Section d'un pneumatique Michelin

Des approches multiéchelles pour les matériaux et l’industrie manufacturière

Dossier : Simulation et supercalculateursMagazine N°732 Février 2018
Par Olivier COULOMB (91)

La simu­la­tion numé­rique pour la concep­tion des pro­duits est cal­cu­lée aujourd’­hui avec des lois de com­por­te­ment macro­sco­piques de maté­riaux. Y inclure le cal­cul de ce com­por­te­ment à par­tir des pro­prié­tés micro­sco­piques, voire ato­miques, est en cours d’é­tude, mais le stade indus­triel n’est pas encore atteint. 

Les enjeux de la simu­la­tion maté­riau sont prin­ci­pa­le­ment un gain dans la rapi­di­té de concep­tion et de mise sur le mar­ché de solu­tions inno­vantes et l’ouverture de nou­velles voies de concep­tion par la meilleure com­pré­hen­sion des phé­no­mènes phy­siques et physicochimiques. 

La simu­la­tion du maté­riau doit être vue dans une logique mul­tié­chelle. Le cou­plage aux « lois de com­por­te­ment » macro­sco­piques ali­men­tées par les échelles infé­rieures sera une des clés du suc­cès de l’introduction de la simu­la­tion avan­cée des maté­riaux dans les pro­chaines années. 

Comme le montre le sché­ma ci-des­sous, une bonne modé­li­sa­tion du pro­duit (le pneu dans cet exemple) néces­site une bonne repré­sen­ta­tion phy­sique des poly­mères, du tex­tile et du métal et de leur assemblage. 

REPÈRES

La simulation numérique est devenue incontournable depuis plus de vingt ans pour la conception des produits que ce soit dans l’automobile, l’aéronautique et les industries manufacturières.
Il s’agit la plupart du temps de simulation (code éléments finis par exemple) du produit dans son ensemble, les matériaux étant représentés par des lois de comportement macroscopiques.

DES LOIS MATHÉMATIQUES SANS CESSE OPTIMISÉES

L’approche stan­dard uti­li­sée dans toutes les indus­tries aéro­nau­tique, auto­mo­bile et manu­fac­tu­rière consiste à appro­cher des résul­tats de tests de maté­riau sous dif­fé­rentes sol­li­ci­ta­tions par des lois de com­por­te­ment mathé­ma­tiques afin de pou­voir réa­li­ser l’ensemble des cal­culs de struc­ture nécessaires. 

Un tra­vail impor­tant de ces der­nières années a été et est tou­jours d’optimiser ces lois mathé­ma­tiques afin de rendre compte de la meilleure manière pos­sible du com­por­te­ment du maté­riau aux dif­fé­rentes sollicitations. 

Cette approche per­met de modé­li­ser à un coût rai­son­nable le com­por­te­ment macro­sco­pique des maté­riaux et de l’ensemble de la struc­ture. Les pro­grès en modé­li­sa­tion maté­riau per­met­tront de cal­cu­ler et non plus mesu­rer et approxi­mer le com­por­te­ment réel des matériaux. 


Les pro­grès en modé­li­sa­tion mul­tié­chelles per­met­tront de cal­cu­ler le com­por­te­ment réel des maté­riaux. © GROUPE MICHELIN

DES OUTILS POUR CHAQUE ÉCHELLE DE TRAVAIL

Lorsqu’on parle de simu­la­tion maté­riau, on doit en réa­li­té par­ler de simu­la­tion de dif­fé­rentes échelles de tra­vail (de lon­gueur L et de temps t) : échelle quan­tique (struc­ture élec­tro­nique, force entre atomes) ; échelle ato­mis­tique (L < 10 μm, t < 1 ns, mou­ve­ment des atomes, pro­prié­tés locales) ; échelle des méso­par­ti­cules (1 μs < t < 1 ms, mou­ve­ments de seg­ments molé­cu­laires) ; échelle des champs méso­sco­piques (phases cris­tal­lines, hété­ro­gé­néi­tés) ; échelle macro­sco­pique de l’ordre du millimètre. 

Tout cela doit ali­men­ter l’échelle sui­vante de la struc­ture (par exemple le pneumatique). 

DES BESOINS TRÈS DIVERS

Les besoins en simu­la­tion des maté­riaux concernent des aspects très variés : la recherche de com­po­si­tions aux pro­prié­tés spé­ci­fiées (dans le cas du pneu, la tren­taine de poly­mères et les 200 com­po­sés chi­miques donnent un nombre très impor­tant de pos­si­bi­li­tés) ; les pro­cé­dés de fabri­ca­tion (une meilleure connais­sance de l’impact des para­mètres pro­cé­dés sur les carac­té­ris­tiques maté­riaux devrait per­mettre l’optimisation de ces der­niers) ; le com­por­te­ment des maté­riaux en fonc­tion­ne­ment (nor­mal ou acci­den­tel) ; la tenue au vieillis­se­ment (suite aux sol­li­ci­ta­tions phy­siques, à la cha­leur, à l’ozone…).

