Démographie et environnement : vers une régulation planétaire ?

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Hervé DOMENACH

Selon un comp­teur sym­bo­lique de la popu­la­tion mon­diale, la Terre comp­tait 6 623 611 000 indi­vi­dus au 21 juin 2007. On estime ain­si que la pla­nète enre­gistre chaque jour 350 000 nais­sances et 160 000 décès, soit presque 200 000 habi­tants supplémentaires.

Tableau 1 – Effec­tif de la popu­la­tion mon­diale selon le nombre d’années pour atteindre un accrois­se­ment de 1 mil­liard supplémentaire
de 1 à 2 mil­liards : 123 ans de 1804 à 1927
de 2 à 3 mil­liards : 33 ans de 1927 à 1960
de 3 à 4 mil­liards : 14 ans de 1960 à 1974
de 4 à 5 mil­liards : 13 ansde1974 à 1987
de 5 à 6 mil­liards : 12 ans de 1987 à 1999
de 6 à 7 mil­liards : 14 ans de 1999 à 2012 (e)
de 7 à 8 mil­liards : 15 ans de 2012 à 2028 (e)
de 8 à 9 mil­liards : 26 ans de 2028 à 2054 (e)
(e) = estimation

Selon un comp­teur sym­bo­lique de la popu­la­tion mon­diale1, la Terre comp­tait 6 623 611 000 indi­vi­dus au 21 juin 2007. On estime ain­si que la pla­nète enre­gistre chaque jour 350 000 nais­sances et 160 000 décès, soit presque 200 000 habi­tants sup­plé­men­taires. La lente pro­gres­sion de l’es­pèce humaine n’a eu d’ef­fets majeurs sur l’en­vi­ron­ne­ment que très récem­ment, et le sen­ti­ment que la Terre est pro­digue de ses res­sources reste encore bien ancré dans la mémoire col­lec­tive, entra­vant en consé­quence la prise de conscience des dés­équi­libres démo-envi­ron­ne­men­taux pré­sents et à venir.

La popu­la­tion mon­diale a aug­men­té de 5 mil­liards d’in­di­vi­dus au cours des deux siècles pas­sés et se sta­bi­li­se­ra pro­ba­ble­ment autour de quelque 9 mil­liards au milieu du siècle actuel. Cette accé­lé­ra­tion pro­di­gieuse de la crois­sance démo­gra­phique nour­rit l’i­dée qu’elle est à la source de tous les pro­blèmes actuels, mais elle n’est que l’un des fac­teurs qui contraignent l’en­vi­ron­ne­ment ter­restre, et pas néces­sai­re­ment le plus prépondérant.

Une intense métamorphose démographique jusqu’en 2050

Envi­ron 95 % de l’ac­crois­se­ment démo­gra­phique actuel dans le monde concerne les pays non occi­den­taux, et la pro­por­tion de leurs effec­tifs dans la popu­la­tion mon­diale qui était de 68 % en 1950, attein­drait 87 % en 2050. Si ces esti­ma­tions devaient se confir­mer2, on assis­te­ra à une for­mi­dable redis­tri­bu­tion de la popu­la­tion mon­diale : en 2050, l’Inde devien­drait le pays le plus peu­plé (1 530 mil­lions d’ha­bi­tants), devan­çant la Chine (1 400 mil­lions), et de loin les États-Unis (408 mil­lions) puis le Pakis­tan (348 mil­lions), tan­dis que l’A­frique comp­te­rait trois fois plus d’ha­bi­tants que l’Eu­rope, alors que la situa­tion était exac­te­ment inverse en 1950. En revanche, quelques pays, occi­den­taux notam­ment, risquent d’af­fron­ter des phé­no­mènes de dépo­pu­la­tion : entre autres nom­breux exemples, la Rus­sie pas­se­rait de 145 mil­lions en 2000 à 101 mil­lions en 2050, si elle main­te­nait sa fécon­di­té actuelle de 1,2 enfant par femme.

