Des modes de financement en pleine mutation
Les modèles financiers du marché de l’énergie ont été bouleversés depuis 20 ans dans une activité où les cycles de vie sont très longs. La séparation imposée des différentes activités, le « subventionnement » des EnR, et l’émergence de producteurs indépendants dans les domaines négligés par les grands énergéticiens font donc régner de fortes incertitudes sur la pérennité des investissements à réaliser.
Les infrastructures de production, de transport et de distribution de l’énergie forment une ossature essentielle pour le développement des économies.
Les cycles de vie de ces installations peuvent durer plusieurs dizaines d’années, et parfois dépasser le demi-siècle.
La seule gestation des projets puis leur construction peut dépasser la dizaine d’années, voire nettement plus pour les systèmes complexes comme les grandes interconnections électriques ou gazières, les centrales nucléaires ou les barrages hydrauliques.
REPÈRES
Les évolutions structurelles du marché de l’énergie des vingt dernières années ont totalement révolutionné les équations financières qui le sous-tendent et son financement.
La séparation imposée des activités de production et de fourniture d’énergie, de transport et de distribution, ainsi que les mesures permettant d’ouvrir les marchés ont entraîné un cloisonnement, voire un émiettement des activités et de leur financement, empêchant une approche systémique du développement à long terme.
DES MODÈLES INTÉGRÉS
Ces systèmes complexes nécessitent des investissements considérables, qui doivent s’amortir sur des durées de vie très longues. En Europe, après la Seconde Guerre mondiale, de très grands groupes intégrés ont permis de financer et de développer au niveau national ou suprarégional les systèmes électriques, puis gaziers.
Ces entités ont pu assurer un financement corporate de ces investissements considérables.
UNE PERTE DE VISIBILITÉ À LONG TERME
Si le transport et la distribution ont gardé leur caractère de monopole naturel et une régulation de long terme, les nouvelles réglementations ont imposé la concurrence entre les opérateurs, et le démantèlement progressif des tarifs réglementés.
“ La gestation des projets puis leur construction peut dépasser la dizaine d’années ”
Aujourd’hui, chaque projet est analysé uniquement sur ses critères propres, et doit être rentable à ses propres bornes, et non comme partie d’un système. La difficulté vient alors du fait que les investissements de production ont une composante capital initial très élevée en comparaison des coûts d’opération et de combustibles, nécessitant une bonne visibilité sur les revenus pour assurer la rentabilité de l’investissement.
Or, la dérégulation du marché a entraîné une forte baisse des prix et une forte volatilité de ceux-ci, ne fournissant aucun signal prix de long terme.
Ce qui était permis par des tarifs régulés ne l’est plus lorsque les prix sont déterminés par un marché de court terme au coût marginal.
Inspection des manifolds sur le site de stockage souterrain de gaz naturel
Storengy de Chémery. © ENGIE / MIRO / MEYSSONNIER ANTOINE
LES HANDICAPS DES ÉNERGIES RENOUVELABLES
Les premières technologies à être réellement déployées au début des années 2000, le solaire photovoltaïque et l’éolien terrestre, présentaient un modèle financier extrême puisque l’investissement initial est très important par rapport à la production possible, et les coûts d’exploitation quasiment nuls.
De plus, la production est intermittente et non ou peu prédictible (on produit quand il y a du vent ou du soleil). Enfin, le coût initial de ces technologies rendait initialement l’électricité produite en moyenne beaucoup trop chère par rapport à la production existante.
UN FINANCEMENT PERMIS PAR LA MISE EN PLACE DE SIGNAUX À LONG TERME HORS MARCHÉ
Les puissances publiques ont donc dû mettre en place des tarifs de rachat de l’électricité ainsi produite, fixes sur des durées suffisamment longues (quinze à vingt ans), qui ont pu atteindre initialement jusqu’à plus de 10 fois le coût normatif de production de l’électricité nucléaire (pour le PV en toiture notamment), associés à une obligation de rachat par le système électrique.
