Le barrage de Vogelgrun en Alsace, intégré au projet européen XFLEX HYDRO.

Des innovations au service de la performance et de la flexibilité

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Quentin BOUCHER (X08)

Les cen­trales hydro­élec­triques sont des tech­no­lo­gies déjà anciennes, cepen­dant elles font des pro­grès tech­no­lo­giques qui ren­forcent leur inté­rêt dans le mix éner­gé­tique. Pré­sen­ta­tion de ces dif­fé­rents pro­grès, dont l’utilisation de jumeaux numériques.

L’inté­gra­tion crois­sante d’énergies renou­ve­lables inter­mit­tentes, comme l’éolien et le solaire, pré­sente des défis majeurs pour la sta­bi­li­té et la flexi­bi­li­té des réseaux élec­triques. Les cen­trales hydro­élec­triques, pro­duc­tions histo­rique­ment stables, évo­luent grâce à des inno­va­tions tech­no­lo­giques pour répondre aux nou­veaux besoins. Ces avan­cées ren­forcent leur réac­ti­vi­té et leur capa­ci­té à s’adapter à la varia­bi­li­té crois­sante de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion. Elles per­mettent de mieux répondre aux besoins du réseau tout en rédui­sant les coûts opérationnels.

Une importance stratégique

Les inno­va­tions se mul­ti­plient depuis quelques décen­nies pour amé­lio­rer la flexi­bi­li­té des cen­trales hydro­élec­triques. Qu’il s’agisse d’hybridation avec des sys­tèmes de sto­ckage, de l’intégration avec le solaire et l’éolien ou d’autres inno­va­tions, ces pro­grès offrent de nou­velles pos­si­bi­li­tés. Ils rendent les ins­tal­la­tions plus réac­tives face aux fluc­tua­tions et sou­tiennent la tran­si­tion éner­gé­tique. Ces pro­grès ont aus­si une impor­tance stra­té­gique. L’hydroélectricité s’appuie sur une filière euro­péenne bien déve­lop­pée, contrai­re­ment aux autres sources de flexi­bi­li­té telles que le gaz ou les bat­te­ries lithium-ion. Celles-ci reposent sur des chaînes de valeur prin­ci­pa­le­ment ins­tal­lées hors d’Europe. La solu­tion hydro­élec­trique en matière de flexi­bi­li­té favo­rise donc un déve­lop­pe­ment local et durable, avec toutes les impli­ca­tions géo­po­li­tiques et environ­nementales associées.

L’hybridation avec un système de stockage électrique

Asso­cier des bat­te­ries ou des super­con­den­sa­teurs aux cen­trales hydro­élec­triques per­met de com­bi­ner les atouts des deux tech­no­lo­gies. Ces sys­tèmes réduisent les inves­tis­se­ments néces­saires tout en évi­tant une trop grande dépen­dance vis-à-vis des bat­te­ries. Les bat­te­ries et les super­con­den­sa­teurs offrent une réponse rapide aux fluc­tua­tions du réseau. Là où les tur­bines hydro­électriques ont des temps de réponse plus longs (sou­vent limi­tés par des contraintes hydrau­liques comme le coup de bélier), ces sys­tèmes comblent immé­dia­te­ment les défi­cits ou absorbent les excès de pro­duc­tion. Cette réac­ti­vi­té faci­lite l’intégration des éner­gies renou­ve­lables non pilo­tables dans le réseau élec­trique. Dans les réseaux iso­lés, cette solu­tion est encore plus per­ti­nente. La faible iner­tie de ces réseaux rend sou­vent néces­saire l’introduction de ser­vices de régu­la­tion rapide. Les bat­te­ries per­mettent de répondre aux exi­gences de temps de réponse, dif­fi­ciles à atteindre avec des ins­tal­la­tions pure­ment hydrauliques.

