Des formations universitaires en alternance contre l’exclusion
Le département mécanique de la faculté des sciences et technologies de l’université Claude-Bernard à Lyon (Lyon‑I) a pris l’initiative de développer des formations universitaires en mécanique de niveau bac + 5 en alternance, permettant ainsi à des étudiants issus de milieux défavorisés d’accéder à un niveau équivalent à celui des diplômés d’une école d’ingénieurs.
Ces formations nous ont été présentées par Pierre Valiorgue, maître de conférences, enseignant-chercheur au département de mécanique de l’université Claude-Bernard de Lyon‑I.
L’université Claude-Bernard Lyon‑I,
une formation d’excellence et une recherche de pointe © CLAROM69 / FOTOLIA.COM
Le département de mécanique a mis en place deux masters professionnel 2 qui préparent aux métiers d’ingénieur mécanique, de chargé d’affaires technico-commercial, d’ingénieur calcul ou d’ingénieur consultant.
“ Les étudiants sont tous originaires de la région lyonnaise, 12 étant d’origine immigrée ”
Le premier est basé sur un parcours modélisation et applications en mécanique (MAM2) dont la responsable est Ivana Vinkovic, professeur des universités. Cette formation fonctionne depuis plus de vingt ans. Elle a été ouverte sur l’alternance à partir de septembre 2015. Elle accueille actuellement 40 étudiants à plein temps et 8 en alternance.
Le second est un nouveau cursus renforcé de masters en ingénierie (CMI) qui peut s’effectuer en alternance, dont la responsable est Delphine Doppler, maître de conférences. Cette formation accueille 16 étudiants dont 8 en alternance.
UNE VOIE POUR ENTRER DANS L’ENTREPRISE
Les étudiants en alternance des deux masters sont tous originaires de la région lyonnaise, 12 étant d’origine immigrée. D’après leurs CV, ils ont fait de bonnes études secondaires, la plupart dans des lycées de leur pays d’origine.
Ils ont obtenu un baccalauréat scientifique, mais peu de dossiers font état d’une mention. Probablement moins à l’aise dans la signalétique de l’orientation professionnelle et parce qu’ils devaient travailler pour financer leurs études, ils n’ont pas eu la possibilité d’être admis dans une classe préparatoire aux écoles d’ingénieurs.
Ils ont suivi la voie universitaire commençant par une licence de mécanique, qu’ils ont poursuivie jusqu’au master 1. Leurs CV témoignent des petits boulots qu’ils ont exercés durant les trois années de licence et la première année de master : gérant de parking, péager, équipier Mac Do, manutentionnaire, agent de cuisine.
Pour le master 2, ils ont choisi la voie professionnelle en alternance qui leur permet d’entrer de plain-pied dans l’entreprise et de gagner leur vie.
UN TISSU INDUSTRIEL DYNAMIQUE
Il existe dans la région Auvergne-Rhône- Alpes un tissu de petites entreprises d’ingénierie et de conseil travaillant pour l’industrie qui, ensemble, représentent un effectif de 20 000 emplois. Un certain nombre d’entre elles sont regroupées dans INGERA2, un cluster, rassemblant des entreprises clientes et des institutions de recherche.
Ces entreprises d’ingénierie et de conseil trouvent parmi les étudiants des personnels qualifiés. Plus tard, des industriels clients recruteront dans ce vivier de candidats les professionnels dont ils ont besoin.
Les ingénieurs diplômés des quatre grandes écoles prestigieuses implantées à Lyon se positionnent aussi sur ce même marché. En ciblant les formations sur la modélisation, le master 2 répond aussi aux besoins spécifiques des entreprises du territoire.
LES MODALITÉS DE L’ALTERNANCE
Il existe différentes modalités d’alternance, le contrat d’apprentissage, le contrat de professionnalisation et aussi la pratique de stages longs rémunérés.
Cérémonie de remise de diplômes du cursus d’alternants.
© UNIVERSITÉ CLAUDE-BERNARD (LYON‑I)
L’apprentissage est la meilleure solution pour les entreprises car il est financé par une taxe à laquelle elles sont toutes assujetties et aussi parce que des subventions sont attribuées par l’État et par la Région à celles qui accueillent des apprentis.
La demande d’agrément en apprentissage du master 2 professionnel de mécanique de Lyon‑I a reçu un accueil très favorable de l’association Formasup Ain Rhône Loire qui, regroupant les représentants des milieux professionnels, des grandes écoles et des universités, a pour mission de développer l’apprentissage dans l’enseignement supérieur et de valider les projets.
Mais la décision finale revient au Conseil régional dont la réponse est pour l’instant négative, ce qui oblige le département de mécanique à recourir au contrat de professionnalisation dont la prise en charge par les entreprises est plus difficile parce qu’il bénéficie moins d’incitations financières.
LA LONGUE QUÊTE D’ENTREPRISES D’ACCUEIL
Trouver une entreprise pour accueillir, former et rémunérer les étudiants constitue un défi : il y a peu d’offres spontanées et le département doit aider les étudiants dans leur prospection. À l’université, Pierre Valiorgue est chargé des partenariats avec les entreprises.
Il les rencontre dans le cadre du cluster INGERA2 et il utilise aussi les réseaux associatifs OPE1 et NQT2 d’assistance à la recherche d’emplois pour les jeunes diplômés de niveau bac + 4.
ASSURER LE POSITIONNEMENT DE CES FORMATIONS
La complémentarité entre les formations techniques et scientifiques de niveau bac + 5 dispensées dans le cadre universitaire et celles dispensées dans les écoles d’ingénieurs est à établir et à faire reconnaître tant au plan local que national. L’université de Lyon‑I accueille dans son école d’ingénieurs, Polytech Lyon, des étudiants issus des classes préparatoires.
“ Des formations accessibles à des étudiants d’origine sociale défavorisée ”
Les formations master pro 2 mécanique s’en distinguent parce qu’elles sont l’aboutissement d’une filière moins sélective et accessible à des étudiants d’origine sociale défavorisée : exclus du rythme intensif des classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs, l’alternance en master 2 représente, pour eux, une deuxième chance.
Il reste, pour pérenniser cette initiative, à obtenir l’habilitation du Conseil régional pour le financement de l’alternance.
Au plan national, une vingtaine d’universités, dont celle de Lyon‑I, ont lancé des formations techniques intitulées cursus de masters en ingénierie. Cette dénomination fait l’objet d’un débat entre la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) et la Commission des titres d’ingénieur (CTI) d’une part, la Conférence des présidents d’université (CPU) de l’autre, débat qui, malheureusement, ne porte pas sur la complémentarité des formations, mais sur la légitimité de l’usage du mot « ingénierie ».
On a trop souvent reproché aux universités leur éloignement des besoins de l’économie pour ne pas souligner l’intérêt de leur engagement dans des formations à vocation industrielle où elles peuvent faire valoir l’avantage résultant de leur vocation à jumeler la recherche avec la formation.
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1. Association Objectif pour l’emploi, cf. Forum social dans La Jaune et la Rouge n° 711 de janvier 2016.
2. Association Nos Quartiers ont des talents, cf. Forum social dans La Jaune et la Rouge n° 715 de mai 2016.