Une population mondiale vieillissante

En 2005, 28 % des Ter­riens ont moins de 15 ans, contre 10 % âgés de 60 ans et plus, tan­dis qu’en 2050 la pro­por­tion des « moins de 15 ans » ne serait plus que de 20 % et celle des « 60 ans et plus » aurait dou­blé, attei­gnant 22 %. Cette évo­lu­tion spec­ta­cu­laire répond à deux facteurs :

la baisse de la fécon­di­té par­tout dans le monde : 2,7 enfants par femme en moyenne aujourd’­hui, qui ten­drait vers 2,1 enfants en 2050, soit pré­ci­sé­ment le seuil de renou­vel­le­ment démo­gra­phique. Mais les femmes maliennes et nigé­riennes font encore plus de 7 enfants en moyenne3… ;
 l’es­pé­rance de vie à la nais­sance, en moyenne actuel­le­ment de 65 ans, aug­mente conti­nuel­le­ment et serait au-delà de 70 ans en 2050. Mais la dis­per­sion actuelle reste consi­dé­rable : 82 ans au Japon contre seule­ment 37 ans en Zambie.

On estime à 700 mil­lions envi­ron le nombre de per­sonnes âgées de « 60 ans et plus » en 2005, elles seront trois fois plus nom­breuses en 2050, attei­gnant pro­ba­ble­ment les 2 mil­liards, tan­dis que les effec­tifs de plus de 80 ans pas­se­ront de 85 à 400 mil­lions environ.

Dans cer­tains pays, le renou­vel­le­ment des géné­ra­tions ne sera plus assu­ré : nombre de pays euro­péens notam­ment devront inté­grer des immi­grants, tan­dis que dans le conti­nent afri­cain, la popu­la­tion en âge d’ac­ti­vi­té se situe­rait entre 65 et 70 % de sa popu­la­tion totale, ce qui pour­rait lui don­ner un atout socio-éco­no­mique consi­dé­rable face aux autres régions du monde. Le pas­sage d’un monde plu­tôt jeune à un monde plu­tôt vieux aura des réper­cus­sions majeures sur nos modes de vie, nos habi­tudes de consom­ma­tion et de confort, dans un contexte de prise de conscience des limites de nos ressources.

Effec­tif (en mil­lions) de popu­la­tion selon les grandes régions du monde (1950−2050)
Grandes régions 1950 1970 1995 2025 2050
Afrique 224 364 719 1349 1969
Amé­rique du Nord 166 226 297 386 457
Amé­rique latine 165 283 477 702 805
Asie 1402 2147 3438 4759 5325
Europe 549 656 728 716 660
Océa­nie 13 19 28 41 46
Monde 2519 3697 5687 7953 9262

Source : Word Data sheet, Popu­la­tion refe­rence Bureau, 2005.

2005 2050
0–14 15–59 60+ 80+ 0–14 15–59 60+ 80+
Total Monde

Régions plus développées

Régions moins développées

Afrique

Asie

Europe

Am. latine et Caraïbes

Amé­rique du Nord

Océa­nie

28,3 61,4 10,3 1,3

17,0 62,9 20,1 3,7

30,9 61,0 8,1 0,8

41,4 53,4 5,2 0,4

28,0 62,7 9,2 1,0

15,9 63,5 20,6 3,5

29,8 61,2 9,0 1,2

20,5 62,7 16,7 3,5

24,9 61,0 14,1 2,6

19,8 58,3 21,8 4,4

15,2 52,2 32,6 9,4

20,6 59,3 20,1 3,6

28,0 61,7 10,4 1,1

18,0 58,3 23,7 4,5

14,6 50,9 34,5 9,6

18,0 57,8 27,3 7,8

17,1 55,6 27,3 7,8

18,4 56,9 24,8 6,8

Source : World popu­la­tion pros­pects, the 2006 revi­sion, High­lights, FNUAP, ONU, New York.

Le processus irréversible d’urbanisation

Le FNUAP4 a publié en juin 2007 son rap­port annuel sur l’é­tat de la popu­la­tion urbaine dans le monde : avec 1 mil­lion de cita­dins sup­plé­men­taires chaque semaine, ce sont sur­tout les villes de 500 000 habi­tants en moyenne dans les pays en déve­lop­pe­ment qui aug­men­te­ront consi­dé­ra­ble­ment, tan­dis que la popu­la­tion des méga­poles connaî­trait pro­ba­ble­ment une pour­suite de crois­sance lente (Tokyo est actuel­le­ment l’ag­glo­mé­ra­tion la plus impor­tante avec 33 mil­lions d’ha­bi­tants). En 2030 envi­ron, la popu­la­tion urbaine dépas­se­rait les 5 mil­liards et ten­drait vers plus de 6 mil­liards en 2050, tan­dis que paral­lèl­le­ment le rap­port estime la popu­la­tion actuelle des « tau­dis » du monde à 1 mil­liard, effec­tif impos­sible à projeter.

