Deuxième colloque de l’AX : les polytechniciens interpellent les politiques
Les débats qui ont marqué ce second colloque ont fait ressortir un message fort adressé aux politiques : celui d’aborder les réformes sans parti pris idéologique, en s’appuyant sur toutes les forces de la nation et en tenant un langage de vérité. L’État doit avant tout fixer le cap à long terme, définir un cadre d’action et donner l’impulsion permettant de mobiliser tous les acteurs-entreprises, citoyens ou collectivités.
400 personnes – dont un tiers de non X – ont suivi les débats dans le grand amphithéâtre
du Conseil économique social et environnemental. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE – J.BARANDE
Le compte-rendu de ce colloque, message fort adressé aux politiques – celui d’aborder les réformes sans parti pris idéologique, en s’appuyant sur toutes les forces de la nation et en tenant un langage de vérité – qui s’est déroulé le 30 novembre 2016 dans le grand amphithéâtre du Conseil économique social et environnemental devant près de 400 personnes.
Ouvrant la séance, Bruno Angles, président de l’AX, a rappelé la volonté de l’AX de renforcer l’expression de la communauté polytechnicienne dans le débat public, en s’appuyant sur deux valeurs fortes de notre enseignement : la rigueur scientifique et le sens de l’intérêt général. Les six mois qui viennent sont l’occasion d’exprimer nos points de vue.
Les débats, sous forme de tables rondes animées par Cyrille Lachèvre, journaliste économique à L’Opinion, ont été centrés sur quatre enjeux : l’énergie, le numérique, l’insertion sociale et l’emploi.
ÉNERGIE : RENOUER LES FILS DU DIALOGUE ENTRE POLITIQUES ET EXPERTS
UNE MANIFESTATION TRÈS SUIVIE
C’est près de 400 personnes – dont un tiers de non X – qui ont suivi ces débats dans le grand amphithéâtre du Conseil économique social et environnemental. Les participants ont été accueillis dès 13 heures. La séance de travail a commencé à 14 heures et s’est terminée à 19 heures par un cocktail qui a permis de poursuivre les échanges jusqu’à 21 heures.
La première table ronde a réuni Didier Holleaux (79), DGA d’Engie, Hervé Machenaud (68), ex-DG d’EDF, Claude Mandil (61), ancien DGEMP et ancien directeur exécutif de l’AIE, et Claire Tutenuit, déléguée générale d’EpE.
La discussion a été axée sur la question de la transition énergétique. Elle a mis en évidence les difficultés à fixer une ligne politique efficace, car celle-ci doit s’inscrire dans la durée alors que les ministres changent fréquemment. Ce sont des sujets difficiles à aborder en raison de leur complexité et du caractère contre-intuitif des mesures à prendre.
Les progrès techniques changent régulièrement la donne économique : les énergies renouvelables deviennent plus compétitives et la baisse des coûts de stockage de l’électricité est aujourd’hui un enjeu essentiel. Les consommateurs doivent être impliqués et la communication sera importante pour les amener à modifier leurs habitudes de vie.
En ce qui concerne les modalités de cette transition, si la décarbonation est bien considérée comme urgente, encore faut-il en préciser la nature, en choisissant notamment la place du nucléaire dans le mix énergétique. Quant aux énergies renouvelables, la question est de moins en moins celle de leur coût de production – vu les gains constatés et espérés – et de plus en plus celle du coût de leur stockage.
“ La baisse des coûts de stockage de l’électricité est un enjeu essentiel ”
Les débats entre les experts réunis autour de la table ronde ont bien montré qu’il n’y avait pas encore de consensus entre les optimistes pour qui les solutions existent ou seront rapidement déployables et ceux qui mettent en avant les difficultés à résoudre, en particulier celle des capacités à installer pour faire face aux pointes de consommation dans un secteur où la part des coûts fixes est prépondérante.
La décarbonation est aussi un sujet qui concerne tous les pays : la France ne saurait agir isolément. La taxe carbone est un bon outil et l’accord de Paris (COP 21) ouvre la voie à de vrais progrès au plan mondial.
Sur ces sujets difficiles, le danger pour les politiques est de prendre des engagements trop précis : le manque de réalisme des promesses ou les aléas de la conjoncture leur donneront vite tort et les décrédibiliseront. Par contre, ils gagneront à plus dialoguer avec les experts pour mieux orienter et expliquer leurs décisions.
NUMÉRIQUE : MOBILISER LES FINANCEMENTS,
ADAPTER LA FISCALITÉ ET LE CADRE LÉGISLATIF
“ Ne chercher qu’à parer les menaces du numérique, c’est se priver des opportunités ”
Erwan Le Pennec (D 2002), professeur associé à l’X, Axel Dauchez (88), fondateur de Make.org, Gaëlle Olivier- Triomphe (90), directrice générale AXA P & C, et Jean-Dominique Chamboredon (82), président exécutif du fonds ISAI & coprésident de France Digitale ont débattu des conditions à réunir pour que la transformation numérique soit une chance pour la France, aussi bien par la création d’emplois directs que par les conséquences induites dans la vie des entreprises, des administrations et des citoyens.
