Délinquance des mineurs : protéger avant de punir
Le jeune délinquant est-il plus un enfant coupable, à punir, à condamner – ce fut la conception du XIXe siècle et la première partie du XXe -, qu’un enfant, souvent victime de la société, à éduquer, à protéger contre lui-même ? L’ordonnance de 1945 a clairement fait ce dernier choix. Dans la foulée de l’ordonnance sont créées, la même année, la direction de l’Éducation surveillée qui, depuis 1990, porte le nom de Protection judiciaire de la jeunesse, et une nouvelle profession, celle d’éducateur de l’Éducation surveillée. Sa mission est d’assurer à la demande des juges des enfants et du tribunal pour enfants les mesures éducatives prononcées à l’égard des mineurs. Cette mission est partagée avec un important secteur associatif, habilité justice, qui dispose de nombreux établissements et services.
Une vraie démarche éducative
Éduquer d’abord
L’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante privilégie la notion d’éducabilité du mineur délinquant : la peine devient l’exception. Cette ordonnance est l’aboutissement de longs débats qui remontent à la fin du XIXe siècle, ils sont contemporains des premiers travaux sur la psychologie de l’enfant, il n’est pas un petit adulte, il est un être en devenir. En créant le juge des enfants, l’ordonnance privilégie, pour les mineurs, une justice qui se veut protectrice avant d’être punitive. Sans ignorer l’acte délinquant, c’est la personnalité du jeune qui est au centre de la décision judiciaire et de la démarche éducative.
Que le jeune soit placé dans un établissement ou maintenu dans sa famille dans le cadre d’une mesure éducative en milieu ouvert (la mesure de liberté surveillée) il s’agit, par le biais de l’éducation, de la formation professionnelle, d’un accompagnement individualisé, de donner au jeune les moyens de l’aider à surmonter ses difficultés personnelles, de mieux s’intégrer dans la vie sociale et d’acquérir progressivement une capacité d’autonomie à devenir adulte.
Si la sanction n’est pas au cœur des décisions prises face à chaque cas, elle est pourtant ressentie comme telle par le jeune : l’intervention éducative apparaît aussi comme une atteinte à sa liberté. La référence à son acte délinquant est bien présente, le jeune n’est pas considéré comme irresponsable et le projet d’éducation va bien au-delà de l’acte commis.
Pénalisation accrue
On assiste depuis quelques années à un retour de la pénalisation des actes des mineurs délinquants au détriment de la réponse éducative.
Le projet d’éducation va bien au-delà de l’acte commis
La délinquance des mineurs apparaît comme une cause majeure du sentiment d’insécurité qui se développe dans l’opinion publique. Les chiffres récents montrent un rajeunissement de l’âge de la délinquance des mineurs, une aggravation des faits, en particulier en matière d’agression contre les personnes. La petite délinquance, les » incivilités » augmentent, il est à remarquer que ces faits n’ont été pénalisés que très récemment, enfin, cause importante de cette augmentation, le climat social et économique du pays s’est détérioré depuis une trentaine d’années et ce sont les jeunes des milieux les plus défavorisés qui en subissent le plus les conséquences.
On parle de plus en plus d’une délinquance d’exclusion. Ce constat doit-il aller à l’encontre des priorités éducatives, doit-on pour des impératifs d’ordre public privilégier, sous couvert d’éducation, des mesures fondées sur l’enfermement et l’exclusion sociale dont on peut craindre qu’elles n’aient guère une fonction réparatrice pour le jeune ? C’est aujourd’hui la question qui se pose à la justice des mineurs. Une réforme de l’ordonnance de 1945 est en cours, on peut craindre qu’elle aille vers une plus grande pénalisation concernant les mineurs.
Délinquance d’exclusion
Denis Salas, ancien juge des enfants, exprimait, lors de la Commission d’enquête sénatoriale de juin 2002 sur la délinquance des mineurs, ses inquiétudes : On a affaire à une délinquance de masse liée à des parcours de désinsertion durable dans lesquels les groupes familiaux tout entiers vivent dans l’illégalité et dans une culture de survie dans des modalités de précarité extrême.