Des doctrines à l’expression scientifique5

C’est avec les mer­can­ti­listes, qu’est abor­dée la rela­tion popu­la­tion-res­sources : l’Essai sur le prin­cipe de popu­la­tion de Mal­thus (1798) ose l’i­dée de sur­po­pu­la­tion, affir­mant que « La popu­la­tion tend constam­ment à s’ac­croître au-delà des moyens de sub­sis­tance et qu’elle est arrê­tée par cet obs­tacle. » Au XXe siècle, le débat se concentre sur la rela­tion popu­la­tion-déve­lop­pe­ment, trai­tée essen­tiel­le­ment selon le dis­cri­mi­nant éco­no­mique, jus­qu’à l’in­tro­duc­tion contem­po­raine du concept de déve­lop­pe­ment humain puis de déve­lop­pe­ment durable, per­met­tant enfin à l’en­vi­ron­ne­ment de trou­ver sa place dans cette équation.

En cari­ca­tu­rant, deux ten­dances se sont affron­tées : pour l’une, la crois­sance démo­gra­phique est la source de tous les drames humains (guerres, épi­dé­mies, famines, infan­ti­cide, pau­vre­té, etc., et aujourd’­hui dégra­da­tion de l’en­vi­ron­ne­ment) ; pour l’autre, elle n’est que l’un des fac­teurs d’une équa­tion pla­né­taire complexe.

Quar­tier de Shin­ju­ku, Tokyo, Japon (35°42′ N – 139°46′ E)

À l’origine vil­lage de pêcheurs bâti au milieu des maré­cages, Edo devient Tokyo, « la capi­tale de l’Est », en 1868. Ne ces­sant de s’agrandir sous l’impulsion de ses com­mer­çants, la ville, dévas­tée par un trem­ble­ment de terre en 1923 et par les bom­bar­de­ments en 1945, renaît par deux fois de ses cendres. Aujourd’hui, la méga­lo­pole de Tokyo, qui s’étend sur 70 km et compte 35 mil­lions d’habitants (contre 6,4 en 1950), est deve­nue la plus vaste zone urbaine du monde. Construite sans sché­ma glo­bal d’urbanisation, elle dis­pose de plu­sieurs centres qui satel­lisent les dif­fé­rents quar­tiers. Shin­ju­ku, quar­tier des affaires, est domi­né par un ensemble impres­sion­nant de bâti­ments admi­nis­tra­tifs, par­mi les­quels l’hôtel de ville, struc­ture de 243 mètres de haut ins­pi­rée de la cathé­drale Notre-Dame de Paris. En 1950, seules New York et Londres, avec plus de 8 mil­lions d’habitants, étaient consi­dé­rées comme des méga­lo­poles. En 1995, 23 agglo­mé­ra­tions de la pla­nète étaient concer­nées, et elles seront 36 en 2015.

La démographie est le produit de l’histoire sociale

Lors de la pre­mière confé­rence sur l’en­vi­ron­ne­ment (Stock­holm, 1972), Ehr­lich avec son livre La Bombe P6, dif­fuse le concept de capa­ci­té de charge7, et les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales prennent conscience des limites phy­siques et bio­lo­giques de la Terre. Cer­tains agro­nomes et bio­lo­gistes pensent alors qu’est déjà atteint le seuil de l’ir­ré­ver­si­bi­li­té : effet de serre, ame­nui­se­ment de la bio­di­ver­si­té, éro­sion des terres culti­vables, raré­fac­tion de l’eau. Pour les néo­mal­thu­siens, un seul remède : il faut inver­ser la ten­dance à la pro­li­fé­ra­tion des hommes : le bio­lo­giste J. Dorst8 parle d’une véri­table pul­lu­la­tion, l’é­co­lo­giste F. Ramade assure que la plu­part des maux de l’hu­ma­ni­té pro­viennent de sa repro­duc­tion anar­chique. Plus nuan­cé, l’ap­pel d’Hei­del­berg9 pré­sen­tait la sur­po­pu­la­tion comme un mal à soi­gner d’urgence.

