Deux pianistes

Deux pianistes

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Jean SALMONA (56)

« Déjà les Ita­liens de Rome avaient trans­por­té le mot vir­tus de l’idée de force à celle de talent, ce qui les a conduits à dire un virtuose. »
Abel-Fran­çois Vil­le­main, Cours de lit­té­ra­ture française

Nicholas Angelich

Ce musi­cien excep­tion­nel, qui nous a quit­tés en 2022 à l’âge de 52 ans, a été évo­qué à plu­sieurs reprises dans ces colonnes, et encore tout récem­ment. On pense tou­jours, de prime abord, à ses inter­pré­ta­tions de Brahms et Pro­ko­fiev. Era­to a eu l’excellente idée de ras­sem­bler un flo­ri­lège d’enregistrements inédits, cap­tés sur le vif. À tra­vers une ving­taine d’œuvres, de Bach à Zem­lins­ky, on découvre un pia­niste qui aura été plus qu’un musi­cien hors normes : un des très grands pia­nistes des XX-XXIe siècles, l’égal d’un Sam­son Fran­çois et d’un Vla­di­mir Horo­witz, et que seule sa modes­tie aura tenu à l’écart des pro­jec­teurs de l’univers médiatique.

Nicho­las Ange­lich pos­sé­dait une tech­nique trans­cen­dante qu’il maî­tri­sait tota­le­ment et qui lui per­met­tait de se concen­trer sur le tou­cher, avec une palette infi­nie de cou­leurs. On ne peut mieux illus­trer ce jeu unique que par trois œuvres de Ravel : Miroirs, Valses nobles et sen­ti­men­tales, et La Valse, éblouis­sante, chef‑d’œuvre d’un jeu pia­nis­tique qui à lui seul jus­ti­fie­rait l’existence de ce coffret.

Clar­té : de Bach, Ange­lich joue la 2e Suite anglaise et les Varia­tions Gold­berg, lumi­neuses. Le même sou­ci de clar­té qui met en évi­dence le moindre détail sans mas­quer l’architecture de la pièce se retrouve dans Liszt, quatre Études d’exécution trans­cen­dante, la Mort d’Iseult (trans­crip­tion), les qua­si ato­naux Nuages gris.

Citons par­mi les autres pièces : Brahms, les Varia­tions et fugue sur un thème de Haen­del ; Haydn, les Varia­tions en fa mineur, d’un moder­nisme inat­ten­du ; la Sonate « Wald-stein » de Bee­tho­ven, enle­vée avec brio ; le Quin­tette de Franck, avec le Qua­tuor Ébène ; les Tableaux d’une expo­si­tion de Mous­sorg­ski ; la Sonate pour deux pia­nos et per­cus­sion de Bartók, avec Mar­tha Arge­rich ; la Sonate de Berg ; Quatre Fan­tai­sies de Zem­lins­ky ; enfin, de Rach­ma­ni­nov, le 3e Concer­to avec l’Orchestre phil­har­mo­nique de Radio France diri­gé par Chung Myung-whun, et la Rap­so­die sur un thème de Paga­ni­ni avec l’Orchestre natio­nal de Tou­louse diri­gé par Tugan Sokhiev.

Quelques heures de pur bonheur.

7 CD ERATO


Anna Fedorova – Rachmaninov

Anna Fedo­ro­va, remar­quable pia­niste ukrai­nienne, a enre­gis­tré l’intégrale des œuvres de Rach­ma­ni­nov pour pia­no et orchestre avec l’Orchestre sym­pho­nique de Saint-Gall diri­gé par le chef litua­nien Modes­tas Pitrė­nas. Son jeu radieux est bien adap­té à ces œuvres post­ro­man­tiques et la cohé­rence des inter­pré­ta­tions met en évi­dence l’évolution de l’art de Rachmaninov.

Le Pre­mier Concer­to, conçu avant la fin du XIXe siècle (révi­sé en 1917), est le plus dra­ma­tique des quatre. Il est bien connu du public fran­çais depuis qu’il ser­vait d’indicatif à l’émission Apos­trophes.

Le Deuxième Concer­to, com­po­sé en 1901, le plus sou­vent joué, est une œuvre pas­sion­née, deve­nue popu­laire après qu’il a ser­vi de musique de fond pour le film Brève Ren­contre de David Lean.

Le Troi­sième Concer­to est le plus vir­tuose des quatre, redou­té de tous les pia­nistes. Il fut créé en 1909 à New York.

Le Qua­trième Concer­to, enfin, rare­ment joué, est pour­tant le plus inté­res­sant car le plus com­plexe. Créé en 1927, révi­sé en 1941, il témoigne de la ten­ta­tive de Rach­ma­ni­nov de s’adapter aux nou­veaux canons de la musique moderne et de s’éloigner du post-romantisme.

Enfin, la Rap­so­die sur un thème de Paga­ni­ni, brillante, qui requiert une tech­nique d’acier, fut créée en 1934.

Au total, cinq œuvres majeures de la musique du XXe siècle, qui révèlent une grande pia­niste au public français.

3 CD CHANNEL

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