Démocratie, marché, gouvernance. Quels avenirs ?
Ce livre traite avec une grande clarté de fond et de forme un sujet important et complexe : que sont aujourd’hui les perspectives de la démocratie dans les différents pays et celles de l’organisation politique du monde ?
Du moins était-ce là le propos initial de l’auteur ; mais il l’a enrichi considérablement en faisant reposer la construction de son ouvrage sur deux groupes de trois piliers – que Jacques Lesourne appelle “ les deux triades ” :
– démocratie, marché, gouvernance, d’une part ;
– États, sociétés, civilisations, d’autre part.
L’auteur, en effet, a clairement discerné que, sans faire intervenir explicitement la seconde triade, il lui eût été bien difficile de prendre en compte à la fois les interactions entre ordre national et ordre mondial, et entre forces économiques et forces politiques.
Cette conceptualisation lui permet dans la première partie du livre des analyses très pertinentes de ce que sont aujourd’hui ces six entités et leurs interférences. Ce regard pénétrant sur le présent – et sur le passé qui l’explique – permet aussi à l’auteur dans la seconde partie, prospective, d’éviter l’arbitraire ou l’excès d’abstraction qui souvent s’attache à ce genre d’exercice.
Cette organisation du livre en deux parties semble obéir avec bonheur au conseil que donnait Winston Churchill : “ The further you look backward, the further you see forward. ”
Tout cela est excellent et, répétons-le, exprimé dans une langue simple, l’auteur renonçant au bénéfice de la clarté à utiliser les subtilités d’écriture dont son talent a donné des exemples dans de précédents ouvrages.
Même si ce livre, qui a 234 pages, en eut été un peu alourdi, j’aurais souhaité que fussent évoqués explicitement – et parce qu’ils conditionnent de façon majeure notre avenir à tous – les principaux problèmes que les hommes politiques et les médias négligent en faveur de problèmes à court terme souvent de bien moindre importance, par exemple : la diminution des réserves d’hydrocarbures face à la montée des besoins, notamment de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique ; la pollution dans ceux de ses effets qui sont irréversibles ; les transports ; la démographie ; l’eau ; les épidémies ; le relâchement des moeurs (considéré objectivement et non selon un a priori moral) ; enfin les effets énormes sur le fonctionnement même de la démocratie du véritable changement d’unité de longueur et d’unité de temps qu’a constitué l’évolution d’à peu près toutes les civilisations actuelles depuis un demi-siècle.
Le livre est très serein, même s’il traduit souvent des préoccupations graves. Et un tel essai doit peut-être à la “ loi du genre ” de s’en tenir à une analyse assez froide. On peut se demander toutefois si ce respect de la loi du genre s’imposait. En raison des connaissances, des longues réflexions et du talent de l’auteur, n’aurait-on pas aimé des opinions et des suggestions, même tranchées, sur des questions comme les suivantes ?
Conflit entre liberté individuelle et liberté d’information ; montée des corporatismes ; distinction, dans un État démocratique, entre fonctions régaliennes et fonctions de redistribution ; principe de précaution ; concept flou, et par là même dangereux, de “ société civile ”, etc. ?
Et pourtant, il est piquant de constater que l’une des pages les plus importantes et les mieux venues du livre – la page 227 –, écrite, n’est-ce pas, par un ancien directeur du Monde, est un jugement concis et pertinent sur la “ société d’information ”.
Mais il y a là, j’espère, la matière d’un nouveau livre.
Après tout, ne sont pas si nombreux ceux qui sont véritablement aptes à formuler des opinions désintéressées et des suggestions précises pouvant, même modestement, même avec un certain délai, peser favorablement sur l’évolution du monde.