Développer des acteurs français et européens pour ne pas subir davantage une forme de colonisation américaine implique que soient mis en place des mécanismes pour amener l’épargne longue à s’investir massivement dans ce secteur.
OSONS RÉFORMER
Jean-Paul Bailly (65) a dirigé et transformé la RATP puis La Poste. Fort de cette expérience largement décrite dans un livre qu’il vient de publier, il a invité les politiques à changer leur approche des réformes à entreprendre.
Plutôt que de se focaliser sur le contenu – le quoi –, il leur faudrait se préoccuper de la méthode : le pourquoi, le quand, et surtout le comment. Le calendrier de la réforme, le partage du diagnostic, l’implication et la responsabilisation de tous les acteurs, la décentralisation de la mise en œuvre permettent de réformer par le dialogue et la confiance.
Dans un monde qui change très vite, faire de la numérisation une chance pour tous implique de faire évoluer sans délai et en permanence notre cadre législatif et réglementaire, en se gardant d’être toujours sur la défensive. Car ne chercher qu’à parer les menaces – protéger des données ou des métiers –, c’est se priver des opportunités qui se présentent, en particulier la création d’acteurs français sur les marchés qui apparaissent.
De nombreuses start-ups voient le jour dans le monde numérique, mais il serait bon que l’ensemble de la société adopte une attitude positive et fasse preuve d’audace, à l’instar de ce que l’on observe dans de nombreux pays d’Asie.
INSERTION : DÉVELOPPER L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN DIFFICULTÉ
La 3e table ronde devait réunir Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde, Nicolas Truelle (80), directeur général des Apprentis d’Auteuil et Lionel Stoléru (56) qui voulait présenter son projet de revenu universel. Malheureusement, les travaux ont eu lieu sans ce dernier, victime le jour même d’un malaise ayant entraîné son décès.
“ Ces mesures ont un coût très inférieur aux bénéfices humains, sociaux et économiques attendus ”
Les messages qu’ils ont adressés aux politiques sont nombreux : changer le regard des autres sur les plus démunis ; développer un accompagnement basé sur une prise en charge globale (logement, aide à l’éducation des plus petits, formation, etc.) ; faciliter l’accès aux droits et aux dispositifs de soutien ; combler le fossé entre le système éducatif et le monde de l’entreprise ; mesurer l’efficacité des dispositifs avant de les généraliser ou les remplacer
Quant à la création d’un revenu universel, elle présenterait certes l’avantage de simplifier la vie des plus pauvres, mais il faut être vigilant sur les modalités. Le mot de la conclusion fut « ayons de l’audace » : si ces mesures ont un coût, il est très inférieur aux bénéfices humains, sociaux et économiques attendus.
CHÔMAGE : ORGANISER UN GRENELLE DE L’EMPLOI
Christel Heydemann (94), Senior Vice President Corporate Strategy, Alliances & Development de Schneider Electric, Francis Kramarz (76), directeur du CREST et Gilles Mirieu de Labarre, président de Solidarités nouvelles face au chômage ont eux aussi appelé les politiques à une vraie ambition, en rupture avec la « préférence française pour le chômage ».
La séance de travail s’est terminée à 19 heures par un cocktail qui a permis de poursuivre les échanges jusqu’à 21 heures.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE – J.BARANDE
Les visions idéologiques sont contre-productives : taxer les salaires de plus d’1 million d’euros ne rapporte presque rien mais dissuade des grands groupes de s’installer ou se développer en France.
Organisons donc un véritable Grenelle de l’emploi ! Nos maux viennent d’institutions qui ont atteint leurs limites : il faut les réformer rapidement pour bénéficier des opportunités qui se multiplient. Réformer le marché du travail, c’est aussi réformer le marché des biens et services.
Tirer parti des nouveaux marchés implique de revoir le mode d’action de la formation professionnelle : sur 32 milliards d’euros, seulement 4 servent aux chômeurs.
Enfin, il faut revoir notre système de représentation qui ne donne pas la parole à ceux qui devraient parler.
DIALOGUER AVEC LE MONDE POLITIQUE SANS ESPRIT PARTISAN
En conclusion de cette demi-journée, Claude Bébéar (55), président du Colloque, a souligné la qualité des messages adressés aux politiques : moins d’idéologie, plus de bon sens et une approche scientifique en matière d’énergie ; une politique audacieuse de soutien à la transformation numérique ; une mobilisation intense sur les questions d’insertion qui constituent un enjeu majeur avec les migrants et la transformation numérique ; et une véritable ambition en matière d’emploi.
Le mot de la fin est revenu à Bruno Angles. Répondant à Claude Bébéar qui suggérait d’autres thèmes de débat – la sécurité sociale, les retraites, le communautarisme, l’emploi à vie, le salariat –, il a annoncé que le Conseil de l’AX se saisirait de cette proposition.