Des ballons pour explorer l’atmosphère
Les auteurs retracent quelques étapes de l’utilisation scientifique des ballons, avant de se focaliser sur deux campagnes de recherche en préparation. Ils expliquent les atouts et la pertinence des ballons pressurisés pour sonder la stratosphère et mieux comprendre les processus physiques affectant sa composition. Les ballons n’appartiennent pas au passé !
Les ballons demeurent un moyen unique d’observer l’atmosphère. Les campagnes d’observation par ballon constituent donc une composante importante des activités du laboratoire de météorologie dynamique (LMD) depuis sa création en 1968.
REPÈRES
Les ballons ont constitué le premier moyen de s’élever dans les airs, avec l’envol à Annonay, le 4 juin 1783, de la première montgolfière. L’idée d’utiliser un gaz léger pour permettre des vols de ballon était discutée depuis la découverte en 1766 par Henry Cavendish (1731−1810) de « l’air inflammable », c’est-à-dire l’hydrogène, mais c’est en France que les premiers vols en ballon ont réussi. Le mérite du premier vol revient en effet aux frères Joseph (1740−1810) et Étienne de Montgolfier (1745−1799), qui remplirent une enveloppe ouverte en papier (Joseph dirigeait une usine de papier) non
avec de l’hydrogène mais avec de l’air chaud. À la suite du succès des frères Montgolfier, le physicien et chimiste Jacques Charles mit au point avec l’aide des frères Anne-Jean et Marie-Noël Robert un ballon de quatre mètres de diamètre gonflé d’hydrogène, qui s’envola du Champ-de-Mars moins de trois mois plus tard, le 27 août 1783, et parcourut 16 km jusqu’à Gonesse. Ces premiers vols suscitèrent l’enthousiasme et des vols « habités » réussirent dans les mois qui suivirent.
Les pionniers
Les ballons de la fin du XVIIIe siècle n’ouvraient pas la voie à un transport aérien, pour deux raisons : il n’était pas possible de contrôler la trajectoire des vols et ils demeuraient très dangereux à l’atterrissage. Leur utilisation militaire pour observer le champ de bataille fut néanmoins explorée, un corps d’aérostatiers fut créé, le ballon d’observation L’Entreprenant aurait contribué à la victoire française à Fleurus le 26 juin 1794. Bonaparte prévoyait également d’en faire usage lors de sa campagne en Égypte, principalement pour leur effet psychologique, mais le navire transportant le générateur d’hydrogène coula. Le corps des aérostatiers fut finalement dissous en 1805.
Des premiers vols scientifiques sont effectués au début du siècle suivant par Étienne Gaspard Robert (1763−1837), qui prit le nom de Robertson par anglomanie et dont les activités mêlaient arts, science expérimentale et divertissement – il présentait dans son cabinet à Paris des expériences de physique amusante sous le nom de « fantasmagories ». Lors d’un vol en juillet 1803 à Hambourg, il effectua de nombreuses expériences, s’intéressant notamment à l’électricité atmosphérique, à la température d’ébullition de l’eau et au champ magnétique terrestre. Il faut cependant attendre l’implication de deux polytechniciens, Jean-Baptiste Biot (1774−1862) et Louis Joseph Gay-Lussac (1778−1850), pour que des expériences scientifiques en ballon soient effectuées avec la rigueur nécessaire. Leurs vols en 1804 permettent d’obtenir des mesures jusqu’à 7 016 m et établissent notamment la décroissance régulière de la température avec l’altitude et l’identité de la composition de l’air dans les premiers kilomètres de l’atmosphère.
