Les infrastructures du data marketing

Des infrastructures cohérentes pour rester dans la course

Dossier : Marketing digitalMagazine N°746 Juin 2019
Par Stéphane DUGELAY (91)

Pour réus­sir le virage tech­no­lo­gique du mar­ke­ting digi­tal, les entre­prises doivent prio­ri­tai­re­ment ouvrir un chan­tier d’infrastructure de long terme et le confier à de nou­veaux archi­tectes pour le pilo­ter. Faute de quoi, beau­coup de leurs inves­tis­se­ments seront sté­riles ou sous-employés.

La moi­tié des dix entre­prises les mieux valo­ri­sées au monde sont des nou­velles entrantes qui ont créé leur suc­cès en s’appuyant sur le digi­tal pour pro­po­ser l’expérience uti­li­sa­teur la plus abou­tie dans leur sec­teur. Qu’elles pro­posent des ser­vices payants (Airbnb, Uber, Ama­zon) ou gra­tuits (Face­book, Google, Lin­ke­dIn), elles ont construit leur suc­cès sur une par­faite maî­trise de la chaîne de trai­te­ment des don­nées de com­por­te­ment de leurs uti­li­sa­teurs. Elles appliquent un ensemble de tech­niques sophis­ti­quées que l’on peut englo­ber sous l’expression de data dri­ven mar­ke­ting ou data mar­ke­ting.

Lorsqu’elles opèrent dans l’univers du média, ces entre­prises captent une mul­ti­tude d’informations sur nous et deviennent des car­re­fours incon­tour­nables pour pro­mou­voir des ser­vices et des pro­duits. En col­lec­tant nos don­nées de navi­ga­tion, en sui­vant nos inten­tions d’achat ou nos dépla­ce­ments, notre réseau d’amis, nos humeurs ou nos loi­sirs, elles per­mettent aux marques de tou­cher la bonne per­sonne au bon moment avec le bon message.

Des défis qui concernent toutes les entreprises

En France, avec des socié­tés comme Cri­teo, Cdis­count, Mano­Ma­no, ou Alan, nous avons aus­si des cham­pions qui ont réus­si à résis­ter à la concur­rence amé­ri­caine, voire à s’imposer sur de nou­veaux cré­neaux, en appli­quant des stra­té­gies qui mettent l’algorithme et l’exploitation de toutes les infor­ma­tions utiles au cœur des pro­ces­sus et des ser­vices proposés.

En citant ces suc­cess sto­ries, on pour­rait croire que les défis et les trans­for­ma­tions pro­fondes induites par le data mar­ke­ting ne touchent que les entre­prises qui entre­tiennent une rela­tion directe avec le consom­ma­teur (entre­prises des sec­teurs de la dis­tri­bu­tion, des ser­vices, des médias), mais dans tous les sec­teurs, les forces du data mar­ke­ting et des pla­te­formes sont en action et obligent à repen­ser les busi­ness models.

Que ce soit pour accom­pa­gner l’arrivée de nou­veaux usages ou équi­li­brer leur rela­tion de dépen­dance vis-à-vis des pla­te­formes médias, les entre­prises s’engagent à des degrés divers dans la trans­for­ma­tion de leurs pra­tiques pour faire entrer les tech­niques modernes du data mar­ke­ting au cœur de leur pro­cess.


REPÈRES

Lorsque le nou­veau direc­teur géné­ral de SEB, Sta­nis­las de Gra­mont, s’exprime sur les chal­lenges qui l’attendent, il pointe le défi de la révo­lu­tion numé­rique pour contrer des concur­rents d’un nou­veau genre : les Uber Eats et autres ser­vices de livrai­son de plats cui­si­nés par abon­ne­ment qui gri­gnotent des parts de mar­ché à la cui­sine domestique.


Des transformations pas toujours réussies

Nombre d’entreprises ont enga­gé des chan­tiers de déve­lop­pe­ment d’outils numé­riques et de data depuis plu­sieurs années. Elles ont for­te­ment recru­té et se sont équi­pées d’une mul­ti­tude d’outils – 91 outils cloud de mar­ke­ting en moyenne en 2017 chez les grands comptes selon Nets­kope – mais mal­gré la quan­ti­té d’énergie déployée, les résul­tats de la trans­for­ma­tion peuvent tar­der à se faire sen­tir. On invoque sou­vent la com­plexi­té à faire tra­vailler ensemble tous les dépar­te­ments concer­nés (mar­ke­ting, CRM, médias, IT, juri­dique, etc.), mais mon sen­ti­ment est qu’il y a sur­tout à repen­ser les pra­tiques et les moda­li­tés du dia­logue entre les métiers et l’IT.