Mais paral­lèl­le­ment les anti­mal­thu­siens, avec Prou­dhon, Marx, Engels, avaient réfu­té vigou­reu­se­ment l’ar­gu­ment sur la sur­po­pu­la­tion : « chaque mode de pro­duc­tion, chaque sys­tème social pos­sède ses propres lois de popu­la­tion », et Meillas­soux por­tait cette conclu­sion : « La démo­gra­phie ne com­mande pas l’his­toire, elle en est d’a­bord le pro­duit », l’homme étant un être social avant tout, doté d’une capa­ci­té intrin­sèque d’a­dap­ta­tion et d’in­no­va­tion. Allant à l’en­contre des poli­tiques de limi­ta­tion des nais­sances, J. Simon10 pose comme prin­cipe, que plus la popu­la­tion croît, plus sa capa­ci­té d’in­no­va­tion tech­no­lo­gique accé­lère le pro­ces­sus d’a­dap­ta­tion. Axée sur le déve­lop­pe­ment agri­cole, la thèse de E. Bose­rup11 met en avant l’i­dée que l’homme s’a­dapte et pro­gresse tech­no­lo­gi­que­ment en fonc­tion du risque atta­ché à sa sur­vie : la raré­fac­tion de la terre pro­voque l’in­ten­si­fi­ca­tion agri­cole, la recherche de sys­tèmes de pro­duc­tion plus effi­caces, un usage moins dégra­dant des res­sources natu­relles, une ges­tion plus ration­nelle de l’eau.

Surpopulation et développement durable

Aucune de ces thèses ne résiste à l’exa­men des faits contem­po­rains : la sur­po­pu­la­tion est rela­tive selon les ter­ri­toires et les muta­tions éco­lo­giques res­tent peu pré­vi­sibles, ce qui a conduit cer­tains auteurs à rela­ti­vi­ser le risque envi­ron­ne­men­tal12, tan­dis qu’un cou­rant mon­dia­liste modé­ré pre­nait acte de ce que la pres­sion démo­gra­phique n’est plus la cause directe des pro­blèmes d’en­vi­ron­ne­ment. Le FNUAP illustre bien ces idées, en annon­çant un posi­tion­ne­ment néo­mal­thu­sien13 : « Par ses acti­vi­tés, l’homme sou­met la nature à des contraintes qui se tra­duisent par une ponc­tion de plus en plus lourde sur les res­sources natu­relles essen­tielles à toute vie : l’eau et la terre… Dans les pays en déve­lop­pe­ment, un ralen­tis­se­ment de la crois­sance et une répar­ti­tion plus équi­li­brée de la popu­la­tion per­met­traient d’at­té­nuer les pres­sions éco­no­miques qui s’exercent sur les terres agri­coles, les sources d’éner­gie, les bas­sins ver­sants, les forêts… » puis, en sou­li­gnant l’im­por­tance d’autres fac­teurs : pau­vre­té, concen­tra­tion de la popu­la­tion, état de dépen­dance et dette exté­rieure, épui­se­ment des res­sources natu­relles par les indus­tries extrac­tives et l’a­gro-indus­trie exportative.

Le déve­lop­pe­ment durable est doré­na­vant au cœur du débat : la pré­ca­ri­té de l’en­vi­ron­ne­ment14 impose de trou­ver des réponses aux muta­tions pro­vo­quées par les acti­vi­tés humaines. Ain­si, le rap­port Brunt­land15 constate que la pau­vre­té est à la fois effet et cause des pro­blèmes d’en­vi­ron­ne­ment. Tabu­tin et Thiltges16 rele­vaient dans le rap­port de la Com­mis­sion Sud en 1990, cette phrase qui en dit long sur le chan­ge­ment d’at­ti­tude des grandes agences inter­na­tio­nales : « La pres­sion démo­gra­phique n’est qu’un des sept fac­teurs por­tant atteinte à l’en­vi­ron­ne­ment, les autres étant les régimes fon­ciers, le type de déve­lop­pe­ment agri­cole, la pres­sion éco­no­mique du Nord, l’im­pé­ra­tif d’in­dus­tria­li­sa­tion et de crois­sance, l’a­dop­tion d’ha­bi­tudes de consom­ma­tion néces­si­tant tou­jours plus d’éner­gie, et enfin l’exode des popu­la­tions rurales vers le Nord. »

L’introuvable optimum de population pour la planète Terre

Un exploi­tant agri­cole occi­den­tal doté de toute la tech­no­lo­gie, peut culti­ver seul jus­qu’à 250 hec­tares et habi­ter en ville, sym­bo­li­sant ain­si la déstruc­tu­ra­tion des socio­sys­tèmes ruraux.