“ Développer les projets dans un cadre de long terme permettant au financement de se déployer de façon rentable ”
Le surcoût de cette électricité était ensuite réparti sur l’ensemble des consommateurs au travers de la CSPE. Cette visibilité des tarifs a permis d’enlever le risque de marché de ces projets, pour ne laisser qu’un risque de construction (relativement faible) et un risque de productible (lié au vent ou au niveau d’ensoleillement effectif).
Ces tarifs ont permis aux promoteurs de structurer des « financements de projet » à long terme avec un fort levier (de l’ordre de 80 % de dette à quinze ou vingt ans).
L’ÉMERGENCE DE PRODUCTEURS INDÉPENDANTS
Les grands énergéticiens se sont initialement peu intéressés à ces productions de petites tailles décentralisées. De nombreux producteurs indépendants se sont alors lancés dans ces projets, en s’appuyant sur des investisseurs financiers précurseurs comme la Caisse des dépôts.
Le marché a ensuite crû très vite, les modèles de structuration se sont affermis. Aujourd’hui, l’investissement dans les projets renouvelables est très recherché et structuré comme des placements financiers quasi obligataires, proposant des rendements de long terme réguliers supérieurs à ceux des obligations « normales » avec un risque associé assez limité.
DES SURCOÛTS PAYÉS PAR LES CONSOMMATEURS
Vue générale du terminal méthanier de Fos Cavaou.
© ENGIE / NEUS / BRUNET ARNAUD
Ces mécanismes de tarifs de rachat ont connu un grand succès, et les EnR classiques se sont développées pour atteindre un poids important dans la capacité de production en Europe. Ce développement a permis également de très importants gains de productivité sur les coûts de production, permettant ainsi d’atteindre dans certains pays la parité avec les coûts complets de production des moyens classiques neufs.
Néanmoins, le revers de ce résultat a été la création d’un surcoût important accumulé au fil des années qui est réparti dans les prix finaux de tous les consommateurs.
DES MODÈLES POUR LES NOUVELLES FILIÈRES
Pour maîtriser cette évolution, et éviter les effets d’aubaine, les autorités de régulation en Europe ont cherché à introduire de la compétition dans le système, autour de deux axes.
Dans un premier temps, on a généralisé les approches « appels d’offres » portant sur les niveaux des tarifs pour des quantités finies de puissance à installer, permettant de maîtriser les volumes ajoutés et de pousser les développeurs à optimiser leurs coûts.
Le second mécanisme qui est en train d’être défini et mis en œuvre est celui des compléments de prix : les producteurs devront vendre sur le marché au coût marginal, puis récupérer la différence avec leur prix cible prédéfini. Toutefois, ce mécanisme est complexe à mettre en œuvre, et pourrait venir rajouter de l’incertitude ce qui posera forcement des questions aux investisseurs.
LE MONDE DE LA FINANCE PRÊT À SE MOBILISER
Le monde de la finance, prêteurs comme investisseurs, a pris conscience des enjeux de la transition énergétique et se mobilise pour son financement.
De nombreux institutionnels comme la BEI, la Caisse des dépôts ou de grands assureurs français se sont engagés pour orienter leur portefeuille dans le sens de la transition énergétique. Cela passe par la création de nouveaux produits comme les « obligations vertes », un engagement actionnarial actif vis-à-vis des grandes entreprises, la création de fonds d’investissement dédiés à la transition énergétique, ou encore une allocation accrue des investissements directs dans les projets participant à la transition énergétique.
Mais il faut que les projets soient développés et se structurent dans un cadre permettant à ce financement de se déployer de façon rentable.
Les EnR classiques sont aujourd’hui de vrais produits financiers permettant des coûts de financement très compétitifs. Et tous les éléments semblent rassemblés pour que des filières plus complexes comme le biogaz puissent à leur tour trouver leur essor.