La réduction de l’usure liée à la flexibilité

Les varia­tions de plus en plus impor­tantes de la fré­quence du réseau aug­mentent les besoins en réglages auto­ma­tiques. Cela sol­li­cite for­te­ment les tur­bines hydro­élec­triques ; démar­rages-arrêts plus fré­quents, fonc­tion­ne­ment à charge par­tielle, varia­tion de charge…, accé­lé­rant l’usure des organes de réglage et aug­men­tant les coûts de main­te­nance. Les bat­te­ries peuvent absor­ber une par­tie de ces ajus­te­ments, limi­tant la sol­li­ci­ta­tion méca­nique des tur­bines. Cela pro­longe leur durée de vie, réduit les arrêts de pro­duc­tion et baisse les coûts opé­ra­tion­nels. Cette pro­blé­ma­tique est par­ti­cu­liè­re­ment cri­tique pour les tur­bines à double réglage (comme les Kaplan). 

Ces tur­bines néces­sitent des arrêts pro­lon­gés pour entre­te­nir les organes de réglage embar­qués dans la roue. De plus, comme ces ins­tal­la­tions fonc­tionnent sou­vent au fil de l’eau, elles ne per­mettent pas de sto­cker l’eau non tur­bi­née en cas d’arrêt. Une main­te­nance non pla­ni­fiée peut être syno­nyme d’une perte de pro­duc­tion longue et donc coû­teuse, sans pos­si­bi­li­té de sto­cker l’eau non tur­bi­née. Un exemple concret de cette hybri­da­tion est visible à Vogel­grun, en Alsace, dans le cadre du pro­jet euro­péen XFLEX HYDRO. Cette cen­trale au fil de l’eau, uti­li­sant le débit natu­rel du Rhin, a été équi­pée d’un sys­tème de bat­te­ries. Ces bat­te­ries absorbent une grande par­tie des ajus­te­ments de puis­sance liés à la réserve pri­maire, rédui­sant les sol­li­ci­ta­tions des tur­bines. Ce pro­jet a démon­tré les avan­tages éco­no­miques et tech­niques de cette technologie.

La gestion conjointe avec le solaire et l’éolien

Asso­cier les cen­trales hydro­élec­triques à des ins­tal­la­tions solaires ou éoliennes per­met d’optimiser l’utilisation des res­sources dis­po­nibles. Cela sta­bi­lise la pro­duc­tion et ren­force la rési­lience du sys­tème éner­gé­tique. En outre l’utilisation de points de connexion hydro­élec­trique exis­tants est un atout non négli­geable pour per­mettre aux pro­jets de voir le jour plus rapi­de­ment. Les cen­trales hybrides per­mettent un équi­libre dyna­mique. Ce lis­sage sta­bi­lise le réseau et limite les varia­tions de fré­quence. Les ges­tion­naires d’équilibre peuvent ain­si réduire leurs écarts, mais aus­si per­mettre aux ges­tion­naires de réseau de dimi­nuer les inves­tis­se­ments réseau et d’éviter les déles­tages d’énergies renouvelables.

Le barrage hydroélectrique de Vau i Dejës à Shkodër, dans le nord de l’Albanie, couvert de panneaux solaires.
Le bar­rage hydro­élec­trique de Vau i Dejës à Shkodër, dans le nord de l’Albanie, cou­vert de pan­neaux solaires. © bard­hok / Adobe Stock

Les jumeaux numériques

Les jumeaux numé­riques per­mettent une ges­tion opti­mi­sée des cen­trales. Ils consistent en des répliques vir­tuelles des ins­tal­la­tions phy­siques, ali­men­tées en temps réel par les don­nées pro­ve­nant de cap­teurs pla­cés sur l’ensemble de la cen­trale. Les jumeaux numé­riques faci­litent la simu­la­tion des condi­tions d’exploitation et offrent des outils d’analyse avan­cée pour opti­mi­ser les points de fonc­tion­ne­ment et anti­ci­per les situa­tions dan­ge­reuses. Ces outils per­mettent aux opé­ra­teurs de simu­ler en temps réel dif­fé­rents scé­na­rios de fonc­tion­ne­ment pour iden­ti­fier le point de fonc­tionnement opti­mal, tenant compte des futurs points de fonc­tion­ne­ment, des condi­tions hydro­lo­giques, des besoins en flexi­bi­li­té du réseau et même de l’endommagement asso­cié à dif­fé­rentes zones de fonctionnement. 