Les vols scientifiques de ballons s’interrompent pendant un demi-siècle environ, au cours duquel l’aéronaute Charles Green introduit une innovation majeure pour les célébrations du couronnement du roi George IV, le 19 juillet 1821 : il remplace l’hydrogène par du gaz d’éclairage, bien moins coûteux. Des vols scientifiques sont à nouveau entrepris à partir de 1850, en France et au Royaume-Uni, avec des vols dépassant 8 000 m d’altitude mais soulevant des difficultés nouvelles à cause du manque d’oxygène. Le chimiste français Paul Bert (1833−1886) montre que c’est la baisse de la quantité d’oxygène, et non juste de la pression, qui est problématique. Des bouteilles d’oxygène sont embarquées mais ces vols demeurent risqués : deux morts sur trois passagers sont à déplorer lors du fameux vol du Zénith, le 15 avril 1875, qui atteint 8 600 m. Avec la mise au point en Allemagne de bouteilles et d’un masque (au lieu d’une embouchure) pour délivrer l’oxygène, Arthur Berson et Reinhard Süring atteignent 10 530 m le 31 juillet 1901. Les ascensions en ballon ont ainsi développé les principes de survie en haute altitude, qui serviront par la suite à l’aviation militaire et aux vols spatiaux.
La découverte de la stratosphère
L’utilisation scientifique des ballons prend une autre ampleur à partir de l’automatisation des mesures, développée par Gustave Hermite (1863−1914) et Georges Besançon (1866−1934), principalement sur des ballons en papier ou en baudruche. L’utilisation d’instruments enregistrant leurs mesures sur du papier enroulé sur un cylindre ouvre une nouvelle ère : les ballons peuvent être plus petits, n’ayant plus à soulever un opérateur, et ne sont plus contraints par les limites physiologiques de celui-ci. Le vol de L’Aérophile du 21 mars 1893 atteint 16 000 m et enregistre la plus froide température mesurée jusqu’alors dans la nature : – 57 °C. Après ce minimum relevé à 11 500 m, la température augmente à nouveau jusqu’à – 47 °C. Les savants de l’époque écartent ces mesures comme erronées, persuadés que la température ne fait que décroître avec l’altitude. Lors du vol du 18 février 1897, des prélèvements d’air à 15 500 m montrent que la composition de l’air est à cette altitude encore identique à celle de l’air en surface.
Un développement important a lieu en Allemagne, sous l’impulsion de Richard Assmann (1845−1918) et avec le soutien du Kaiser Guillaume II. Assmann emploie une enveloppe ultramince en caoutchouc, permettant d’utiliser des ballons fermés qui, initialement peu gonflés, s’étendent en s’élevant jusqu’à un plafond fixé par leur explosion. L’altitude de 18 450 m est ainsi atteinte le 5 septembre 1894. En France, les sondages atmosphériques par ballon sont repris à partir de 1897 par Léon Teisserenc de Bort, qui établit avec ses propres ressources deux observatoires météorologiques à Trappes et à Itteville. Les vols se multiplient, une coordination internationale avec des vols coordonnés et des intercomparaisons d’instruments se met en place. Les observations révèlent avec obstination une couche où la température stagne (typiquement entre 10 et 16 km) avant d’augmenter à des altitudes plus élevées. Teisserenc de Bort et Assmann reconnaissent qu’elles traduisent la réalité et communiquent leurs découvertes dans leurs Académies des sciences respectives à quelques jours d’intervalle en 1902 : suivant la dénomination proposée par Teisserenc de Bort, la tropopause, séparant la troposphère de la stratosphère, était ainsi découverte.
Des pionniers aux chercheurs actuels
Nous ne tenterons pas de décrire l’utilisation scientifique des ballons au XXe siècle, ce serait trop vaste. Mentionnons seulement deux étapes, avant de sauter directement à l’actualité des ballons scientifique au LMD : grâce à la transmission des mesures par des ondes radio, mise au point par Pierre Idrac (1885−1935) et Robert Bureau (1892−1965), tous deux polytechniciens, les ballons météorologiques (radiosondages) lancés depuis des stations météorologiques deviennent pour plusieurs décennies l’ossature de l’observation opérationnelle de l’atmosphère. Ils permettent par ailleurs des observations astronomiques impossibles depuis le sol (prix Nobel de Victor Hess (1883−1964) en 1936 pour la découverte des rayons cosmiques). Ils permettent à Auguste Piccard (1884−1962), une des sources d’inspiration d’Hergé pour le professeur Tournesol, de s’élever dans une nacelle fermée jusqu’à 16 021 m le 18 août 1932. Nous décrirons à présent deux campagnes actuelles de recherche, portées par des enseignants-chercheurs du LMD, pour illustrer que l’observation atmosphérique par ballon demeure un domaine actif et innovant.
