Des voies ferrées aux autoroutes de l’information, 150 ans d’histoire d’une entreprise

Dossier : Les travaux publicsMagazine N°614 Avril 2006
Par Jean MONVILLE (63)
Par Gauthier LOUETTE (81)

Naître et Renaître, une histoire de SPIE
Édi­té en 2004 aux Presses de l’École natio­nale des ponts et chaus­sées PHOTOTHÈQUE AMEC SPIE

Aujourd’­hui dénom­mé AMEC SPIE, le groupe Spie a vécu une longue aven­ture qui débute sous la monar­chie de Juillet. Son périple indus­triel a été mar­qué par les vicis­si­tudes de l’his­toire et ryth­mé par des réa­li­sa­tions pres­ti­gieuses, mais aus­si ponc­tué de revers de for­tune par­fois rudes. Après ce par­cours semé d’embûches, qui a vu l’en­tre­prise naître, puis renaître à de mul­tiples reprises, le groupe a vécu une pro­fonde muta­tion au cours des der­nières années.

Autre­fois spé­cia­liste de grands tra­vaux, notam­ment dans le sec­teur fer­ro­viaire, pré­sent sur tous les conti­nents, la socié­té est deve­nue une entre­prise de ser­vices tech­niques de proxi­mi­té – concep­tion, ins­tal­la­tion, main­te­nance – dans les domaines du génie élec­trique et méca­nique, des auto­ma­tismes indus­triels, du génie cli­ma­tique, de télé­com­mu­ni­ca­tions, des réseaux élec­triques et de l’é­clai­rage urbain, sans aban­don­ner ses métiers anciens liés au trans­port fer­ro­viaire. Ses clients pro­viennent de tous les sec­teurs de l’é­co­no­mie : indus­trie, ter­tiaire, col­lec­ti­vi­tés, éner­gie, réseaux d’in­fra­struc­tures – de trans­port, d’éner­gie, de trans­mis­sion de voix et données.

Avec près de 400 implan­ta­tions régio­nales, son chiffre d’af­faires, tous sec­teurs confon­dus, s’é­lève à 3 mil­liards d’eu­ros, et ses effec­tifs à 22 000 personnes.

Du transport ferroviaire…

Deux hommes sont à l’o­ri­gine de la voca­tion fer­ro­viaire du groupe, Ernest Goüin et le baron Empain.

Ernest Goüin, poly­tech­ni­cien saint-simo­nien, se lan­ça en 1846 dans la construc­tion de loco­mo­tives dans le petit vil­lage des Bati­gnolles au nord de Paris, après s’être for­mé dans les usines anglaises. Vision­naire, il sut diver­si­fier les acti­vi­tés de son entre­prise, la Socié­té de Construc­tion des Bati­gnolles, vers les sec­teurs por­teurs, construc­tions métal­liques et infra­struc­tures fer­ro­viaires. Cha­ris­ma­tique il sut entraî­ner ses équipes au-delà des fron­tières lorsque le mar­ché natio­nal décli­na, per­met­tant à la SCB d’ac­qué­rir une renom­mée mon­diale au tra­vers d’une série de réa­li­sa­tions exceptionnelles.

Quant au baron Empain, génial entre­pre­neur belge, il empor­ta en 1899 la conces­sion du métro de Paris et fon­da la Spie pour en réa­li­ser les infra­struc­tures méca­niques et élec­triques. Elle devint ensuite la tête de pont du groupe belge en France dans les domaines du trans­port et de l’énergie.

Ces racines anciennes irriguent encore, un bon siècle plus tard, la culture du groupe. Du métro de Paris au début du siècle der­nier à celui de Cara­cas – dont une nou­velle exten­sion vient d’être obte­nue en 2005 – des che­mins de fer du Yunan aux réseaux de TGV – l’a­li­men­ta­tion élec­trique et les caté­naires du TGV Est étant sa der­nière réa­li­sa­tion -, l’en­tre­prise s’est impo­sée comme un lea­der euro­péen des infra­struc­tures ferroviaires.

… au transport de l’énergie…

Métro de Caracas
Métro de Cara­cas PHOTOTHÈQUE AMEC SPIE

Pour ali­men­ter le métro en élec­tri­ci­té, il fal­lait évi­dem­ment la pro­duire et la trans­por­ter. L’ex­pé­rience acquise dans la région pari­sienne fut bien­tôt éten­due au reste de la France et la socié­té par­ti­ci­pa acti­ve­ment au déploie­ment des réseaux élec­triques de transport.