À l’autre extrême, la den­si­té de popu­la­tion du Ban­gla­desh est de 1 000 habi­tants par km2, pour une moyenne mon­diale de 48 hbts/km2, tan­dis que la ville du Caire compte approxi­ma­ti­ve­ment 14 mil­lions d’ha­bi­tants la nuit, mais 17 mil­lions pen­dant la jour­née, la concen­tra­tion pou­vant atteindre jus­qu’à 100 000 per­sonnes par km2 dans cer­tains quar­tiers, l’exode rural ame­nant chaque année quelques 200 000 habi­tants sup­plé­men­taires en ville en quête de tra­vail, de loge­ment, d’ac­cès aux soins et à l’é­du­ca­tion… que les milieux ruraux satis­font peu.

L’approche théorique

De nom­breux tra­vaux uti­li­sant des algo­rithmes à esti­ma­tion de dis­tri­bu­tion ont ten­té de résoudre cette ques­tion de l’op­ti­mum de popu­la­tion, qui se confronte immé­dia­te­ment à celle de l’op­ti­mum de consom­ma­tion, dépen­dant à son tour des fac­teurs de pro­duc­tion et des pra­tiques socio­cul­tu­relles. Il existe des mil­liers de modèles qui éva­luent la capa­ci­té de charge anthro­pique de la Terre entre 10 et 25 mil­liards d’in­di­vi­dus pour la plu­part, selon des stocks de don­nées (datas ware­houses) qui atteignent plu­sieurs mil­liers de giga­oc­tets… Dès lors, com­ment per­ce­voir une cor­ré­la­tion ana­ly­tique inté­res­sante ? L’am­pli­tude des résul­tats obte­nus à par­tir de ce que les Anglo-Saxons dénomment le data­mi­ning, c’est-à-dire l’art de déni­cher des ten­dances à tra­vers des bases de don­nées « dis­tri­buées », montre qu’un consen­sus autour d’un opti­mum de popu­la­tion est de plus en plus improbable.

Il existe néan­moins des outils sus­cep­tibles d’ap­por­ter des élé­ments a pos­te­rio­ri, telle l’é­qua­tion de Com­mo­ner17 : l’im­pact de la popu­la­tion sur l’en­vi­ron­ne­ment (I) y est déter­mi­né par trois fac­teurs : la taille de la popu­la­tion ℗, la consom­ma­tion de biens par tête (A) et la tech­no­lo­gie (T). Ce der­nier fac­teur résume plus pré­ci­sé­ment la quan­ti­té de res­sources uti­li­sée et de dégra­da­tion géné­rée par la pro­duc­tion et la consom­ma­tion par uni­té de biens et services.

Soit : I = P x A x T

Cette for­mule per­met d’es­ti­mer l’é­vo­lu­tion de l’im­pact rela­tif de la crois­sance de la popu­la­tion. Par exemple, aux USA entre 1960 et 1985, la popu­la­tion a aug­men­té de 1,3 % et la consom­ma­tion d’éner­gie de 2,8 % par an ; en sup­po­sant que les chan­ge­ments tech­no­lo­giques soient peu impor­tants, la part de la popu­la­tion dans l’aug­men­ta­tion de consom­ma­tion d’éner­gie serait de 48 %. La réa­li­té est plus com­plexe : les trois fac­teurs sont inter­dé­pen­dants et le risque de dégra­da­tion est dépen­dant du poids des tech­no­lo­gies employées. Dans ses tra­vaux, Com­mo­ner montre en com­pa­rant 65 pays du Sud, que le poids de la tech­no­lo­gie uti­li­sée est deux à trois fois supé­rieur au poids démo­gra­phique17.