Les atouts des ballons
Les ballons ont été à l’avant-garde de l’exploration de l’atmosphère, permettant bien avant les premiers vols en avion de découvrir des propriétés essentielles et la structure de notre atmosphère. Ils ont aussi été précurseurs pour l’exploration spatiale, permettant notamment de s’extraire de la majeure partie de l’atmosphère bien avant les satellites. Si à l’heure actuelle les avions constituent la plate-forme privilégiée pour de nombreuses campagnes d’observation et si les satellites fournissent une couverture sans précédent de l’ensemble du globe, les ballons conservent des spécificités qui en font des vecteurs uniques et précieux pour l’observation de l’atmosphère.
La campagne Stratéole 2
Un objectif majeur du projet franco-américain Stratéole 2 est de documenter les processus dynamiques (ondes, transport) et physiques (cycle de vie des nuages, transfert radiatif) à proximité de la tropopause tropicale. Dans les tropiques, le sommet de la troposphère se situe entre 15 et 18 km d’altitude et est ainsi inaccessible à la grande majorité des avions de recherche. L’utilisation de ballons pour sonder cette partie de l’atmosphère est donc pertinente. Mais les ballons pressurisés développés et mis en œuvre par le Centre national d’études spatiales, lointains héritiers du ballon de Charles, offrent des atouts supplémentaires. Leur enveloppe plastique fermée, remplie d’hélium, maintient le gaz porteur quasi indéfiniment dans le ballon : les ballons pressurisés peuvent donc effectuer des vols de très longue durée.
Dans le projet Stratéole 2, les vols sont ainsi prévus pour durer au moins trois mois. Pendant leurs vols à proximité de la tropopause tropicale, les ballons pressurisés seront transportés par le vent et permettront donc de suivre le déplacement des masses d’air dans l’atmosphère. Ils constituent ainsi de véritables traceurs lagrangiens du fluide atmosphérique, comme des bouées dérivantes à la surface de l’océan. Cette particularité est bien évidemment unique : aucun autre moyen d’observation de l’atmosphère ne se déplace avec l’écoulement. Les observations recueillies pendant les vols fournissent ainsi des informations précieuses sur les temps caractéristiques des processus étudiés, du point de vue des particules de fluide. Avec un vent moyen de 10 m/s à l’altitude de vol des ballons, ceux-ci parcourront environ 80 000 km en trois mois, c’est-à-dire deux fois le tour de la Terre à l’équateur ! C’est là un dernier avantage de ces ballons : les observations seront représentatives de l’ensemble de la ceinture tropicale de la Terre et les instruments embarqués pourront effectuer des mesures jusqu’au centre de l’océan Pacifique, à des milliers de kilomètres de toute masse continentale.
Chaque ballon du projet Stratéole 2 emportera environ 10 kg d’instruments scientifiques, dont des capteurs météorologiques qui fourniront des mesures toutes les 30 s pendant les trois mois de vol. D’autres instruments mesureront des gaz intervenant dans le bilan radiatif terrestre : vapeur d’eau, ozone (deux instruments développés et réalisés au laboratoire de météorologie dynamique) et dioxyde de carbone. Enfin, certains ballons emporteront une fibre optique de 2 km de long, suspendue à la nacelle et permettant d’obtenir des profils de température toutes les cinq minutes. L’ensemble de ces mesures sera transmis toutes les heures au sol, lorsque la nacelle appellera automatiquement, par le système de téléphonie par satellite Iridium, le centre de contrôle des ballons, qui est hébergé sur les serveurs informatiques de l’École polytechnique.
