Delendum est Bitcoin !
Pour l’auteur, le Bitcoin est une technologie dont le coût énergétique est sans aucun rapport avec son utilité sociale. Elle constitue donc une aberration qui doit être corrigée, à l’heure où la lutte contre le changement climatique est une priorité.
Le Bitcoin est en fait un système de gestion et d’authentification de transactions de type monétaire constitué par l’assemblage de trois technologies : les registres distribués (distributed ledgers), l’enregistrement sous forme de chaînes de blocs (blockchain) et la validation par preuve de travail (proof of work). Les deux premières ne posent pas de problème de fond et, même si mon expérience personnelle est que le champ des problèmes auxquels elles apportent la meilleure solution possible est beaucoup plus limité que ce que les partisans de la blockchain prétendent, leur déploiement ne pose pas de problème majeur.
Le problème réside dans la validation par preuve de travail
En effet ce mode d’authentification des transactions (ou plus exactement de blocs de transaction) est extrêmement coûteux en énergie et aboutit à ce que le montant d’énergie dépensée par transaction est de l’ordre de 50 000 fois plus élevé qu’une transaction Visa (j’avais l’habitude de dire 200 kWh, mais les dernières données publiées monteraient plutôt à 500 kWh, contre 10 Wh par transaction). À titre de comparaison, pour tous ceux que l’usage du jet privé scandalise, le ratio d’émissions de CO2 par kilomètre entre un trajet en TER ou en autocar et un trajet en jet privé n’est « que » de l’ordre de 100.
En comparaison de leurs alternatives respectives, le Bitcoin est beaucoup plus déraisonnable que le jet ! Notons que ce mode de validation n’est pas le seul possible : la preuve d’enjeu ou la preuve d’autorité sont des solutions actuellement utilisées par d’autres blockchains ou d’autres cryptomonnaies. On peut en particulier mentionner l’Ethereum qui, précisément pour réduire de plus de 90 % son empreinte environnementale, est passé récemment de la preuve de travail à la preuve d’enjeu.
La question du tiers de confiance
Dès lors qu’il existe des solutions qui consomment 20, 100 ou 20 000 fois moins d’énergie pour rendre le même service, c’est-à-dire pouvoir affirmer aux intéressés que la propriété d’une valeur V a bien été transférée d’un compte A à un compte B, pourquoi s’obstiner à utiliser la preuve de travail ? C’est là qu’intervient l’idéologie : il s’agit de se passer de tiers de confiance. Tous les autres systèmes supposent en effet de faire confiance à une organisation ou un petit groupe d’organisations pour tenir et authentifier les registres de transaction.
Par exemple, dans le cas des blockchains de la Energy Web Foundation, ce sont une dizaine de grandes entreprises européennes du secteur de l’énergie qui, chacune à son tour, authentifient un bloc de la chaîne de transaction, sous le contrôle des autres. Nos clients pensent en effet qu’il n’est pas plausible que ces grandes entreprises s’entendent pour spolier Mme Y au profit de M. X (ou vice-versa) ou pour spolier les deux à notre profit. Ils nous considèrent donc collectivement comme un tiers de confiance.
« En théorie cette compétition ouverte de tous contre tous permet de ne faire confiance à aucun acteur en particulier. »
A contrario la preuve de travail permet en théorie de se passer de tiers de confiance. Toute personne dotée d’un ordinateur spécialisé et très performant (si au début du Bitcoin cela était à la portée de quelques geeks, cela ne l’est plus aujourd’hui que d’organisations qui peuvent se payer des machines de plusieurs millions de dollars) peut concourir pour participer au « minage », c’est-à-dire la compétition pour être celui qui validera le prochain bloc de la chaîne et empochera la rémunération correspondante.
Le résultat de chaque calcul étant fondamentalement aléatoire, c’est en moyenne celui qui a le plus d’ordinateurs, les plus rapides et les mieux optimisés pour ce calcul qui gagne. En théorie cette compétition ouverte de tous contre tous permet de ne faire confiance à aucun acteur en particulier : vous faites confiance à leur cupidité pour qu’ils se contrôlent les uns les autres et donnent collectivement le résultat attendu.
De la théorie à la pratique
Cela, c’est la théorie : en pratique, s’il y a un conflit entre les « mineurs » sur le bloc à valider, cela se décide à la majorité. La confiance dans la preuve de travail suppose donc la confiance dans le fait que personne ne contrôlera jamais 51 % des mineurs en même temps. Or cette confiance est mal placée : pendant longtemps plus de 70 % des mineurs de Bitcoin étaient soit localisés en Chine, soit contrôlés par des acteurs chinois. Il aurait suffi d’un ordre du PCC pour que tout le système s’écroule… Finalement la décision du PCC a été d’interdire le Bitcoin et le minage en Chine, et les mineurs sont aujourd’hui plus dispersés.