L’improbable régulation démo-environnementale

L’ur­ba­ni­sa­tion, les infra­struc­tures et les acti­vi­tés pol­luantes mettent en dan­ger la ges­tion « durable » des usages des ter­ri­toires. Selon les don­nées du WWF18, le bilan glo­bal des éco­sys­tèmes natu­rels fait état d’une dimi­nu­tion de 35 % envi­ron des richesses natu­relles de la Terre entre 1970 et 2000, plus d’un mil­liard d’hec­tares auraient été dégra­dés en rai­son des engrais chi­miques et des pes­ti­cides, de l’a­gro-pro­duc­ti­visme, de la déforestation…

Entre mille exemples, la déser­ti­fi­ca­tion ache­vée du nord-ouest haï­tien pour cause de com­merce inten­sif de char­bon de bois, stig­ma­tise bien les situa­tions d’ir­ré­ver­si­bi­li­té dont l’in­ven­taire devient tou­jours plus com­plexe ; la culture exten­sive du soja trans­gé­nique en Argen­tine et au Bré­sil, pour nour­rir notam­ment les éle­vages euro­péens de pou­lets en bat­te­rie, détruit à vive allure la forêt et dégrade les sols. Pour rendre compte de ce constat alar­miste, quelques ins­ti­tu­tions uti­lisent depuis 1994 le concept d’empreinte éco­lo­gique (EE), qui éva­lue la charge qu’une popu­la­tion don­née fait peser sur les écosystèmes.

Le WWF donne quelques exemples illus­tra­tifs pour le consom­ma­teur occi­den­tal : le rem­pla­ce­ment de 5 heures de voyage en avion par le même tra­jet en train, per­met­trait de réduire son EE de 1 000 m2, le rem­pla­ce­ment de la consom­ma­tion de viande une fois par semaine par un sub­sti­tut végé­ta­rien per­met­trait de réduire son EE de 1 000 m2 par an.

Deux planètes pour les Européens et cinq pour les Américains

Mais il faut gar­der à l’es­prit que cela ne concerne que des per­sonnes nan­ties et conscientes du pro­blème, soit quelques 2 à 300 mil­lions de per­sonnes en hypo­thèse haute, à peine 3 à 5 % de la popu­la­tion mon­diale. La moyenne mon­diale de l’empreinte éco­lo­gique est de 2,2 ha par ter­rien mais un Euro­péen a besoin de 5 ha pour main­te­nir son niveau de vie et si tout le monde consom­mait autant qu’un Euro­péen, il fau­drait l’é­qui­valent de deux pla­nètes sup­plé­men­taires. Un Nord-Amé­ri­cain a besoin de 9,4 ha et si tout le monde consom­mait comme lui, il fau­drait cinq pla­nètes supplémentaires…

Une nécessaire gouvernance mondiale

Même si l’on prend en compte l’é­vo­lu­tion des tech­no­lo­gies et la capa­ci­té humaine à s’a­dap­ter aux situa­tions de crise, l’en­vi­ron­ne­ment appa­raît désor­mais comme un pro­blème glo­bal alors que les échelles déci­sion­naires res­tent au niveau local ou régio­nal, ce qui pose la ques­tion des soli­da­ri­tés internationales.

L’émergence de la société civile

Au Som­met mon­dial sur le déve­lop­pe­ment durable de Johan­nes­burg, en 2002, la contes­ta­tion a été jus­qu’à consi­dé­rer le déve­lop­pe­ment durable comme un « mot-clé et un mot d’ordre de plus » selon les termes d’A­mi­na­ta D. Trao­ré19. Ces réac­tions à un ordre mon­dial, de plus en plus fon­dé sur les cri­tères de l’é­co­no­mie ultra­li­bé­rale, sont la tra­duc­tion des inéga­li­tés crois­santes : accès aux res­sources, risques éco­lo­giques, pro­tec­tion épi­dé­mio­lo­gique… Inéga­li­tés de sur­vie aus­si : les deux tiers de l’hu­ma­ni­té ont dix à vingt ans de moins à vivre que le tiers vivant dans le monde nanti.

Si la crois­sance zéro, que seule une gou­ver­nance pla­né­taire pour­rait régu­ler, n’est pas encore à l’ordre du jour, nombre d’é­co­no­mistes s’in­té­ressent doré­na­vant à la ques­tion de la moindre crois­sance, aux fins de trou­ver un équi­libre entre un indi­ca­teur éco­no­mique et un indi­ca­teur de bien-être : PIB ver­sus BIB20. La démo­gra­phie contri­bue à l’é­mer­gence d’in­di­ca­teurs nou­veaux favo­ri­sant une mesure du BIB, comme l’in­di­ca­teur de frac­ture mon­diale qui uti­lise les niveaux de richesse, l’es­pé­rance de vie, la mor­ta­li­té infan­tile, la den­si­té de popu­la­tion, etc.

L’excès de richesse comme l’extrême pauvreté menacent l’environnement

La ville de Mexi­co, Mexique (N 19°20’- O 99°08’).