En for­çant un peu le trait, il me semble que d’un côté les métiers mul­ti­plient l’intégration de solu­tions qui peuvent répondre assez rapi­de­ment à un cas d’usage iso­lé mais qui rendent la construc­tion d’une solu­tion glo­bale qua­si inat­tei­gnable et que de l’autre côté, les équipes en charge de l’informatique (IT) n’ont pas suf­fi­sam­ment l’esprit geek et, ce fai­sant, s’en remettent trop sou­vent au halo des grandes marques de logi­ciels plu­tôt qu’aux réa­li­tés techniques.

“Aucun éditeur de logiciel ne peut prétendre avoir
la solution globale sur étagère”

Le défi majeur de la continuité technique 

Or, il est temps de se rendre compte que le défi qui se pré­sente est d’une toute autre ampleur que celui qui a vu l’introduction des solu­tions appli­ca­tives – ERP, CRM, ou PLM. Il a un impact direct sur l’expérience des uti­li­sa­teurs dans un monde d’hyperconcurrence. Il touche simul­ta­né­ment toutes les entre­prises dans tous les sec­teurs. Il est tech­ni­que­ment très com­plexe, à tel point qu’aucun édi­teur de logi­ciel ne peut pré­tendre avoir la solu­tion glo­bale sur étagère.

Le suc­cès des grandes pla­te­formes amé­ri­caines et chi­noises vient aus­si des choix d’architecture que ces socié­tés font tous les jours dans un pro­ces­sus d’amélioration conti­nue qui mobi­lise une grande par­tie de l’entreprise. Au sein de ces pla­te­formes, la conti­nui­té tech­nique est par­faite entre la col­lecte de l’information, son ana­lyse, l’activation, la mesure et l’optimisation.

Que faire pour que les archi­tec­tures de data mar­ke­ting se rap­prochent de ces modèles et évi­ter qu’elles ne res­semblent pas à des chan­tiers inache­vés ? Trop sou­vent nous fai­sons face à des friches tech­no­lo­giques qui peuvent par­fois four­nir quelques ser­vices mais qui ne sont fon­da­men­ta­le­ment pas prêtes à accueillir les nou­veaux cas d’usage basés sur l’IA et le mar­ke­ting prédictif.

La maîtrise de son data marketing passe par une infrastructure intégrée.
La maî­trise de son data mar­ke­ting passe par une infra­struc­ture intégrée.

Des architectes pour bâtir les environnements numériques de demain

Mon point de vue est qu’il est indis­pen­sable que des archi­tectes – chefs d’orchestre soient dési­gnés. Tant que le pou­voir d’action est assu­ré, cette fonc­tion peut être logée dans les ser­vices infor­ma­tiques (IT), chez le CDO (chief digi­tal offi­cer ou du chief data offi­cer) ou au mar­ke­ting. Pour le choix des hommes, c’est plus com­pli­qué parce qu’il faut insuf­fler de la culture geek. Je veux dire par là, une curio­si­té tech­nique per­ma­nente allant jusqu’à la maî­trise du code, une sagesse de l’assemblage logi­ciel simple et effi­cace, une indé­pen­dance d’esprit qui per­met de se sous­traire de la pen­sée pré­for­ma­tée. Si j’ajoute la capa­ci­té à englo­ber les concepts sophis­ti­qués du mar­ke­ting moderne, je dresse le por­trait d’un ingé­nieur pluridisciplinaire…

Les X ayant un goût pour l’univers du numé­rique au sens large (concept englo­bant les tech­niques, les usages, les nou­velles créa­tions de valeur) sont peut-être par­mi les per­sonnes les mieux armées pour répondre à cet enjeu, avec une capa­ci­té de conci­lier les enjeux métiers et tech­no­lo­giques mais aus­si une apti­tude à croi­ser une vision stra­té­gique et une com­pré­hen­sion du détail.

Dans une période où la quête de sens rebat les cartes dans le numé­rique, ils peuvent être les arti­sans de la reprise en main de la valeur créée par le data mar­ke­ting, aujourd’hui prin­ci­pa­le­ment cap­tée par des acteurs étran­gers. Ils peuvent aus­si construire un modèle équi­li­bré où le data mar­ke­ting, der­rière la tuyau­te­rie et les algo­rithmes, se tra­duit en un mar­ke­ting du bon sens, res­pec­tant les lois et les aspi­ra­tions des citoyens-consommateurs.


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