Cette grande varié­té de pro­prié­tés et de besoins appli­ca­tifs se tra­duit par une grande varié­té des outils de simu­la­tion. Il n’existe pas d’outil rela­ti­ve­ment uni­ver­sel per­met­tant de simu­ler à la demande telle ou telle pro­prié­té, mais un ensemble de « briques de base », qu’il convient de faire pro­gres­ser, tant sur le plan algo­rith­mique que dans leur adap­ta­tion aux nou­velles géné­ra­tions de super­cal­cu­la­teurs, et d’assembler afin de simu­ler la pro­prié­té ou le pro­ces­sus recherché. 

DES APPROCHES ENCORE LIMITÉES

Constitution d'un pneumatique
Dans le cas du pneu, la tren­taine de poly­mères et les 200 com­po­sés chi­miques donnent un nombre très impor­tant de possibilités.

Depuis vingt ans ont été réa­li­sées de grandes avan­cées que ce soit dans la modé­li­sa­tion de cha­cune de ces échelles ou dans l’approche mul­tié­chelle. Mais ces pro­grès ont eu pour l’instant peu de débou­chés indus­triels étant don­né la com­plexi­té de ces simu­la­tions et des capa­ci­tés de cal­cul insuffisantes. 

Ces approches se sont donc sou­vent limi­tées au cou­plage de 2 échelles dans un cadre académique. 

Les inno­va­tions à réa­li­ser se situent donc sur deux plans. Tout d’abord, celui des inno­va­tions algo­rith­miques et dans le domaine du cal­cul inten­sif : réa­li­ser des simu­la­tions de maté­riaux sur les super­cal­cu­la­teurs pré­sents et à venir, carac­té­ri­sés par des archi­tec­tures cal­cul, mémoire et sto­ckage com­plexes, ne se tra­duit pas par un simple por­tage de ces codes : l’algorithmique doit être pro­fon­dé­ment revue afin de tirer par­ti des nou­velles archi­tec­tures de machines. 

Ensuite dans l’utilisation de ces tech­niques sur des maté­riaux, res­tée jusqu’à pré­sent confi­née aux labo­ra­toires plu­tôt aca­dé­miques. Démon­trer leur capa­ci­té à répondre aux pro­blé­ma­tiques indus­trielles pré­cises consti­tue­ra en soi une inno­va­tion majeure. 

DES RÉSULTATS INCERTAINS

Les prin­ci­paux risques que l’on peut ima­gi­ner sont d’une part le carac­tère déce­vant (c’est-à-dire très en deçà de la per­for­mance espé­rée) du por­tage sur cal­cu­la­teurs haute per­for­mance ; et d’autre part un impact trop faible des approches numé­riques pro­po­sées sur les « cas d’étude » indus­triels, et en tout état de cause insuf­fi­sant pour induire leur large adop­tion par les indus­tries concernées. 

Il faut noter que les codes envi­sa­gés sont prêts et déjà opé­ra­tion­nels sur les cal­cu­la­teurs actuels mais avec des durées de cal­culs non com­pa­tibles avec une uti­li­sa­tion indus­trielle (plu­sieurs mois). Au prix d’adaptations liées aux spé­ci­fi­ci­tés des cas consi­dé­rés, ils peuvent être uti­li­sés sur des « cas d’étude » indus­triels pour esti­mer ce deuxième risque. 

En paral­lèle, l’adaptation de ces codes à la géné­ra­tion sui­vante de cal­cu­la­teurs peut être menée. On peut donc espé­rer dans les pro­chaines années être capable de cou­pler l’ensemble de la chaîne et de faire réel­le­ment les pre­mières concep­tions maté­riaux liées au pro­duit final. 

LA LONGUE TRANSFORMATION DES MÉTIERS DE LA CONCEPTION DES MATÉRIAUX

De la même manière que la simu­la­tion par élé­ments finis a trans­for­mé le métier de concep­teur pro­duit fini (pneu­ma­tique, châs­sis auto­mo­bile…) il y a vingt ans, le déve­lop­pe­ment de code de simu­la­tion maté­riau va petit à petit faire pas­ser la concep­tion maté­riau d’un mode essai-erreur long et coû­teux à des simu­la­tions vir­tuelles nom­breuses abou­tis­sant à la réa­li­sa­tion et aux tests d’un nombre limi­té de solutions. 

Cette trans­for­ma­tion sera pro­ba­ble­ment longue car en paral­lèle du déve­lop­pe­ment de codes et de super­cal­cu­la­teurs, elle néces­si­te­ra une évo­lu­tion des cur­sus de for­ma­tion des ingé­nieurs maté­riaux afin de les fami­lia­ri­ser à la pra­tique et à la maî­trise des méthodes de réso­lu­tion numé­riques, à l’utilisation de logi­ciels de simu­la­tion et du cal­cul haute performance.
 

Les constituants d'un pneumatique

Les échelles de taille d'un matériau pour le calcul

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