Désordres et délices

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°687 Septembre 2013Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Les orga­ni­sa­teurs de fes­ti­vals s’évertuent à trou­ver des pré­textes pour confé­rer à leur pro­gram­ma­tion l’apparence d’une cohé­rence : « Autour de l’enfance », « Une soi­rée à Saint- Péters­bourg », etc. Est-ce bien utile, et le plai­sir de l’écoute et celui, plus rare, de la décou­verte ne suf­fisent-ils pas à satis­faire l’amateur éclairé ?

Aus­si ne cher­che­rons-nous pas à pré­tendre ras­sem­bler sous un thème fac­tice des disques dus au hasard des paru­tions : il suf­fit qu’ils nous apportent ces petits bon­heurs grâce aux­quels la vie vaut un peu plus la peine d’être vécue.

Hahn, Chausson et quelques autres

C’est bien à ces petits bon­heurs qu’invite toute la musique de Rey­nal­do Hahn, l’ami de Proust, qui bri­dait son génie pour le mettre au ser­vice du seul objec­tif : plaire avant tout.

Hahn, Chausson et quelques autres par Michaël Seigle au violon et Augustin VoegeleSa Sonate pour vio­lon et pia­no est une pièce dans le goût fran­çais, délec­table, sub­tile, fau­réenne, et qui aurait pu être le modèle de la fameuse Sonate de Vin­teuil si elle n’était pas pos­té­rieure à la Recherche du temps per­du.

Les jeunes inter­prètes de cette œuvre rare, Michaël Seigle au vio­lon et Augus­tin Voe­gele, issus de l’École nor­male de musique, per­pé­tuent la tra­di­tion de mesure et de clar­té de l’école fran­çaise des Cor­tot, Casa­de­sus, Thi­baut, Erlih. Sur le même disque1 figurent d’autres œuvres dans le même esprit dont le mer­veilleux Poème de Chaus­son (ver­sion pour vio­lon et pia­no) et Tzi­gane de Ravel.

Réduire l’effectif orches­tral d’un concer­to à un quin­tette à cordes est une gageure pour une grande œuvre roman­tique comme le Concer­to n° 1 pour pia­no de Cho­pin. Un groupe de musi­ciens de la même École nor­male conduit par le même Seigle2 l’a ten­tée, le résul­tat est inat­ten­du et vrai­ment superbe : le pia­no n’est plus en oppo­si­tion avec un orchestre sur­di­men­sion­né mais devient le par­te­naire d’un sex­tuor pour pia­no et cordes. C’est une œuvre nou­velle, supé­rieure à l’original d’autant que Cho­pin était un piètre orchestrateur.

Sur le même disque, une des œuvres cultes de Mozart, la Sym­pho­nie concer­tante avec vio­lon et alto, dans la même for­ma­tion (quin­tette et deux solistes), moins éloi­gnée de l’œuvre ori­gi­nale, témoigne de la même clarté.

CD : Aubade à la lune par l'ensemble AENEASLa for­ma­tion flûte, harpe et trio à cordes, qui a fait flo­rès au tour­nant des XIXe-XXe siècles, est carac­té­ris­tique de cette musique de salon à la fois très éla­bo­rée et faite pour le plai­sir seul. Sous le titre Aubade à la Lune l’ensemble Aeneas a enre­gis­tré, avec une jolie trans­crip­tion de la Suite ber­ga­masque de Debus­sy, quatre pièces exquises de com­po­si­teurs injus­te­ment oubliés : le Trip­tyque cham­pêtre de Char­lotte Sohy, Cinq Haï-Kaï de Jacques Pillois, Clair de lune sous bois de Paul Le Flem et Varia­tions au clair de lune de Paul Pier­né (parent de Gabriel)3.

N’en déplaise aux sec­taires de la musique contem­po­raine, il s’agit ici de musiques très fines et com­plexes, nova­trices dans leurs har­mo­nies et leurs recherches de timbres, et, par-des­sus tout, déli­cieu­se­ment sensuelles.

Violonistes

CD : Symphonie espagnole pour violon et orchestre d'Édouard Lalo par Nikita Boriso-GlebskyC’est encore dans le même esprit qu’Édouard Lalo a écrit sa Sym­pho­nie espa­gnole pour vio­lon et orchestre enre­gis­trée il y a peu par Niki­ta Bori­so-Glebs­ky et le Sin­fo­nia Var­so­via diri­gé par Augus­tin Dumay4.

On connaît cette œuvre popu­laire – mais non kitch – typique du XIXe siècle fran­çais, qu’accompagnent ici la brillan­tis­sime Sonate pour vio­lon et pia­no avec Jean-Phi­lippe Col­lard, et deux petites pièces secondaires.

CD : Tedi Papavrami raconte sa vie en musiqueTedi Papa­vra­mi, qui avait fui à 11 ans l’Albanie d’Enver Hod­ja, raconte une vie, la sienne, dans un recueil de 6 disques des­ti­né à accom­pa­gner son livre Fugue pour vio­lon seul (Robert Laf­font) : les Sonates et Par­ti­tas de Bach pour vio­lon seul, la Sonate n° 2 d’Ysaye, la Sonate pour vio­lon seul de Bar­tok, les 24 Caprices de Paga­ni­ni en deux ver­sions (stu­dio et concert), les trans­crip­tions pour vio­lon par Papa­vra­mi de pièces de Bach pour orgue et de 12 Sonates de Scar­lat­ti pour cla­ve­cin5.

Impos­sible de résu­mer ici le jeu très ori­gi­nal d’un inter­prète à la forte per­son­na­li­té, jeu qui explose lit­té­ra­le­ment dans la Sonate d’Ysaye ou les Caprices de Paga­ni­ni. C’est très « tzi­gane » tout en étant tech­ni­que­ment vir­tuose, un peu à la manière de Ven­ge­rov ou, autre­fois, de Git­lis, et, en tout cas, enthousiasmant.

Chansons d’Angleterre

CD : Britten songs par Ian BostridgeMélan­co­lie : c’est l’atmosphère com­mune aux songs de Ben­ja­min Brit­ten (1913−1976) par Ian Bos­tridge accom­pa­gné par Anto­nio Pap­pa­no au pia­no6, et aux ayres de John Dow­land (1563−1626) par quatre solistes et Tho­mas Dun­ford au luth7.

CD : Les ayres de DowlandLes songs de Brit­ten, Win­ter Words, Sept Son­nets de Michel-Ange, Six Frag­ments d’Hölderlin, Où sont ces enfants, Chants chi­nois (accom­pa­gnés à la gui­tare), sont pos­té­rieurs à la Seconde Guerre mon­diale : rugueux, pleins de tris­tesse et par­fois de fureur, ils sont ce que Brit­ten a écrit de plus fort, avec ses opé­ras (Le Tour d’écrou, Peter Grimes, etc.).

Les ayres de Dow­land, entre­cou­pés de pièces pour luth, sont d’une extrême sophis­ti­ca­tion et d’une grande beau­té : la déli­ca­tesse de la Renais­sance est à son apo­gée et, tout comme celle de Brit­ten au XXe siècle, la musique de Dow­land est impré­gnée du désen­chan­te­ment d’une époque domi­née par les conflits et les souf­frances, où l’amour ne peut s’épanouir.

Qu’en sera-t-il de la musique du XXIe siècle ?

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1. 1 CD PASSAVANT.
2. 1 CD Salle Cortot.
3. 1 CD Hybrid’Music.
4. 1 CD Fuga Libera.
5. 1 CD ZIG-ZAG.
6. 1 CD EMI.
7. 1 CD ALPHA.

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