Des atomes aux dispositifs quantiques
La force majeure des nanotechnologies optoélectroniques est la science des matériaux. Grâce à plus de soixante ans de recherche, la technologie de croissance du silicium a été perfectionnée jusqu’à un niveau à peine imaginable.
Il n’y a aujourd’hui qu’un atome d’impureté pour un trillion d’atomes de silicium. Cependant, les accomplissements de l’optoélectronique auraient été bien pauvres si elle ne pouvait compter que sur le silicium.
REPÈRES
Fondé en 1991, le Center for Quantum Devices (CQD) de la Northwestern University, dans la banlieue de Chicago, a pour mission de poursuivre la recherche universitaire de haut niveau se spécialisant en composants optoélectroniques à base de semiconducteurs composés IIIV.
Depuis sa création le CQD, dirigé par le professeur Razeghi, a un rapport très proche avec l’X : plus de 25 polytechniciens y ont effectué stages, thèses (PhD) ou recherches postdoc.
Les limites du silicium
En effet, la largeur de la bande interdite (voir encadré) y est fixée autour de 1,1 eV, ce qui en restreint fortement les applications.
La bande de valence est la bande d’énergie où se situent les électrons contribuant à la cohésion locale du cristal (entre atomes voisins). Ces états énergétiques sont affectés par la présence des autres atomes.
Pour les isolants et les semiconducteurs, il y a une bande interdite entre la bande de valence et la bande de conduction. Pour être absorbée, une particule de lumière doit avoir une énergie supérieure à la largeur de la bande interdite.
Pour les métaux, la bande de valence est la même que la bande de conduction.
Qui plus est, le silicium est un matériau dit de bande interdite indirecte, dans lequel l’émission optique est très inefficace.
Pour des composants optoélectroniques tels que les détecteurs ou les lasers fonctionnant dans l’ultraviolet ou l’infrarouge le silicium n’est pas le matériau de choix ; d’autres candidats doivent être examinés.
Développer de nouveaux matérieux
Plusieurs familles de matériaux comprenant des atomes des colonnes III et V de la table périodique sont particulièrement attirantes.
“ Un atome d’impureté pour un trillion d’atomes de silicium ”
Les III-nitrures (AlN, InN, GaN, etc.) ont généralement leurs zones interdites dans le visible et l’ultraviolet, tandis que les III-antimoniures, III-arséniures et III-phosphures (InAs, GaAs, AlSb, InP, InSb, etc.) sont de très bons semi-conducteurs pour des applications dans l’infrarouge.
Qui plus est, il est souvent possible de combiner ces éléments des colonnes III et V de façon plus intriquée pour donner naissance aux matériaux ternaires ou encore aux superréseaux avec des propriétés ultramalléables pour couvrir continuellement de larges spectres en fréquence.
D’autre part, les semi-conducteurs III‑V présentent des avantages : une grande stabilité chimique, une composition contrôlable et des substrats de croissance moins coûteux.
Images obtenues à l’aide d’une caméra infrarouge à base de superréseaux InAs/GaSb/AlSb refroidie à 80 K.
Une installation à la pointe de la recherche
Le CQD a mis en place une installation complète pour ce type de recherche comprenant la croissance épitaxiale de couches fines semi-conductrices, la caractérisation et le traitement des matériaux et la fabrication du composant, le dépôt de couches fines diélectriques et métalliques, l’emballage du composant et sa caractérisation.
L’établissement occupe un total d’environ 800 mètres carrés de laboratoires dont 300 mètres carrés réservés à la salle blanche.
Maintenir une qualité « atomique »
Image obtenue à l’aide d’un microscope électronique de la face avant d’un laser à cascade quantique. Le milieu amplificateur est confiné entre deux régions de InP dopées au fer.
Le plus grand défi dans cette quête de nouveaux matériaux répondant aux besoins du marché est d’en maintenir une qualité atomique lors de la croissance. Chaque défaut dû aux imperfections du réseau cristallin est source d’effets indésirables, qui ont un énorme impact sur les caractéristiques finales du composant : bruit des détecteurs, courant de seuil des lasers, efficacité des diodes luminescentes, fréquence maximale des modulateurs, etc.
C’est pour cela que, dans ce laboratoire équipé pour construire un composant en partant littéralement des atomes, la recherche gravite naturellement autour de la croissance des semi-conducteurs.
CONCEVOIR, FABRIQUER ET CARACTÉRISER
Le CQD a établi sa réputation dans la conception, la fabrication et la caractérisation de composants tels que les détecteurs infrarouges à superréseaux, les lasers infrarouges à cascade quantique de haute puissance, les photodétecteurs à puits quantiques, les LED, les diodes à avalanche, entre autres.
Semi-conducteurs en mille-feuilles
Toute la recherche conduite au CQD illustre bien l’importance centrale des nouveaux matériaux pour la nanotechnologie. Par exemple, les superréseaux à base de semi-conducteurs tels que InAs, GaSb et AlSb sont des matériaux uniques résultant d’un grand nombre de couches alternantes de ces composés binaires III‑V.
“ Des applications allant de la vision nocturne à la surveillance de la pollution atmosphérique ”
Ces trois semi-conducteurs forment une famille au même paramètre de maille permettant aux milliers de couches de différentes compositions chimiques de croître les unes sur les autres tout en conservant leur structure cristalline naturelle.
Les propriétés des superréseaux – les nouveaux semi-conducteurs issus de cette superposition – sont convenablement « programmables » à travers l’ordre et l’épaisseur des couches alternantes.
Par exemple, avec leur zone interdite variant de 1 eV (proche infrarouge) à quelques dizaines de meV, les superréseaux sont applicables à la vision nocturne, la détection de missiles, l’imagerie thermique à température ambiante ainsi que dans la détection de nombreux agents chimiques et la surveillance de la pollution atmosphérique.
Laser à cascade quantique
Un autre exemple illustrant la puissance d’association des composés III‑V est le laser à cascade quantique – une source de lumière cohérente parfaitement adaptée au domaine infrarouge, où elle peut être appliquée tant pour la communication atmosphérique que pour les différents types de spectroscopie.
Image de microscopie électronique d’une diode luminescente ultraviolette fabriquée avec des matériaux nitrides sur un substrat de Si enlevé après la procédure de fabrication. La couche luminescente est alors renversée et installée sur un contact AlN.
Ce laser « recycle » chaque électron alors que celui-ci relaxe dans plusieurs puits quantiques successifs spécialement alignés en énergie en émettant de la lumière à chaque étape de relaxation. La formation et l’alignement judicieux des puits quantiques dans la région active de ces lasers sont possibles grâce au contrôle de la bande de conduction dans les hétérostructures à base de semi-conducteurs ternaires III‑V tels que GaInAs et AlInAs.
Nouvelles diodes
Les atomes d’azote étant plus petits que les atomes d’antimoine ou d’arsenic les IIInitrures ont une bande interdite plus large que les III-arséniures et les III-antimoniures, et donc une fréquence de coupure dans le domaine visible et l’ultraviolet.
Beaucoup de composants optoélectroniques très importants peuvent être élaborés à partir de ces semi-conducteurs.
Les diodes luminescentes visibles pour l’éclairement, les diodes à avalanche pour la détection de photons uniques et autres signaux optiques de très faible intensité, les diodes à effet tunnel résonant pour l’amplification de signaux électroniques ont déjà été démontrées au CQD et bien d’autres encore sont en phase de mise au point.