Mesures d’investigation et mesures éducatives
Atelier professionnel |
En 2008, 92000 mineurs délinquants ont été suivis par la PJJ, chiffres qui ne prennent pas en compte la population de jeunes en danger moral dont la protection judiciaire avait la charge depuis 1958, mais qu’elle abandonne progressivement au profit des collectivités territoriales. Ce suivi fait appel à des mesures très diverses. Les magistrats peuvent, avant leur prise de décision, demander à des services pluridisciplinaires de la PJJ d’effectuer une mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE), qui leur apporte les éléments sur la personnalité du jeune, sa situation familiale. Cette équipe de professionnels, composée de médecin, psychologue, psychiatre, assistante sociale, éducateur, est amenée à faire des propositions de mesures éducatives aux magistrats. 44 000 mesures d’investigation ont été effectuées en 2008 (secteur public et associatif). Les mesures éducatives sont multiples, avec en premier lieu les mesures de milieu ouvert (liberté surveillée) qui représentent environ 80 % des mesures prises par la juridiction des mineurs en matière de délinquance. L’éducateur travaille en lien avec l’environnement du jeune et la sphère familiale.
On peut craindre une plus grande pénalisation concernant les mineurs
Ces mesures demandent du temps, elles peuvent aller de six mois à deux ans. Depuis quelques années, en raison de la désinsertion de plus en plus grave de certains jeunes, ces mesures peuvent être encadrées par d’autres interventions plus contraignantes : le contrôle judiciaire, le sursis avec mise à l’épreuve, qui permettent au magistrat, en cas d’incident, de prononcer une mesure de placement.
Les mesures d’activités de jour
Elles sont très souvent associées aux mesures de milieu ouvert ou à certaines mesures de placement, type foyer.
Liberté surveillée
Le jeune est maintenu dans sa famille, le juge considérant que celle-ci peut assurer l’éducation de son enfant. Au sein d’une équipe pluridisciplinaire, un éducateur est désigné pour accompagner ce jeune, essayer de comprendre la nature de ses difficultés, découvrir ce qui l’a conduit à commettre un acte délinquant. Ce travail de relation qui aborde les échecs, la souffrance psychologique du jeune est étayé par des propositions d’activités, scolaires, de formation professionnelle, sports, loisirs, de mise en place de projets d’actions qui favorisent son insertion.
Lorsque ces jeunes ont une réelle difficulté à s’inscrire dans les structures de droit commun (établissement scolaire ou de formation professionnelle) du fait de la faiblesse de leur niveau ou d’échecs répétés, ils peuvent bénéficier, dans les unités éducatives d’activités de jour de la PJJ, du statut d’élève et de stagiaire de la formation professionnelle en concertation avec l’Éducation nationale.
Cette prise en charge complète le suivi individuel du jeune et doit pouvoir l’aider à revenir vers un dispositif de droit commun. Il s’agit de développer ses compétences au niveau des savoirs et des techniques professionnelles ainsi que ses possibilités d’adaptation sociale. Les équipes de ces unités éducatives d’activités de jour sont essentiellement composées d’éducateurs et de professeurs techniques.
Les mesures de réparation pénale
On a pu reprocher à l’ordonnance du 2–2‑1945 de ne pas accorder suffisamment d’importance à la réalité de l’acte délinquant et au problème de la victime, et de déresponsabiliser le jeune par rapport à son délit, au moins pour les délits mineurs.
Engager le délinquant dans un processus de réparation de soi et de la victime
En 1993, l’ordonnance de 2–2‑1945 est l’objet d’un nouvel article instituant la mesure de réparation pénale dont l’objectif est de responsabiliser le mineur par rapport à l’acte commis et de l’engager dans un processus de réparation de la victime mais aussi de mobiliser chez lui les ressources lui permettant de sortir de sa culpabilité en la transformant en capacité à réparer et se réparer.
Ces mesures peuvent être accompagnées de mesures d’éducation en milieu ouvert ou de placement. En 2008, 33 500 mesures de réparations pénales ont été ordonnées dont 9000 par le Parquet.
Les mesures de placement
Réparation pénale
Cette mesure, demandée par un magistrat (Parquet des mineurs, Juge des enfants) est prise souvent pour des petits délinquants primaires, ayant reconnu leur acte et accepté cette mesure, elle est conduite par un éducateur qui va inviter le jeune à mettre en place une action au bénéfice de la victime (réparation directe) ou le plus souvent au bénéfice de la collectivité (réparation indirecte). En responsabilisant le jeune, il s’agit d’aborder avec lui la portée de son acte, de prendre en considération la victime et l’existence de la loi.