Grâce à ces simu­la­tions en temps réel, les cen­trales peuvent adop­ter des points de fonc­tion­ne­ment maxi­mi­sant le ren­de­ment, mini­misant l’endommagement ou le nombre de démar­rages et d’arrêts. De plus, le jumeau numé­rique per­met de faire de la main­te­nance pré­dic­tive en détec­tant les signes de dégra­da­tion ou d’usure, ce qui per­met d’effectuer des inter­ven­tions ciblées avant qu’un pro­blème n’affecte la pro­duc­tion. Les opé­ra­teurs peuvent ain­si amé­lio­rer la pro­duc­tion de leurs ins­tal­la­tions tout en rédui­sant les coûts de main­te­nance et l’indisponibilité.

L’augmentation de la plage de fonctionnement

Une tur­bine hydrau­lique, sauf concep­tion par­ti­cu­lière et donc coû­teuse, n’est pas capable d’opérer dans sa plage com­plète de puis­sance de façon conti­nue. L’évolution des capa­ci­tés de cal­cul et de simu­la­tion et la com­pré­hen­sion de l’usure des tur­bines per­mettent aux fabri­cants d’élargir la plage de fonc­tion­ne­ment des uni­tés, ren­dant les ins­tal­la­tions plus adap­tables aux varia­tions de débit et de puis­sance. Ces aug­men­ta­tions de plage d’opération peuvent même par­fois être attri­buées a pos­te­rio­ri à des uni­tés exis­tantes. Les débits réser­vés, essen­tiels pour la pré­ser­va­tion des éco­sys­tèmes en aval, la navi­ga­tion ou encore les acti­vi­tés tou­ris­tiques sont de plus en plus au centre des pré­oc­cu­pa­tions des par­ties pre­nantes. Ain­si la régle­men­ta­tion des débits réser­vés a beau­coup évo­lué dans les der­nières décen­nies, aug­men­tant sou­vent ceux-ci et les ren­dant par­fois plus variables. 

Les amé­na­ge­ments hydro­élec­triques doivent donc s’adapter par­fois à des débits pro­duc­tibles plus faibles non anti­ci­pés lors de la construc­tion des amé­na­ge­ments. Des plages d’opération de machines per­met­tant de tur­bi­ner des débits plus faibles peuvent donc consti­tuer une réponse à ces défis. Des plages de réglage élar­gies offrent plus de flexi­bi­li­té pour ajus­ter la puis­sance, ce qui per­met de répondre à une demande accrue sur les mar­chés de réglage de fré­quence et d’équilibrer le réseau.

Usine hydroélectrique de Serre-Ponçon, GEH Durance-Verdon, EDF Production Méditerranée.
Usine hydro­élec­trique de Serre-Pon­çon, GEH Durance-Ver­don, EDF Pro­duc­tion Médi­ter­ra­née. © EDF

La réduction des temps de séquence

Les inno­va­tions dans les sys­tèmes de contrôle asso­ciées à des simu­la­tions plus pous­sées per­met­tant de réduire l’incertitude quant à la sécu­ri­té et à l’endommagement des équi­pe­ments ont per­mis dans les der­nières années de réa­li­ser d’importantes avan­cées sur le temps de séquence des machines (notam­ment les temps de démar­rage et d’arrêt). Un pilo­tage adé­quat et conjoint de cer­tains élé­ments de cen­trales exis­tantes peut même per­mettre de réduire le temps de syn­chro­ni­sa­tion au réseau en phase de démar­rage. Ces temps de séquence amé­lio­rés per­mettent une plus grande réac­ti­vi­té des équi­pe­ments hydro­élec­triques. Ils sont par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sants sur les réseaux faibles. 

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