Mais on pourrait imaginer de les attirer tous au même endroit avec des tarifs d’électricité imbattables, pour torpiller le système. D’ailleurs il y a eu un exemple sur une petite cryptomonnaie : un groupe de hackers audacieux a loué (pour quelques centaines de milliers de dollars) suffisamment d’ordinateurs pour contrôler plus de 51 % des mineurs de cette cryptomonnaie et en a détourné pour plus de 5 millions de dollars… La sécurisation par la preuve de travail, grâce à la cupidité des mineurs, est un des nombreux mythes qui entourent le Bitcoin. La réalité est différente.
De la pure idéologie
Mais plus fondamentalement quel est l’intérêt de se passer de tiers de confiance, alors que la confiance est un des fondements de toute activité économique ? Quand vous commandez sur un site de vente en ligne, vous êtes confiant dans l’idée que vous recevrez l’article demandé dans le délai prévu et que, s’il y a un problème majeur, vous aurez des recours ; et vous n’avez pas besoin de « preuve de travail » pour cela. La réponse est simple : en dehors de cas pathologiques où il n’y a pas de tiers en qui on puisse avoir confiance, ou d’un tiers de confiance qui abuse de sa position pour se rémunérer grassement, l’intérêt est purement idéologique.
Se passer de tiers de confiance est un rêve libertarien, c’est-à-dire celui d’un monde où toute expression de l’intérêt collectif est strictement limitée, où la société se réduit à la libre interaction des individus entre eux sans institution régulatrice et où il n’y a plus ni équité ni justice. Quand les tenants de la preuve de travail nous expliquent que « le code informatique est la loi », ils ne font qu’exprimer brutalement une réalité qui les réjouit mais qui ne peut qu’inquiéter tous les démocrates, car c’est évidemment une loi devant laquelle ceux qui disposent de l’expertise voulue et ceux qui n’en disposent pas ne sont pas égaux ; et il paraît à peu près impossible aujourd’hui de trouver un juge qui pourra annuler une transaction inscrite dans la blockchain Bitcoin.
Les limitations de capacité
En plus de sa dépense énergétique déraisonnable, la preuve de travail a un autre inconvénient : sa capacité limitée. En effet pour fournir un travail il faut du temps, car personne n’a à sa disposition une puissance infinie. Plus précisément le système Bitcoin a été conçu pour que la validation d’un bloc nécessite le travail d’un des meilleurs ordinateurs disponibles pendant environ dix minutes. Pour cela, la complexité du calcul augmente au fil du temps en fonction de la capacité des ordinateurs (et du nombre des mineurs). Cela a deux conséquences : il n’y a pas de gain d’efficacité énergétique significatif à espérer et le nombre des transactions est limité à un bloc toutes les dix minutes, soit environ 4 000 fois moins de transactions par unité de temps que Visa.
Si votre transaction arrive en même temps que beaucoup d’autres, elle ne peut pas être introduite dans le prochain bloc et va devoir attendre qu’un mineur veuille bien l’introduire dans un bloc suivant. D’un seul coup trois nouveaux mythes s’effondrent : celui de l’instantanéité des transactions Bitcoin, celui de l’utilisation du Bitcoin comme moyen d’horodatage certain et peu coûteux des transactions, et celui de la possibilité d’utiliser le bitcoin comme une monnaie universelle.
L’illusion des rollups
Quelques soutiens enthousiastes du Bitcoin expliqueront que grâce aux rollups on peut s’affranchir de cette limite de nombre de transactions. Cela revient à avoir une application secondaire qui agrège des milliers de transactions en une seule donnée cryptographique, qui est suffisamment peu volumineuse pour être à son tour traitée comme une seule transaction dans la chaîne de blocs principale.
Ceux que cela intéresse trouveront dans Polytechnique Insights un article de Daniel Augot sur le sujet, daté du 14 février 2023 [https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/economie/cryptomonnaies-pourquoi-les-rollups-vont-ils-jouer-un-role-decisif/]. Je me contenterai pour ma part d’une courte citation : « Il faut s’assurer que l’opérateur des rollups soit régulé. » En d’autres termes cela ne marche qu’avec un tiers de confiance (c’est d’ailleurs logique, la seule alternative serait que le rollup lui-même fonctionne en preuve de travail – et on n’aurait fait que multiplier le problème).
