DELAIR : des drones 100 % français à la pointe de la technologie
Les drones sont amenés à jouer un rôle de plus en plus important dans les usages professionnels. Depuis 10 ans, DELAIR une entreprise française créée par des polytechniciens se développe dans ce secteur très porteur et hautement technologique. Entretien avec Bastien Mancini (2000), CEO de DELAIR, qui nous en dit plus.
DELAIR est une véritable aventure entrepreneuriale. Quelles sont les étapes structurantes qui ont permis à la société de se positionner comme un des principaux concepteurs et fabricants de drones Fabriqués in France ?
L’aventure a débuté en 2011, nous fêtons cette année notre 10e anniversaire. Avec mes camarades de promo, nous avons créé DELAIR en capitalisant sur nos expériences professionnelles et nos expertises respectives, qui étaient complémentaires. Après un passage au CNES sur les lanceurs Ariane et Soyouz, je disposais de connaissances techniques applicables au monde des drones. Michaël de Lagarde avait travaillé une dizaine d’année dans l’industrie pétrolière, où il avait identifié que les drones pouvaient être un moyen alternatif pertinent aux hélicoptères pour inspecter les infrastructures dans des zones reculées, et Benjamin Benharrosh (corps des Ponts) avait été en cabinet ministériel, puis avait participé au développement d’une start-up dans le monde de l’énergie.
Nous sommes partis d’une feuille blanche et nous avons tout conçu, développé, fabriqué, expérimenté. En 2012, nous avons été les premiers à obtenir la certification « hors vue » de la DGAC pour notre premier drone, le DT18, un drone de 2kg, capable de voler 100 km et d’inspecter des pipelines et des lignes électriques. Nos premiers contrats ont été avec GRTGaz, Enedis, Veolia, puis la SNCF, pour qui nous avons développé le DT26, qui a bénéficié d’un appui de la DGA (dispositif RAPID). Ce système a été développé en suivant les méthodologies d’analyse de risques de l’aéronautique habitée (ARP-4761) avec du logiciel DO-178. Il est robuste, fiable, et vole un peu partout dans le monde depuis 6 ans, pour des forces armées et de police, afin de sécuriser des frontières, des événements sportifs, ou pour lutter contre le terrorisme…
Qu’en est-il de votre positionnement dans le secteur de la défense ?
Avec l’industrie, la défense est notre cœur de métier. Nos produits ont été conçus pour des usages liés à la sécurité et la défense, qu’il s’agisse de reconnaissance, d’inspection ou de renseignement. Notre stratégie depuis de nombreuses années est de travailler à développer la fiabilité et la robustesse de nos systèmes, leur résistance aux conditions environnementales les plus dures. Nos plus grands succès sont les retours d’expérience très positifs de nos clients qui, un peu partout dans le monde, emploient nos drones sur des théâtres d’opération complexes, des zones de conflit, et qui en font la promotion.
Sur le marché de la défense, il existe de nombreux freins à l’adoption opérationnelle de technologies nouvelles comme les drones. Pour exister, l’enjeu est de faire des produits qui donnent satisfaction, pas seulement à ceux qui passent des contrats, mais à ceux qui sont sur le terrain et ont nos systèmes entre les mains. Cela prend du temps, mais nous sommes dans une logique de long terme, nous voulons être les leaders européens des moyens d’observation aérienne à l’horizon 2030.
Quelques mots sur vos drones.
Nous proposons deux drones :
- L’UX11 : un petit drone de 1.5 kg qu’on peut emporter dans un sac à dos, avec une capacité de vol d’une heure et qui peut reconnaître en détail et reconstruire en 3D une zone située à 15 km, de jour comme de nuit ;
- Le DT26 : un drone de 15 kg qui peut voler 3 heures. Il emporte des boules optroniques (ou d’autres charges utiles de renseignement électromagnétique, ou encore des Lidar), et travaille dans un rayon de 50 km. Il est indétectable à 200 m et voit distinctement ce qu’il se passe à 5 km de lui, de jour et de nuit.
DELAIR a fait le choix de miser sur une fabrication et une conception 100 % française pour ces drones. Qu’en est-il ?
