Des exercices qui masquent le vrai visage de la chimie

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Pierre LASZLO

En fai­sant cal­cu­ler le pH d’une solu­tion aqueuse, on masque le vrai visage de la chi­mie. Le pH est une gran­deur conven­tion­nelle, bien loin d’une notion ou d’une gran­deur fondamentales.

REPÈRES

Aux derniers concours d’admission à l’École polytechnique, des candidats firent, conformément au programme, des calculs de pH. Calculer un pH, ou faire des calculs de cinétique élémentaire, est une opération de routine qui n’implique guère de réflexion.
Les « recettes » en sont maîtrisables par un étudiant moyen en moins d’une heure. Ce ne sont pas de bons outils de sélection.

Des calculs dissuasifs

De tels cal­culs ne repré­sentent aucu­ne­ment la chi­mie d’aujourd’hui et sont dis­sua­sifs à l’égard d’une car­rière de chi­miste. Pour être « bon », il suf­fit d’apprendre par coeur et de savoir faire quelques cal­culs de rou­tine, idée fausse qui détourne de la chi­mie les plus brillants.

Cela est vrai pour la bio­chi­mie tout autant que pour la chi­mie. L’une et l’autre sont des sciences expérimentales.

Les débu­tants se forment non par des cal­culs for­mels déta­chés du concret, mais par la réflexion, l’observation et la manipulation.

Cal­cu­ler des pH, à ce qu’on sache, ne déve­loppe pas l’intuition ou l’imagination, ces ver­tus car­di­nales du cher­cheur scientifique.

Approfondir un concept

Un exer­cice numé­rique, tel qu’un cal­cul de pH, est une solu­tion de faci­li­té pour un ensei­gnant. Même en situa­tion d’examen, la for­ma­tion l’emporte sur l’évaluation. Lors d’un exa­men, il est pos­sible, il est même dési­rable pour l’examinateur de faire le tour d’une notion, d’approfondir un concept, de le mettre en rela­tion avec d’autres.

“ On se forme par la réflexion, l’observation et la manipulation ”

Faire cal­cu­ler un pH est comme si, dans une épreuve por­tant sur la lit­té­ra­ture fran­çaise, on se conten­tait de deman­der la conju­gai­son d’un verbe, dans une épreuve d’histoire, on n’allait pas plus loin que les dates du règne de Fré­dé­ric II, ou encore, dans une épreuve d’économie, on deman­dait la somme à rem­bour­ser au bout de dix ans d’un emprunt à 5 %.

Qui plus est, les heures de cours, en classe pré­pa­ra­toire, affec­tées à des cal­culs de pH, gas­pillent un temps pré­cieux. Nous appe­lons à la sup­pres­sion de ce type d’exercice.

Apprendre à raisonner juste

Le pro­blème est plus géné­ral. Ce que nous dénon­çons ici est symp­to­ma­tique d’une fas­ci­na­tion par des cal­culs numériques.

Tant de pro­blèmes impor­tants, en chi­mie comme dans bien d’autres dis­ci­plines, se passent de cal­culs. N’est-il pas plus impor­tant d’apprendre à rai­son­ner juste ?

L’INSTRUMENT IDOINE

Nous, auteurs, accumulons conjointement, quatre-vingts ans de recherche dans des laboratoires de chimie. Nous n’avons pas une seule fois eu besoin de calculer un pH. En revanche, nous avons mesuré des pH, de temps à autre. Arnold Beckmann a inventé l’instrument idoine, dénommé pH-mètre, en 1935. Dès lors, calculer un pH devint anachronique et sans intérêt.

Même avec un pro­gramme réduit, on peut tes­ter les capa­ci­tés de réflexion du can­di­dat, pas seule­ment sa mémoire. Assi­mi­ler l’outil mathé­ma­tique au cal­cul est une aberration.

À faire de la mathé­ma­tique élé­men­taire appli­quée à la chi­mie, nos col­lègues de taupe et d’hypotaupe ont l’embarras du choix : dénom­bre­ment d’isomères ; iso­mé­rie per­mu­ta­tion­nelle ; rudi­ments de chi­mie quan­tique (orbi­tales molé­cu­laires) ; élé­ments de théo­rie des graphes ; groupes ponc­tuels de symétrie.

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