Délices et orgues
Que les orgues se voient prêter un caractère céleste, rien d’étonnant à cela : c’est dans les églises qu’on les trouve en général, alors qu’elles ont déserté aujourd’hui les grands cinémas qui en étaient pourvus à l’époque du muet.
Du coup, les compositeurs ont souvent consacré leur musique d’orgue à des œuvres liturgiques ; souvent, mais pas toujours, comme on peut le constater dans deux enregistrements récents.
FRANCK, LISZT ET L’ORGUE CAVAILLÉ-COLL D’ÉPERNAY
Franck, on le sait, était organiste et professeur d’orgue au conservatoire de Paris, tandis que Liszt, pianiste, ne s’intéressait à l’orgue, avant de devenir abbé, qu’au fil des visites d’églises de ses voyages. Tandis que les pièces pour orgue de Liszt sont essentiellement liturgiques, Franck, lui, a composé surtout des œuvres sans référence religieuse.
Liszt écrit pour l’orgue tantôt comme pour le piano, tantôt comme pour l’orchestre, sans se soucier de la registration, alors que Franck indique avec précision les registres à utiliser.
Un enregistrement récent par Odile Jutten présente une anthologie d’œuvres des deux compositeurs1, qui étaient contemporains, et illustre parfaitement bien la différence de traitement de l’instrument.
De Franck, le superbe Prélude, fugue et variations en si mineur, la Pastorale, la Fantaisie et le Final en si bémol majeur font appel à toutes les ressources de l’instrument grandiose de Notre-Dame d’Épernay, un des plus beaux du facteur Cavaillé-Coll, installé en 1869 (et classé monument historique).
De Liszt, une œuvre étrange, Les Morts – Oraison, un Ave Maria von Arcadelt minimaliste et séraphique, enfin Einleitung, Fuge und Magnificat aus der Symphonie zu Dante Divina Commedia, puissant mais austère, témoignent d’un art de l’orgue très novateur, peu soucieux de plaire, parfois à la limite de l’atonalité.
Les Improvisations et Fantaisies de Saint- Saëns du second disque sont de petites pièces peu connues, musique exquise qui ne se prend pas au sérieux et qui constitue un pendant bienvenu aux œuvres profondes et sérieuses précédentes.
C’est sur l’orgue de Saint-Omer que Joris Verdin a enregistré un ensemble d’œuvres posthumes et inédites de Franck2. Il s’agit d’une quarantaine de pièces courtes, de 17 secondes à 6 minutes, presque toutes à usage liturgique cette fois.
Même mineures, elles constituent, pour ceux qui s’intéressent à la musique de Franck, un joli florilège d’une facette méconnue de sa musique.
FÉLICIEN DAVID
Après plus d’un siècle d’oubli, on redécouvre aujourd’hui le compositeur Félicien David (1810−1876), personnage hors du commun.
Ce Provençal renonce à une carrière de notaire pour la musique, « monte » à Paris , devient un saint-simonien actif, se passionne pour le rapprochement entre les musiques occidentales et orientales et parcourt la Méditerranée dans le sillage du père Enfantin… et de Delacroix.
Son œuvre, dont une « ode-symphonie », Le Désert, comprend de nombreuses mélodies ; le ténor Artavazd Sargsyan accompagné par Paul Montag au piano vient d’en enregistrer une quinzaine3.
Le style est assez proche de celui de Gounod : une musique caractéristique des salons bourgeois de la deuxième moitié du XIXe siècle, sans aucune recherche harmonique ou autre, mais agréable, à écouter en jouant au pharaon ou au whist, en buvant du punch – brûlant, bien entendu.
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1. 2 CD TRITON.
2. 2 CD RICERCAR.
3. 1 CD PASSAVANT.