Des Physiciens de A à Z
Cet ouvrage encyclopédique nous propose les notices d’un bon millier de physiciens de l’Antiquité à nos jours, leurs vies et leurs œuvres.
Si nous ne sommes plus à l’ère de la marine à voile et des lampes à huile, nous le devons pour beaucoup à ces physiciens, coude à coude avec les autres scientifiques, mathématiciens, chimistes, biologistes… et secondés par les ingénieurs qui ont su “mettre leurs résultats en musique”. Tout cela est conçu assez clairement par les polytechniciens qui, dans le monde des cadres supérieurs en France ou à l’étranger, présentent la bizarrerie d’avoir une véritable culture scientifique.
Une telle collection alphabétique de biographies ne présenterait donc pour les X qu’un intérêt folklorique ? Nous connaissons la belle “ Science ” bien léchée qu’on nous a enseignée à l’École, c’est-à-dire la fin du roman, la conclusion des expériences et travaux de ces savants… Que faire du “ facteur humain ” qui l’a précédé ?
Eh bien, selon nos âges et nos promotions respectives, nous avons pu constater de notre vivant bien des modifications, voire de véritables révolutions dans ce bel édifice de la Science qu’on nous avait présenté. Ceux d’entre nous qui ont eu une carrière dans la recherche ou la technique ont pu voir de près comment des idées ou innovations s’y sont insinuées, à partir de théories paradoxales, de bricolages dans divers laboratoires qui passent d’abord le plus souvent inaperçus ou incompris : le transistor, le laser (“ solution sans problème ” disait-on), le circuit intégré, la fibre optique… cela est venu ébranler le bel édifice d’il y a cinquante ans. Il en a été sans cesse ainsi au cours du temps : la mécanique quantique, la relativité, les théories de la lumière, la mécanique… Les innovations scientifiques ont été imprévisibles et dérangeantes, elles ont dû considérablement à la personnalité avant tout non conformiste de ceux qui les ont proposées.
Tels sont les personnages qui nous sont présentés par MM. Rousset et Six : leur rétrospective s’étend des grands ancêtres à demi-légendaires – Archimède, Aristote… – à la foule des physiciens contemporains, souvent tout aussi mal connus, parce que trop nombreux. Ne dit-on pas qu’avec l’accroissement exponentiel du nombre des chercheurs, il y autant de savants vivants que de savants ayant existé depuis l’Antiquité ? Cela ressort bien de l’ouvrage proposé.
Dans cette foule contemporaine, on remarquera les nombreux physiciens dans le domaine de la physique des particules, domaine d’exercice des auteurs de l’ouvrage, ou de la mécanique quantique ; tous physiciens dont les travaux de plus en plus spécialisés deviennent fort ésotériques non seulement pour le polytechnicien moyen, mais aussi pour ceux qui travaillent dans un domaine en principe voisin.
Mais il y a aussi tous ceux qui ont “ fait la science ” dans l’intervalle, disons essentiellement depuis la Renaissance, et dont les résultats nous sont souvent plus familiers.
Dans cette grande fresque, on voit figurer une honorable séquence de quelque 25 polytechniciens : ceux qui ont su se faire un nom dans le grand public, comme Arago ou H. Becquerel. Mais d’autres aussi, dont les noms sont bien connus d’un public plus averti : Carnot, l’homme du principe, fils du grand Lazare ; Coriolis et son accélération ; Poisson et ses distributions ; Fresnel et ses lentilles, ornement de nos autobus ; Fabry et son interféromètre, sans lequel il n’est point de laser ; Cornu et ses spirales ; Le Verrier et la planète Neptune ; Malus et la polarisation de la lumière ; et d’autres, aux travaux peutêtre un peu moins popularisés : Lamé, Friedel, Poincaré, précurseur de la relativité, sinon parrain des rues et avenues du même nom ; Poiseuille et la viscosité ; Lagarrigue, que certains d’entre nous ont pu connaître à l’École ; Rebut ; Regnault…
Que peut-on attendre, ou craindre, a priori de la lecture d’une telle encyclopédie de physiciens ?
On peut se retrouver face à un ouvrage d’une fâcheuse facture universitaire, au style aussi recherché que possible et délibérément ésotérique ; ou alors être confronté à un traditionnel ouvrage de style journalistique, avec des descriptions de personnages zigzagant entre le savant Cosinus et l’Académicien sacralisé et hiératique, remplies de fastidieuses vulgarisations de travaux scientifiques avec abondance de non-sens voire de contresens.
Eh bien à la lecture, on voit les notices bibliographiques proposées présenter les faits scientifiques “ sans bavures ”, et demeurer néanmoins écrites dans un style accessible et alerte. On reconnaît le “ coup de patte ” d’un enseignant de la Physique “ blanchi sous le harnois ” comme notre camarade A. Rousset.
On a des descriptions de fortes personnalités peu idéalisées : foin des images d’Épinal ! Le plus souvent, certes, ces existences ont commencé par une grande précocité intellectuelle. Mais elles ne se sont pas rituellement poursuivies dans des “ tours d’ivoire ”. Bien au contraire, on voit beaucoup de biographies mêlées à l’actualité du temps : problèmes de carrière qui se réduit souvent à trouver un modeste gagne-pain, surtout dans l’ère antérieure à la révolution industrielle (très peu de millionnaires parmi les scientifiques !).
Problème des contextes politiques : beaucoup, Galilée, Kepler, Pascal…, se sont trouvés mêlés aux querelles et guerres de religion. Plus récemment ce furent les péripéties révolutionnaires de 1789, 1948… En dernier lieu, il y eut les incidences des idéologies nazies, la fracture de la guerre froide qui bouleversèrent bien des existences de scientifiques et donc les évolutions scientifiques. On peut aussi noter le rôle de l’environnement, ainsi l’absence de tout physicien en dehors du monde développé.
Mais presque à tout coup on voit ressortir l’extrême persévérance, “ l’idée fixe ” qui fait non seulement les savants Cosinus mais aussi les vrais scientifiques.
À côté des théoriciens de grande envergure, des Einstein ou Maxwell, les auteurs n’ont pas hésité à présenter des chercheurs beaucoup plus modestes, des inventeurs comme Bell, Ruhmkorff, Edison, Wozniak ou Gramme.
En filigrane on voit aussi ressortir déjà avant le Siècle des lumières toutes les interconnexions informelles et les relations entre chercheurs de toute l’Europe. On voit ainsi se former l’informelle et bizarre internationale du “monde savant ” telle qu’elle fonctionne encore de notre temps à l’échelle de la planète.
Pour conclure les auteurs n’ont pas hésité à agrémenter leurs textes d’anecdotes concernant leurs personnages, ainsi sortis un peu plus d’une imagerie idéale : qu’il s’agisse des talents divers de forceur de tiroirs ou de batteur de samba de Feynman, des conceptions vestimentaires d’Einstein, des tropismes nazis de Lénard.
En fait les auteurs sont restés très modestes dans ce domaine où il y aurait beaucoup à dire. Bien des savants ont “ fait leur trou ” avec quelque difficulté et ont dû avoir beaucoup de caractère, donc en particulier du mauvais caractère, sans exclure des manifestations de culte de la personnalité et de propension à d’ardentes polémiques. Ainsi beaucoup n’ont pas manqué de pittoresque.
Pour conclure, c’est un livre où on trouvera son intérêt, non seulement le physicien qui y découvre l’origine de bien des connaissances de son métier, mais aussi un public scientifiquement cultivé, qui pourra y assouvir sa curiosité.