Des livraisons citadines plus vertes :
Une des clés pour réduire la circulation due aux véhicules de livraison consiste en la mutualisation des flux. Si les longs trajets sont déjà bien optimisés par les grands transporteurs, la logistique du dernier kilomètre reste aujourd’hui complexe et relativement inefficace, surtout pour la livraison aux particuliers.
“ La logistique du dernier kilomètre est souvent inefficace ”
En général, un quartier est sillonné chaque jour par une multitude de livreurs travaillant pour des comptes différents. Les adresses à livrer sont donc réparties entre ces agents en fonction de la provenance des colis, et peuvent être largement dispersés dans le quartier.
Or, un découpage par zones géographiques serait bien plus efficace, permettant d’augmenter la densité des points de livraison pour chaque livreur, et donc de réduire la distance à parcourir entre deux livraisons.
REPÈRES
À travers le monde, les gens vivent de plus en plus massivement en milieu urbain, dans des agglomérations à la fois plus denses et plus étendues.
Par ailleurs, si la circulation des particuliers et les livraisons à destination des commerces forment encore la majeure partie du trafic routier, les livraisons chez les particuliers représentent depuis quelques années une part grandissante des flux, notamment grâce à l’explosion des ventes en ligne.
Un modèle venu de loin
En s’inspirant de ce qui se fait en Inde, nous avons conçu un système de distribution d’hyperproximité, adapté à la livraison à domicile dans une ville comme Paris. La ville doit être découpée en mailles, et des tournées de collecte et de livraison organisées à l’intérieur de chaque maille. Des « hubs » d’échange doivent être prévus pour que les livreurs puissent échanger leurs colis et partir chacun avec l’ensemble des éléments de leur tournée de livraison.
L’INDE DONNE L’EXEMPLE
Depuis cent trente ans, une coopérative de livreurs à Mumbai collecte et livre tous les jours 200 000 repas à travers la ville, à pied, en vélo et en transports en commun.
Pour cela, 5 000 dabbawalas s’occupent chacun d’une partie de la collecte et de la livraison, et se retrouvent dans des endroits prédéfinis (quais de gare, etc.) pour procéder aux échanges de colis nécessaires.
Ainsi, chaque repas change de mains trois ou quatre fois en moyenne, entre sa remise au livreur par la famille et sa réception par le destinataire.
Ce mode de fonctionnement permet de réduire la distance à parcourir par chaque livreur, et donc de faciliter la livraison à pied (ou en vélo), moins chère et moins polluante. Ces choix ont également l’intérêt de demander une infrastructure beaucoup plus légère.
Par ailleurs, dès que les volumes deviennent significatifs, le temps de parcours devient faible devant le temps de remise des colis, compté entre le moment où le livreur s’arrête en bas de la porte de l’immeuble et le moment où il reprend son chariot ou vélo.
C’est l’une des explications au fait que les tournées à pied peuvent être « rentables », malgré la faible vitesse de déplacement.
Le système d’information qui a été développé permet aux livreurs de gérer intégralement le suivi des colis et des clients à partir d’un smartphone du marché : scan des codes identifiants des colis, géolocalisation d’une adresse, signature du destinataire… Le paiement « à distance » est également facilité pour les commerçants ne proposant pas de service de paiement en ligne, puisque le règlement peut s’effectuer par carte bancaire via le terminal du livreur.
Un impact social positif
Au-delà de ses intérêts environnementaux et économiques, ce nouveau modèle logistique permet également d’autres innovations. En particulier, grâce à la mutualisation des flux, la livraison à domicile devient un service abordable pour les commerçants de proximité.
“ Contribuer à la réinsertion de personnes non qualifiées ”
Afin de vérifier le bon fonctionnement du modèle et son intérêt pour le commerce local, une expérimentation de vingt mois, de 2011 à 2013, a été menée sur un quartier pilote à Paris. Il s’agit du service La Tournée, qui a rapidement gagné une certaine renommée dans le quartier desservi.
À cheval sur deux arrondissements, la zone de chalandise sélectionnée englobait 20 000 foyers et 200 commerçants « cœur de cible ». S’il semble qu’une couverture de la ville entière soit indispensable pour attirer les plus grandes enseignes, cette expérience a tout de même permis de valider ses objectifs initiaux.
Des livreurs de La Tournée préparent un échange de colis.
© CAROLE CUILLIER, 2012
En premier lieu, le renforcement du tissu économique local, qui perçoit ce service comme un élément valorisant de la vie du quartier. L’expérience a rassemblé 60 commerçants et 700 clients, dont 16 % de personnes à mobilité réduite représentant plus de 40 % des commandes.
La Tournée a donc rempli son rôle quotidien de lien social entre les commerçants de proximité et les habitants du quartier. En second lieu, la création d’emplois. Sept livreurs ont été recrutés au cours de l’expérimentation, dont un a trouvé un emploi stable ensuite au sein du groupe La Poste.
En créant des emplois relativement simples, et au service des habitants d’un quartier, La Tournée a montré que ce modèle peut contribuer à la réinsertion de personnes non qualifiées, bénéficiaires du RSA.
L’expérimentation a également permis de vérifier la justesse du modèle logistique et la fiabilité du processus de livraison, dont la composante informatique.
En partenariat avec Diagma, La Tournée a même remporté le premier prix au concours des Rois de la Supply Chain, organisé par Supply Chain Magazine.
Un projet durable
L’intérêt environnemental, social et économique d’un tel opérateur logistique, spécialisé dans le « dernier kilomètre », ne fait guère de doute. Du reste, l’expérience déjà menée a accompli l’exploit de réunir les moyens financiers et le savoir-faire d’acteurs publics et privés, pour innover en un temps record.
DEUX EUROS PAR LIVRAISON
Une modélisation des temps de parcours et de livraison a permis d’aboutir à la conclusion que, avec un volume de livraisons suffisant, le prix de revient est de l’ordre de 2 € par livraison pour de petits objets.
Ce modèle, établi par le cabinet Diagma dans le cadre de la préétude du projet, a ensuite été validé par La Poste.
Les travaux de modélisation ont été complétés par la recherche de solutions permettant de piloter l’activité et de garantir la fiabilité des opérations ainsi que la traçabilité des livraisons.
À titre d’exemple, le squelette logistique de La Tournée a été mis sur pied en seulement trois mois, à l’aide d’un système d’information ad hoc créé par Atos, des smartphones fournis et paramétrés par Orange pour le tracking et le paiement, et un chariot dérivé de celui utilisé par La Poste.
En tout, une douzaine d’entreprises ont soutenu le projet par une aide en nature, ou en apportant un financement. Le projet a également bénéficié du soutien de la Mairie de Paris, de l’Agence nationale des services à la personne, ou encore de la Chambre du commerce et d’industrie de Paris.
Aujourd’hui, les fondateurs de l’association loi 1901 à l’origine de l’expérience La Tournée – dont plusieurs X – continuent à travailler avec les pouvoirs publics ainsi qu’avec d’autres partenaires, afin de créer les conditions nécessaires à la généralisation d’un tel service dans tout Paris.