comprenait tout pour ne pas me faire juger. »
Paroles de décrocheurs, Canopé Grand Est, vidéo consultable en ligne : https://www.dailymotion.com/video/x6bhf79
En dernier recours, le raccrochage par le retour en formation
Parmi les voies de raccrochage des jeunes sortis précocement du système éducatif, le Cnesco a exploré, de façon privilégiée, le retour en formation. Une politique efficace en faveur du raccrochage scolaire doit se préoccuper d’identifier systématiquement les jeunes « perdus de vue », d’élargir l’offre de retour en formation (rescolarisation mais aussi préparation à l’alternance, service civique adapté, accompagnement socio-professionnel), notamment pour les 16–18 ans, et d’évaluer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de raccrochage.
À travers ses travaux, le Cnesco a ainsi mis l’accent sur une approche globale de la lutte contre le décrochage scolaire qui se concentre avant tout sur la capacité du système éducatif à maintenir le lien avec les élèves les plus à risque.
Pour aller plus loin :
Cnesco, Lutte contre le décrochage scolaire, dossier de ressources
http://www.cnesco.fr/fr/decrochage-scolaire/