Deux témoignages sur La main à la pâte
Nous avons choisi d’illustrer concrètement, sur la base des rapports de stage très détaillés de deux X 2004, la coopération existant depuis 2000 entre l’École polytechnique et La main à la pâte. Cinq élèves français et quatre élèves étrangers de la promotion 2004 ont effectué le stage de six mois de La main à la pâte, dans le cadre des activités civiles ayant remplacé le service national ; parmi les neuf élèves, Clémentine Broutin a fait son stage à Bergerac (Dordogne) et Vincent Le Biez à Pamiers (Ariège).
Les jeunes X participent à l’accompagnement scientifique de classes du primaire, c’est-à-dire qu’ils assistent l’instituteur dans la réalisation d’un module de La main à la pâte ; ils participent aussi, avec les animateurs locaux, à la création de nouveaux modules.
« Grâce à ce stage, après deux années de classe préparatoire pendant lesquelles la priorité était donnée à la quantité de savoir plutôt qu’à la démarche, j’ai redécouvert le sens réel du mot scientifique. J’ai aussi ouvert les yeux sur de nombreuses applications qui justifient la théorie étudiée pendant ces deux ans. Enfin, je me suis remise à la biologie ! » (Clémentine Broutin).
La démarche privilégie l’expérience à la connaissance a priori ; les élèves partent d’une expérience dont ils doivent comprendre le fonctionnement en faisant varier certains paramètres. Il faut enlever de la tête des élèves qu’en sciences il y a ceux qui savent (scientifiques, dictionnaires, livres…) et eux qui ne savent pas : la science est présentée comme une démarche d’investigation plutôt que comme une accumulation de connaissances.
« Tous les élèves sont émerveillés quand quelque chose d’inhabituel se produit, et ces expériences donnent souvent lieu à une batterie de questions de leur part. » (Vincent Le Biez).
Les schémas jouent un rôle important dans la démarche : les élèves sont incités à faire des schémas rapides, même grossiers, pour poser l’expérience ou résumer ses résultats. À l’inverse, l’outil informatique ne doit être là qu’en support, par exemple pour des tableaux de résultats : l’expérience n’est pas celle qu’on réalise sur un logiciel, même en faisant varier ses paramètres. L’omniprésence du virtuel rend la confrontation avec le réel nécessaire.
Le déroulement des ateliers réserve des surprises à tous : des élèves réputés « mauvais » s’épanouissent dans les ateliers. Sans vouloir idéaliser les choses, la distinction entre bons et mauvais élèves perd une part de sa signification lors des séances d’expérimentation, où le bon sens et la logique priment sur les connaissances.
La formation initiale des instituteurs pendant leurs études secondaires, selon qu’ils étaient plutôt littéraires ou plutôt scientifiques, est un critère important de leur approche : ceux qui ont eu la fibre scientifique sont ceux qui abordent le plus les sciences dans leur classe, et qui demandent des formations en science.
La physique, notamment, est souvent réduite à la portion congrue, même chez ces enseignants, au profit de la biologie qui prend alors une place très importante.
« Ce n’est pas tant une méconnaissance des thèmes abordés qu’une absence de « certitude », de vérités sur lesquelles ils peuvent s’appuyer. Leur manque de confiance en leurs connaissances fait naître en eux un doute tenace dès qu’une question d’élève est plus précise ou qu’une expérience ne marche pas totalement comme prévu. » (Vincent Le Biez).
V. Le Biez suggère qu’un enseignement de culture scientifique soit dispensé y compris après la seconde générale, de la même manière qu’un enseignement littéraire est dispensé en filière scientifique.
« Cet enseignement serait non quantitatif et orienté vers la compréhension générale du monde afin de fournir aux élèves des éléments objectifs qui leur permettront d’affronter les débats de société autour de sujets scientifiques (bioéthique, OGM, énergie nucléaire…). Il permettrait également à ceux qui se destinent à devenir professeur de ne pas arrêter l’apprentissage des sciences en seconde, sans connaître les fondements de la génétique, de l’immunologie, des forces et de la dynamique en physique, de la formation des océans en géologie… »
Les débats sur les sciences sont tenus par les jeunes X avec les enseignants dans des stages de formation, et ils notent l’image dégradée de la science, à travers deux perceptions – d’ailleurs assez liées – qu’ont ces enseignants
• La science qui « fait peur » (OGM, nucléaire, téléphone portable…) ; l’idée que l’intervention de l’homme dans la nature est dangereuse est largement répandue. « Beaucoup ont une vision « religieuse » de la nature qui, par essence, ferait bien les choses tandis que l’homme ne pourrait que dérégler cette merveilleuse horlogerie. »
• Le relativisme total, où chacun vient avec ses opinions, discute puis repart avec : en sciences, toutes les opinions ne se valent pas du moment qu’elles sont un tant soit peu argumentées, les opinions de chacun sont confrontées aux faits, et ceux-ci sont têtus. « Au cours d’une de ces discussions, une enseignante a reproché aux scientifiques présents d’être étroits d’esprit et intolérants au motif qu’ils réfutaient de manière un peu trop insistante à son goût des idées avec lesquelles ils étaient en désaccord. »
Bénéfique pour les X concernés, créant un pont entre l’École polytechnique et l’Éducation nationale, cette coopération avec La main à la pâte participe au rayonnement de l’X, et à une évolution progressive des méthodes d’enseignement des sciences à l’école.
Illustration : Clémentine Broutin (X 2004) avec une jeune élève de Bergerac.