Dépas­sant 17 mil­lions d’habitants à la fin du XXe siècle et 20 mil­lions avec sa péri­phé­rie, la ville de Mexi­co se situe au 4e rang mon­dial des villes plu­ri­mil­lion­naires. Elle est repré­sen­ta­tive du nou­veau gigan­tisme qui marque de nom­breuses villes des pays en déve­lop­pe­ment. L’ampleur des pro­blèmes est à l’échelle de leur déme­sure : loge­ment, accès à l’eau, trans­port, trai­te­ment des déchets et maî­trise des rejets. L’insuffisance des trans­ports col­lec­tifs et l’usage de plus en plus fré­quent de l’automobile sont sources d’une pol­lu­tion consi­dé­rable de l’air et de graves pro­blèmes de san­té. Sou­mise à un smog qua­si per­ma­nent, Mexi­co est l’une des villes les plus pol­luées du monde avec Chang­qing, Bang­kok, San­tia­go du Chi­li, etc..

Il est pro­bable que la pla­nète n’en soit encore qu’aux pré­mices d’un pro­ces­sus intense de mobi­li­té spa­tiale résul­tant des muta­tions envi­ron­ne­men­tales. Et si, par exemple, la tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète aug­men­tait, ne serait-ce que d’un degré ou deux, dans les décen­nies à venir ?

La ques­tion est désor­mais posée ins­ti­tu­tion­nel­le­ment et il s’a­git d’an­ti­ci­per les mul­tiples consé­quences, et notam­ment ce qu’il advien­drait des popu­la­tions concer­nées par la mon­tée des océans (Ban­gla­desh, le lit­to­ral chi­nois, les îles…), la dis­pa­ri­tion de terres arables, la déser­ti­fi­ca­tion et la dimi­nu­tion de la fer­ti­li­té des sols (L’A­frique, le Moyen-Orient, la Chine, l’Inde, le Pakis­tan, mais aus­si l’Es­pagne, la Grèce, le Por­tu­gal… soit une cen­taine de pays dans le monde), les famines liées aux séche­resses, les épidémies.

Le monde connaî­tra ces cin­quante pro­chaines années les plus impor­tants contrastes démo­gra­phiques de son his­toire : douze pays ver­ront leur popu­la­tion tri­pler ; cin­quante et un ver­ront chu­ter la leur, notam­ment en Europe.

Dans un contexte pla­né­taire où la richesse des uns, tout autant que l’ex­trême pau­vre­té des autres consti­tuent de graves menaces pour l’en­vi­ron­ne­ment, n’ap­pa­raissent tou­jours pas clai­re­ment les poli­tiques à mener pour sur­mon­ter les anta­go­nismes entre la satis­fac­tion des besoins pri­maires des popu­la­tions défa­vo­ri­sées et la sur­con­som­ma­tion des peuples nan­tis, entre les acteurs des pol­lu­tions et ceux qui les subissent.

