Denis Leblond (75), le major au grand cœur
En ce froid après-midi d’hiver 2014, l’église parisienne de la Trinité est pleine. L’assistance est venue remettre Denis Leblond entre les mains du Père du Ciel. Fauché dans la plénitude de l’âge, à 57 ans, celui que pleurent son épouse, leurs 6 enfants et leurs 5 petits-enfants est resté, pour nombre de ses camarades de la promotion 75 de l’X dont il fut l’intouchable major, une énigme.
Arborant un sourire d’éternel adolescent, affectant une grande décontraction qui ne l’empêchait pas, à l’approche des partiels à l’X, de s’enfermer dans sa chambre pour, le jour J, faire le trou avec ses suivants, Denis offrait le cocktail d’une vraie chaleur humaine et d’une propension à cultiver son jardin secret. Ce jardin-là, en ce jour-là, beaucoup ont découvert que c’est celui du Seigneur.
La Trinité ne pouvait mieux convenir à celui qui fut pleinement de ce monde et le gratifia de sa joie débordante. L’année du bac, en 1973, il emportait déjà une médaille d’argent aux Olympiades de mathématiques à Moscou. Deux ans plus tard, il intégrait l’X dont il sortait, comme il était entré, major.
A peine mis sur orbite de la carrière par le corps des mines, redoutant de s’ankyloser dans la vie de fonctionnaire, il était en 1982 contraint à la « pantoufle » : démissionnaire du corps qu’il venait à peine d’intégrer. Il avait alors déjà, deux ans plus tôt, fait le choix décisif de sa vie : Rosemary.
C’était au cours de son compagnonnage dans le corps des mines. En stage aux États-Unis, Denis fréquentait ce jour-là une retraite des Sœurs de la Charité. Une jeune Américaine qui revenait d’un séjour à Paris comme jeune fille au pair découvrit sur son banc une Bible en français. Intriguée, elle en chercha le propriétaire… Six semaines plus tard, ils étaient fiancés, six mois plus tard mariés. « J’avais demandé au Seigneur un signe ; par bonheur, il a bien voulu ne pas me faire patienter ! » sourit la femme de sa vie.
Sa carrière est portée par le jeune foyer qui grandit à leurs côtés. Un vieil ami se souvient de Denis « avec ses enfants et son sourire lumineux, jouant au train électrique à Saint-Maur des Fossés et, plus tard, bâtissant des châteaux de sable sur la plage d’Hossegor ». Devenu grand-père, il aura cultivé avec le même appétit cette complicité créative avec la jeune génération. Il avait mis à son programme, pour 2014, la traversée de l’Ouest américain à vélo…
Toujours avide de nouveaux espaces, et en plein accord avec l’élue de son cœur avec laquelle il partageait tout (« Derrière un grand homme, il y a toujours une grande femme », rappelait la Communauté de l’Emmanuel à ses funérailles), Denis rêvait de prendre sa retraite à 40 ans pour embrasser une deuxième carrière, de service des plus petits.
Par respect pour son foyer, il aura patienté une bonne dizaine d’années. Mais en 2008, alors que 4 de leurs 6 enfants ont quitté le nid, Denis et Rosemary, accompagnés de leurs deux derniers, partent pour Bucarest pour le compte de Fidesco, organisation caritative de l’Emmanuel, partager pendant deux ans la vie des enfants Roms.
Ils y resteront deux ans. « Il y réfléchissait depuis bien longtemps. Il était revenu bouleversé des voyages d’affaires qu’il avait faits pour le compte de l’Air Liquide, dans les années 90, en Chine, au Brésil ou ailleurs. A Calcutta, il avait rencontré les sœurs de Mère Teresa. ‘Là d’où je reviens, jamais je ne pourrai t’emmener, c’est trop dur’, me disait-il à son retour », se souvient Rosemary.
« Comment moi, avec tout ce que j’ai reçu, ne pourrais-je pas rendre un peu à mes frères dans la peine ? » : à la cinquantaine, le voilà à pied d’œuvre.
Mais alors, de 20 à 50 ans, une parenthèse ? Non. Denis a pleinement habité le monde de l’ « économie réelle » où il avait choisi de grandir. Du Schlumberger de ses premières armes à la présidence de Segula Technologies, il aura suivi une brillante trajectoire de grand capitaine d’industrie. Il n’aura jamais boudé les métiers à risque, comme la direction d’ensembles fortement syndiqués, chez Mack Trucks Volvo puis chez Faurecia, à Detroit.
A lire son CV, on s’étonne qu’il n’ait jamais eu à gérer un plan social, mais au contraire qu’il ait su tirer les entreprises qui lui étaient confiées avec des taux de croissance à la chinoise. « Il aimait aller serrer les mains sur les chaînes. Il disait que les secrétaires étaient le ciment de l’entreprise. »
Lui l’optimiste, un peu candide, aura-t-il été déçu par la mesquinerie du monde de l’entreprise ? C’est la question que se posent ceux qui l’ont connu. Quand il quitta le monde des multinationales, à 52 ans, il était à la tête d’un bureau d’études de 6 500 collaborateurs spécialisé dans les hautes technologies, et présent dans 18 pays. Mais Dieu l’attendait ailleurs.
« Le départ soudain de Denis nous rappelle que Dieu n’a que faire de l´efficacité ; Il cueille Ses fleurs quand elles sont prêtes. La Communauté, l´Église, n“existent pas pour signer des projets spectaculaires, mais pour sanctifier leurs membres dans le monde et y répandre l´amour de Jésus. », rappelait un ami de l’Emmanuel à ses funérailles. L’éternel sourire de Denis, c’est la fleur que le Seigneur offrira pour toujours à ses amis.