Des exercices qui masquent le vrai visage de la chimie
En faisant calculer le pH d’une solution aqueuse, on masque le vrai visage de la chimie. Le pH est une grandeur conventionnelle, bien loin d’une notion ou d’une grandeur fondamentales.
REPÈRES
Aux derniers concours d’admission à l’École polytechnique, des candidats firent, conformément au programme, des calculs de pH. Calculer un pH, ou faire des calculs de cinétique élémentaire, est une opération de routine qui n’implique guère de réflexion.
Les « recettes » en sont maîtrisables par un étudiant moyen en moins d’une heure. Ce ne sont pas de bons outils de sélection.
Des calculs dissuasifs
De tels calculs ne représentent aucunement la chimie d’aujourd’hui et sont dissuasifs à l’égard d’une carrière de chimiste. Pour être « bon », il suffit d’apprendre par coeur et de savoir faire quelques calculs de routine, idée fausse qui détourne de la chimie les plus brillants.
Cela est vrai pour la biochimie tout autant que pour la chimie. L’une et l’autre sont des sciences expérimentales.
Les débutants se forment non par des calculs formels détachés du concret, mais par la réflexion, l’observation et la manipulation.
Calculer des pH, à ce qu’on sache, ne développe pas l’intuition ou l’imagination, ces vertus cardinales du chercheur scientifique.
Approfondir un concept
Un exercice numérique, tel qu’un calcul de pH, est une solution de facilité pour un enseignant. Même en situation d’examen, la formation l’emporte sur l’évaluation. Lors d’un examen, il est possible, il est même désirable pour l’examinateur de faire le tour d’une notion, d’approfondir un concept, de le mettre en relation avec d’autres.
“ On se forme par la réflexion, l’observation et la manipulation ”
Faire calculer un pH est comme si, dans une épreuve portant sur la littérature française, on se contentait de demander la conjugaison d’un verbe, dans une épreuve d’histoire, on n’allait pas plus loin que les dates du règne de Frédéric II, ou encore, dans une épreuve d’économie, on demandait la somme à rembourser au bout de dix ans d’un emprunt à 5 %.
Qui plus est, les heures de cours, en classe préparatoire, affectées à des calculs de pH, gaspillent un temps précieux. Nous appelons à la suppression de ce type d’exercice.
Apprendre à raisonner juste
Le problème est plus général. Ce que nous dénonçons ici est symptomatique d’une fascination par des calculs numériques.
Tant de problèmes importants, en chimie comme dans bien d’autres disciplines, se passent de calculs. N’est-il pas plus important d’apprendre à raisonner juste ?
L’INSTRUMENT IDOINE
Nous, auteurs, accumulons conjointement, quatre-vingts ans de recherche dans des laboratoires de chimie. Nous n’avons pas une seule fois eu besoin de calculer un pH. En revanche, nous avons mesuré des pH, de temps à autre. Arnold Beckmann a inventé l’instrument idoine, dénommé pH-mètre, en 1935. Dès lors, calculer un pH devint anachronique et sans intérêt.
Même avec un programme réduit, on peut tester les capacités de réflexion du candidat, pas seulement sa mémoire. Assimiler l’outil mathématique au calcul est une aberration.
À faire de la mathématique élémentaire appliquée à la chimie, nos collègues de taupe et d’hypotaupe ont l’embarras du choix : dénombrement d’isomères ; isomérie permutationnelle ; rudiments de chimie quantique (orbitales moléculaires) ; éléments de théorie des graphes ; groupes ponctuels de symétrie.