Notre bureau d’études est situé à Toulouse, bassin très propice au développement dans le secteur aéronautique. Nous y avons aussi implanté notre usine de fabrication d’une superficie de 1 500 m2 qui produit chaque année des centaines de drones.
Cette culture aéronautique régionale est très importante, car nous concevons des aéronefs qui doivent s’insérer dans le trafic aérien. Je pense qu’à terme les systèmes d’observation aérienne n’auront plus de pilote. Aujourd’hui, les opérateurs privés et publics utilisent essentiellement des hélicoptères d’une tonne, pour porter des pilotes de 100 kg et des caméras de 3 kg. Cela ne fait pas sens : ces hélicoptères sont bruyants, dangereux (il y a des morts tous les ans), polluent…. Notre enjeu est de pouvoir insérer des véhicules sans pilote dans l’espace aérien, et qu’ils aient les mêmes performances qu’un hélicoptère. Pour cela nous développons selon deux axes : voler loin et longtemps.
Pour voler longtemps et loin, vous misez sur l’innovation…
En une décennie, DELAIR a investi des dizaines de millions d’euros de fonds, essentiellement privés, principalement en R&D. Aujourd’hui, nos efforts se concentrent sur deux axes :
Voler loin grâce à la certification aéronautique pour pouvoir s’insérer de manière sécurisée dans le trafic aérien et voler au-dessus des villes ;
Voler longtemps grâce à l’hydrogène, qui permet d’améliorer l’endurance de nos systèmes. Avec l’hydrogène, nos drones sont silencieux, ont une autonomie 3 fois plus importante que les drones qui fonctionnent avec des batteries, et ils ne polluent pas. À performances opérationnelles quasi équivalentes, là où un hélicoptère a besoin de 100 kg de kérosène par heure, notre prototype Hydrone consomme 25 gr d’hydrogène par heure.
Vous militez pour la création d’une filière française. En quoi est-ce stratégique ?
Aujourd’hui, les leaders mondiaux des drones d’observation font des chiffres d’affaires d’au moins 200 à 300 millions d’euros. Ce sont principalement des Américains, des Israéliens, des Chinois et depuis peu des Turcs. Pour la plupart il s’agit de sociétés créées après les années 1970 et qui sont devenues des ETI. Les leaders européens, quant à eux, ont un CA de 30 et 50 millions d’euros, et la filière française est atomisée : Parrot a un CA de 20 millions sur les drones, quelques entreprises dont DELAIR font un CA entre 1 et 10 millions d’euros, et une quinzaine ont un CA inférieur à 1 millions d’euros.
Or les véhicules aériens autonomes vont arriver, qu’on le veuille ou non, c’est une réalité. Est-ce qu’on considère en France qu’il est stratégique d’en avoir la maîtrise technologique ? Si oui, alors il faut investir massivement, maintenant et pendant plusieurs années, et structurer la filière.
Aujourd’hui, les drones sont considérés comme une sous-catégorie de l’aéronautique et non pas comme une filière en soi. Ils sont traités selon les codes de lecture de l’aéronautique, qui n’est pas une industrie culturellement orientée vers le risque et l’innovation.
C’est pourtant ce qu’il faut aujourd’hui si on veut réussir ! J’ai travaillé il y a quinze ans au CNES. À l’époque j’admirais SpaceX, et tout le monde me regardait de travers en m’expliquant qu’Elon Musk n’avait rien compris, que le spatial ce n’était pas ça… Regardez où nous en sommes aujourd’hui. Tâchons de ne pas reproduire cela sur les drones !
Avec la majorité des entreprises de drones françaises, nous avons donc décidé de nous prendre en main et de proposer une stratégie pour notre filière à Horizon 2030.
Nous avons créé l’ADIF (Association des drones de l’industrie française) que j’ai l’honneur de présider. Elle regroupe déjà une vingtaine de membres et représente 300 à 400 emplois pour 30 à 40 millions d’euros de revenus. Nous sommes convaincus que notre filière peut représenter 10 000 emplois et plus d’1 milliard d’euros d’ici 2030 en France.