1. Cf. www.worldpopclock.com – Nombre de pays ne dis­po­sant pas d’un sys­tème cen­si­taire fiable ou ayant des don­nées trop anciennes, on peut consi­dé­rer que l’in­cer­ti­tude concer­nant les effec­tifs de popu­la­tion mon­diale est de plus ou moins 2 à 3 %. approximativement.
2. Les pro­jec­tions de popu­la­tion dépendent des hypo­thèses for­mu­lées pour la fécon­di­té, la mor­ta­li­té, les migra­tions, et néces­sitent donc des réajus­te­ments per­ma­nents, notam­ment parce que l’on ne dis­pose pas de modèle socio-éco­no­mique per­met­tant de rendre compte des évo­lu­tions de fécon­di­té. Hors évé­ne­ments de rup­ture (guerre, épi­dé­mies, cata­clysmes…), les évo­lu­tions démo­gra­phiques sont cepen­dant suf­fi­sam­ment lentes pour offrir une rela­tive fia­bi­li­té à moyen terme.
3. Cf. « Tous les pays du monde », Popu­la­tion et socié­tés n° 414, juillet 2005.
4. FNUAP : Fonds des Nations unies pour la population.
5. Cf. Dome­nach, H., 2006, « Entre sciences et doc­trines : la rela­tion popu­la­tion-envi­ron­ne­ment », Nature, Sciences Socié­tés, vol. 14 : 174–178.
6. Ehr­lich, P., 1971. The Popu­la­tion Bomb. New York, Bal­lan­tine Press, (publié chez Fayard sous le titre La Bombe P, Paris, 1972).
7. Car­rying capa­ci­ty en anglais, soit le nombre d’in­di­vi­dus que peut sup­por­ter un territoire.
8. Dorst, J., 1962. Avant que nature meure, Neu­châ­tel, Dela­chaux et Niestle.
9. L’ap­pel d’Hei­del­berg, signé par plu­sieurs cen­taines de scien­ti­fiques, dont une bonne cin­quan­taine de prix Nobel s’é­le­vait contre l’é­mer­gence d’une idéo­lo­gie irra­tion­nelle qui s’op­pose au pro­grès scien­ti­fique et consi­dé­rait l’ur­gence d’une éco­lo­gie scien­ti­fique qui per­met­trait de venir à bout de fléaux tels que la sur­po­pu­la­tion, la faim et les pan­dé­mies. Il fut pré­sen­té à la confé­rence de Rio en 1992.
10. Simon, J., 1981. The Ulti­mate Res­source, Prin­ce­ton Uni­ver­si­ty Press.
11. Bose­rup, E., 1970, Évo­lu­tion agraire et pres­sion démo­gra­phique, Flam­ma­rion, Paris.
12. Le Bras, H., 1994. Les Limites de la pla­nète : mythes de la nature et de la popu­la­tion, Paris, Flammarion.
13. L’é­tat de la popu­la­tion mon­diale en 1998, rap­port de Nafis Sadik, FNUAP.
14. Les signaux éco­lo­giques se mul­ti­plient : le GIEC qua­li­fie de « très pro­bable » le rôle des acti­vi­tés humaines dans l’aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures moyennes depuis le milieu du XXe siècle et indique que 3,2 mil­liards d’hu­mains pour­raient être sévè­re­ment tou­chés par des pénu­ries d’eau d’i­ci 2080.
15. Paru en 1987, ce rap­port du nom du Pre­mier ministre nor­vé­gien, rap­por­teur du pro­jet de la Com­mis­sion mon­diale pour l’en­vi­ron­ne­ment et le déve­lop­pe­ment, avait intro­duit le concept de « sus­tai­nable deve­lop­ment » (tra­duit par « déve­lop­pe­ment durable »), défi­ni comme « un déve­lop­pe­ment qui répond aux besoins des géné­ra­tions pré­sentes sans com­pro­mettre la capa­ci­té des géné­ra­tions futures de répondre aux leurs », s’ap­puyant sur trois piliers deve­nus opé­ra­tion­nels dans nombre de grandes entre­prises ; social, envi­ron­ne­men­tal et éco­no­mique, aux­quels on ajoute main­te­nant un qua­trième pilier : la gouvernance.
16. Tabu­tin, D., Thiltges, E., 1991. Démo­gra­phie et envi­ron­ne­ment : une syn­thèse des faits, doc­trines et poli­tiques dans les pays du Sud, Lou­vain-la-Neuve, Uni­ver­si­té catho­lique de Lou­vain, Unesco.
17. Com­mo­ner, B., 1988. Rapid Popu­la­tion Growth and Envi­ron­men­tal Stress in Conse­quences of Rapid Popu­la­tion Growth in Deve­lo­ping Coun­tries, U.N. expert group Mee­ting, New York, 231–263.
18. Le World Wide Fund (Fonds mon­dial pour la nature) a 4,7 mil­lions de membres à tra­vers le monde.
19. Ami­na­ta D. Trao­ré, L’op­pres­sion du déve­lop­pe­ment, Le Monde Diplo­ma­tique, sep­tembre 2002, et Viol de l’i­ma­gi­naire, Actes Sud, Fayard, Paris Arles, 2002.
20. Pro­duit inté­rieur brut ver­sus Bon­heur inté­rieur brut.

Commentaire

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orni­torépondre
22 janvier 2013 à 18 h 45 min

et ?
Il faut espé­rer que la gou­ver­nance mon­diale appe­lée de ces voeux aura à sa dis­po­si­tion plus qu’une bébête équa­tion ana­logue à la défi­ni­tion du débit d’eau dans un tuyau (Eq. de Com­mo­ner). Sinon, comme le dit l’au­teur, « n’ap­pa­rai­tront tou­jours pas clai­re­ment les poli­tiques à mener pour sur­mon­ter les antagonismes ».

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