Elle fut éga­le­ment par­mi les pre­mières à se lan­cer, dès 1920, dans une autre forme de trans­port d’éner­gie, la pose d’oléoducs.

Lorsque après le second conflit mon­dial l’es­sen­tiel de ses actifs fut natio­na­li­sé, l’en­tre­prise, exsangue, sut se relan­cer dans le seul domaine qui lui res­tait, celui de l’en­tre­prise de tra­vaux élec­triques et fer­ro­viaires. Elle par­ti­ci­pa donc à la recons­truc­tion des infra­struc­tures fer­ro­viaires et à l’ex­ten­sion et au déve­lop­pe­ment des réseaux élec­triques. L’a­po­gée en ce domaine fut la période de réa­li­sa­tion du pro­gramme nucléaire fran­çais qui néces­si­tait la construc­tion d’im­po­sants réseaux à très haute ten­sion avec la mise en place de lignes de 400 kV.

Dans le domaine du pipe­line la socié­té a acquis ses lettres de noblesse dans les années cin­quante et soixante au Saha­ra. Sa filiale spé­cia­li­sée a plan­té durant un demi-siècle le dra­peau de l’en­tre­prise sur tous les conti­nents. Elle achève actuel­le­ment la sec­tion de Géor­gie du pipe­line BTC qui trans­porte l’or noir de la Cas­pienne jus­qu’à la Médi­ter­ra­née à tra­vers l’A­zer­baïd­jan, la Géor­gie et la Turquie.

… au transport de l’information

Spie et la Socié­té de Construc­tion des Bati­gnolles s’u­nissent en 1968 pour for­mer un puis­sant groupe plu­ri­dis­ci­pli­naire, Spie Batignolles.

Mise en lumière de l’église Saint-Sernin
Mise en lumière de l’église Saint-Ser­nin à Tou­louse. © DOMINIQUE VIET

Quelques années plus tard les chocs pétro­liers géné­rèrent un flot de liqui­di­tés qui s’in­ves­tirent dans les pro­jets d’in­fra­struc­tures dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment. Ce fut l’âge d’or… le groupe s’illustre alors dans maintes réa­li­sa­tions pres­ti­gieuses dans toutes les régions du globe : bar­rages, cen­trales nucléaires, aéro­ports, métros, ensembles indus­triels, etc. Mais les meilleures choses ont une fin ! La dégra­da­tion de la situa­tion finan­cière de nom­breux pays clients, ain­si que l’ap­pa­ri­tion de concur­rents agres­sifs ori­gi­naires du tiers-monde déclen­chèrent une crise pro­fonde. Il fal­lut se rendre à l’é­vi­dence, le mar­ché des grands pro­jets d’in­fra­struc­tures de génie civil à l’ex­por­ta­tion avait disparu.

Dans ce contexte, le groupe opère deux virages majeurs. Au plan capi­ta­lis­tique il quitte le giron du groupe Schnei­der, son action­naire de réfé­rence, à tra­vers un RES (rachat de l’en­tre­prise par ses sala­riés), qui per­met aux col­la­bo­ra­teurs du groupe d’en prendre le contrôle majo­ri­taire, avec l’ap­pui du groupe bri­tan­nique AMEC. Au plan stra­té­gique, il cède son sec­teur construc­tion et reprend le nom de Spie, se concen­trant sur ses acti­vi­tés élec­triques régio­nales qu’é­tait venue ren­for­cer la socié­té Trin­del acquise durant les années quatre-vingt.

Au terme de ses muta­tions, cultu­relle et stra­té­gique, il prend sa phy­sio­no­mie actuelle, celle d’une entre­prise à voca­tion euro­péenne, majo­ri­tai­re­ment orien­tée vers les ser­vices tech­niques de proxi­mi­té, mais qui n’hé­site pas à se lan­cer à l’ex­por­ta­tion dans des domaines ciblés, tel le pétrole-gaz.

Entre-temps, Spie est entrée en force dans l’ère du trans­port de l’in­for­ma­tion avec les déploie­ments mas­sifs des réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions à la fin des années quatre-vingt-dix et devient à l’aube du xxie siècle un acteur majeur de la conver­gence voix don­nées sur IP. De nou­veaux hori­zons s’ouvrent avec l’a­mé­na­ge­ment numé­rique du ter­ri­toire et l’é­qui­pe­ment de ses ensembles indus­triels et ter­tiaires. L’a­ven­ture continue…

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