Crever la bulle
Devons-nous accepter un système qui gaspille une électricité folle (on parle pour le seul Bitcoin de la consommation électrique de pays comme les Pays-Bas et leurs 17 millions d’habitants), laquelle pourrait servir à mille autres besoins socialement utiles dans la transition énergétique, juste pour satisfaire un rêve libertarien et profondément antidémocratique ? Ou pour satisfaire les besoins de blanchiment d’activités illégales ? Ou encore pour offrir aux joueurs un nouvel objet de spéculation ? Je ne le crois pas. Est-il possible d’y mettre fin ? Probablement, car il suffirait d’une action coordonnée de quelques grands pays pour prendre le contrôle d’une majorité des ordinateurs de minage et pour stopper rapidement la validation des transactions.
“Provoquer une forte baisse de la valeur du bitcoin et le réduire à l’état d’actif anecdotique, ou y mettre fin.”
On peut aussi imaginer qu’une action dissuasive d’un grand nombre de pays à l’encontre de l’usage du Bitcoin par leurs ressortissants (à l’image de ce qu’a fait la Chine) pourrait provoquer une forte baisse de sa valeur et le réduire à l’état d’actif anecdotique. Alternativement, celui qui fera le premier fonctionner un ordinateur quantique dédié au minage pourrait augmenter sa probabilité de gagner la compétition pour la validation des blocs dans une telle proportion qu’il ruinerait tous les autres mineurs et deviendrait de facto le tiers de confiance du système (si celui-ci ne s’écroule pas faute de mineur).
Il faut détruire le Bitcoin avant qu’il ne détruise encore plus la planète, en émettant de dizaines de millions de tonnes de CO2 (de 20 à 70 MtCO2/an selon les sources) pour une utilité sociale nulle.
4 Commentaires
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Le minage de Bitcoin est l’industrie la plus verte du monde, dans la mesure où sont % d’énergie renouvelable est au moins deux fois supérieur à la moyenne mondiale. En effet, les mineurs cherchent l’énergie la moins chère, et celle-ci est aujourd’hui souvent d’origine renouvelable. Qui plus est, comme l’ont démontré tous les articles scientifiques récents (e.g., You et al. 2023, From Mining to Mitigation : How Bitcoin Can Support Renewable Energy Development and Climate Action), en fournissant une réponse à la demande et une source de revenu supplémentaire aux installations renouvelables intermittentes, le bitcoin peut être net positif pour le climat. Quant à l’utilité, l’auteur n’évoque que « les besoins de blanchiment d’activités illégales » alors que les transactions illicites représentent moins de 0,34 % du total et sont en décroissance (cf. Le Monde 19 janvier 2024). Le bitcoin étant traçable sur un registre public, les autorités se vantent d’ailleurs qu’il est plus simple d’identifier les auteurs de crime qu’avec le cash. C’est d’ailleurs pour cela que le Hamas a renoncé au Bitcoin en 2023 (voir Reuters 28 avril 2023). L’auteur démontre donc ici son incompétence totale du sujet.
Il me semble que ce n’est pas le fait d’utiliser de l’énergie renouvelable qui excuse une consommation importante d’énergie : l’énergie renouvelable ici consommée pourrait être utilisée à des usages plus « productifs » et éviter ainsi la production de gaz à effet de serre
Parmi les passions tristes, la ferveur anti-bitcoin tient son rang : elle touche autant les grands bénéficiaires de la création monétaire des banques que les partisans d’un totalitarisme soutenu par le monopole de la monnaie. Ce qui les réunit souvent, c’est la conviction qu’ils détiennent la vérité, la définition du bien commun et de l’utilité sociale.
“La vertu doit être crainte davantage que le vice car ses excès ne sont pas sujets à la régulation de la conscience”.
On est bien loin de la noble démarche de l’ingénieur, faite de rigueur et d’humilité.
Bonjour, une question m’interpelle sur le Bitcoin : qui paie pour son fonctionnement ? en effet quand on dit que la consommation électrique nécessaire au système revient à la consommation des Pays-Bas, on parle de 5 à 10 Milliards d’Euros par an, rien qu’en coût d’électricité ! quelle création de valeur met-on en face ? les mineurs sont rémunérés en Bitcoins, dont le nombre total en circulation augmente et donc dont la valeur, très fictive, diminue… tout ceci ressemble à une bulle prête à éclater, une bulle à mille milliards au cours actuel…