Les observations météorologiques seront alors rapidement contrôlées de manière automatique pour être transférées, en temps quasi réel, à l’ensemble des modèles météorologiques mondiaux afin de contribuer à améliorer les prévisions météorologiques dans les tropiques. Le jeu de données Stratéole 2 nourrira enfin les recherches du LMD et de ses partenaires dans cette région clé de l’atmosphère qu’est la tropopause tropicale. La tropopause tropicale est en effet la porte d’entrée de la stratosphère et les processus s’y déroulant contrôlent ainsi sa composition à l’échelle globale, telle que par exemple celle des gaz intervenant dans l’équilibre de la couche d’ozone. Les deux campagnes principales du projet comporteront chacune 20 ballons, en 2021 et 2024. La campagne probatoire se déroule avec succès puisque huit ballons, lâchés en novembre et décembre 2019, dérivent dans la basse stratosphère tropicale alors que ces lignes sont rédigées.
“Le sommet de la troposphère est inaccessible à la grande majorité
des avions de recherche.”
Les aéroclippers
« L’expédition sera munie des instruments nécessaires pour les déterminations de temps et de lieu, pour les déterminations d’altitude et de vitesse et enfin d’une collection complète d’instruments météorologiques. » Cette phrase que l’on pourrait reprendre pour l’aéroclipper est en fait extraite d’un mémoire soumis à l’Académie en 1895 par S. A. Andrée pour soutenir le projet d’une expédition en ballon vers le pôle Nord ; expédition qui se terminera hélas dramatiquement. Tout comme l’aéroclipper, le ballon utilisé par S. A. Andrée était « équipé comme un ballon guiderope, c’est-à-dire muni d’un ou plusieurs cordages traînant sur le sol ». Grâce à ce guiderope flottant à la surface de l’océan, les aéroclippers évoluent dans la couche atmosphérique de surface, typiquement entre 30 et 50 mètres de hauteur.
Le développement de l’aéroclipper a été lancé par le Cnes et le LMD au début des années 2000. L’objectif était initialement de mesurer les flux air-mer dans le voisinage des systèmes convectifs au-dessus des océans tropicaux difficilement accessibles par des moyens conventionnels. À notre plus grande surprise, lors de la dernière campagne Vasco de 2007, deux aéroclippers ont convergé jusqu’au centre de l’œil du cyclone Dora dans le sud-ouest de l’océan Indien. Dans leur mouvement convergeant vers le centre du cyclone, les aéroclippers ont traversé la zone du « mur », caractérisée par les vents les plus violents, avant de pénétrer dans l’œil et d’y rester piégés plusieurs jours jusqu’à la dissipation du cyclone. Nous avons par la suite proposé un développement spécifique d’un aéroclipper adapté aux mesures dans les cyclones. C’est une application très prometteuse car l’aéroclipper est pour l’instant le seul vecteur capable de donner une mesure in situ du vent de surface lors de son passage dans le mur de l’œil, puis de la pression de surface dans l’œil en continu et en temps réel jusqu’à la dissipation du cyclone.
Ce ballon fournit donc une possibilité unique : de suivre la position et les variations parfois rapides d’intensité des cyclones ; d’améliorer la prévision des cyclones en assimilant l’évolution de la pression centrale ; d’évaluer et de perfectionner les approches satellitaires de détermination de l’intensité des cyclones ; et de corriger les biais éventuels des bases de données historiques et ainsi de mieux détecter une éventuelle évolution des caractéristiques cycloniques des dernières décennies. Les mesures inédites des aéroclippers vont permettre d’améliorer notre connaissance des cyclones. Cela est nécessaire pour mieux prévoir l’évolution de leurs caractéristiques dans le contexte du réchauffement climatique global, en particulier en ce qui concerne leur migration vers les pôles et leur interaction avec les tempêtes des moyennes latitudes.
Dans le cadre du projet Mica (Mesure de l’intensité des cyclones par des aéroclippers) financé par l’ANR Astrid et par le Cnes, nous sommes maintenant en train de développer une nouvelle génération d’aéroclipper en utilisant un ballon reposant sur une structure de cerf-volant. Ce montage donne des caractéristiques aérodynamiques très favorables pour la convergence vers les cyclones et pour la sauvegarde du système par vent fort. Les premiers essais de ce nouvel aéroclipper seront réalisés depuis l’île de Guam en octobre 2020.
A lire : Le LMD ou le deep learning du climat dans La Jaune et la Rouge n°740, décembre 2018