En 2008, 7 500 jeunes délinquants font l’objet de placements éducatifs dans les services publics et associatifs de la PJJ. Le juge des enfants, le tribunal pour enfants considèrent que, pour des raisons liées au jeune, à sa famille, à la nature du délit ou de la récidive, le jeune ne peut être maintenu dans sa famille et doit faire l’objet d’une mesure éducative plus structurante.
Les établissements de placements éducatifs (EPE), longtemps appelés foyers d’action éducative, sont des structures d’une quinzaine de jeunes qui partagent une vie collective avec une équipe d’éducateurs. Le projet est très centré sur le groupe de jeunes sans exclure une démarche plus individuelle. Certains suivent une formation scolaire ou professionnelle de l’Éducation nationale, d’autres participent aux unités d’activités de jour de la PJJ, d’autres sont de jeunes travailleurs voire de jeunes chômeurs. Ces structures sont le plus souvent proches du lieu de vie des jeunes ce qui permet un travail en lien avec la famille et l’environnement.
Les centres éducatifs renforcés (CER), apparus en 1997, sont une structure intermédiaire entre le placement éducatif classique que nous venons d’évoquer et l’enfermement. Ce qui est » renforcé », c’est l’action éducative dans la vie quotidienne des jeunes. Les CER, situés loin des villes, accueillent une dizaine de jeunes dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, sur un temps court, dix semaines. Il y a actuellement 70 CER en France dont la majorité relève du secteur associatif de la PJJ.
Les centres éducatifs fermés (CEF), dernière chance avant l’incarcération, sont des structures que l’Éducation surveillée avait expérimentées dans les années 1960–1970, dans le cadre de l’observation, pour limiter le recours grandissant à la détention préventive. Ce fut un échec et le ministère de la Justice les supprima en 1979 considérant qu’il était difficile d’associer éducation et enfermement. Les CEF apparaissent dans le cadre des lois Perben de 2002. Il s’agit, sans avoir recours à la prison, de mettre à l’écart des jeunes pour mieux protéger la société, sans toutefois abandonner le recours à l’éducation.
Il y a trois fonctions perceptibles dans le projet de ces établissements : la fonction sécuritaire, la référence à la sanction, l’espoir du sens réparateur de la mesure. C’est le projet de la dernière chance avant l’incarcération. En 2008, 7 500 mineurs ont fait l’objet d’un placement dont 2 000 en CER ou CEF. Ces deux dernières institutions sont trop récentes pour en faire le bilan.
L’incarcération
En prison |
Elle peut se faire dans des Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Prévus par une loi de du 9- 12–2002, ils relèvent de l’administration pénitentiaire, la direction de la PJJ y apporte sa collaboration par la présence d’éducateurs qui travaillent en binôme avec les surveillants.
Mais, le plus fréquemment, l’incarcération se fait dans des quartiers de mineurs. Ce sont des structures de type carcéral. On est dans une logique de contention, les jeunes délinquants peuvent être envoyés directement en quartiers de mineurs ou venir des EPM en cas d’incidents. 3 500 mineurs ont été détenus en 2008 (58 % au titre de la détention préventive, 42 % en tant que condamnés).
Réaffirmer le rôle de la PJJ
On assiste à une dérive progressive des pratiques éducatives, vers plus de contrainte, plus d’enfermement. Il est tout à fait légitime que la société exprime ses inquiétudes face à certains comportements des jeunes, mais on ne peut aborder le problème de la délinquance juvénile sous le seul angle de la défiance, de l’insécurité, de l’exclusion, en banalisant l’enfermement auquel on voudrait donner une dimension éducative.
Peut-on éduquer un mineur en l’enfermant ?
Peut-on éduquer un mineur en l’enfermant ? Depuis plus d’un siècle toutes les expériences de ce type ont échoué. L’enfermement a une fonction, parfois nécessaire de protection de la société, mais son rôle ne va guère plus loin. Le jeune délinquant a besoin d’être confronté à la loi et aux limites qu’elle impose, mais il a encore besoin d’accueil, d’écoute, d’accompagnement, d’éducation, de formation, de travail. C’est là que la Protection judiciaire de la jeunesse se situe et trouve sa légitimité.
Établissements pénitentiaires pour mineurs
Leur création marque la volonté de l’administration pénitentiaire d’améliorer les conditions d’incarcération des mineurs et d’y introduire une démarche éducative. 7 EPM sont prévus, 6 sont ouverts recevant chacun 60 jeunes.