Deux pianistes
« Déjà les Italiens de Rome avaient transporté le mot virtus de l’idée de force à celle de talent, ce qui les a conduits à dire un virtuose. »
Abel-François Villemain, Cours de littérature française
Nicholas Angelich
Ce musicien exceptionnel, qui nous a quittés en 2022 à l’âge de 52 ans, a été évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes, et encore tout récemment. On pense toujours, de prime abord, à ses interprétations de Brahms et Prokofiev. Erato a eu l’excellente idée de rassembler un florilège d’enregistrements inédits, captés sur le vif. À travers une vingtaine d’œuvres, de Bach à Zemlinsky, on découvre un pianiste qui aura été plus qu’un musicien hors normes : un des très grands pianistes des XX-XXIe siècles, l’égal d’un Samson François et d’un Vladimir Horowitz, et que seule sa modestie aura tenu à l’écart des projecteurs de l’univers médiatique.
Nicholas Angelich possédait une technique transcendante qu’il maîtrisait totalement et qui lui permettait de se concentrer sur le toucher, avec une palette infinie de couleurs. On ne peut mieux illustrer ce jeu unique que par trois œuvres de Ravel : Miroirs, Valses nobles et sentimentales, et La Valse, éblouissante, chef‑d’œuvre d’un jeu pianistique qui à lui seul justifierait l’existence de ce coffret.
Clarté : de Bach, Angelich joue la 2e Suite anglaise et les Variations Goldberg, lumineuses. Le même souci de clarté qui met en évidence le moindre détail sans masquer l’architecture de la pièce se retrouve dans Liszt, quatre Études d’exécution transcendante, la Mort d’Iseult (transcription), les quasi atonaux Nuages gris.
Citons parmi les autres pièces : Brahms, les Variations et fugue sur un thème de Haendel ; Haydn, les Variations en fa mineur, d’un modernisme inattendu ; la Sonate « Wald-stein » de Beethoven, enlevée avec brio ; le Quintette de Franck, avec le Quatuor Ébène ; les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ; la Sonate pour deux pianos et percussion de Bartók, avec Martha Argerich ; la Sonate de Berg ; Quatre Fantaisies de Zemlinsky ; enfin, de Rachmaninov, le 3e Concerto avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Chung Myung-whun, et la Rapsodie sur un thème de Paganini avec l’Orchestre national de Toulouse dirigé par Tugan Sokhiev.
Quelques heures de pur bonheur.
7 CD ERATO
Anna Fedorova – Rachmaninov
Anna Fedorova, remarquable pianiste ukrainienne, a enregistré l’intégrale des œuvres de Rachmaninov pour piano et orchestre avec l’Orchestre symphonique de Saint-Gall dirigé par le chef lituanien Modestas Pitrėnas. Son jeu radieux est bien adapté à ces œuvres postromantiques et la cohérence des interprétations met en évidence l’évolution de l’art de Rachmaninov.
Le Premier Concerto, conçu avant la fin du XIXe siècle (révisé en 1917), est le plus dramatique des quatre. Il est bien connu du public français depuis qu’il servait d’indicatif à l’émission Apostrophes.
Le Deuxième Concerto, composé en 1901, le plus souvent joué, est une œuvre passionnée, devenue populaire après qu’il a servi de musique de fond pour le film Brève Rencontre de David Lean.
Le Troisième Concerto est le plus virtuose des quatre, redouté de tous les pianistes. Il fut créé en 1909 à New York.
Le Quatrième Concerto, enfin, rarement joué, est pourtant le plus intéressant car le plus complexe. Créé en 1927, révisé en 1941, il témoigne de la tentative de Rachmaninov de s’adapter aux nouveaux canons de la musique moderne et de s’éloigner du post-romantisme.
Enfin, la Rapsodie sur un thème de Paganini, brillante, qui requiert une technique d’acier, fut créée en 1934.
Au total, cinq œuvres majeures de la musique du XXe siècle, qui révèlent une grande pianiste au public français.
3 CD CHANNEL