Développement et biodiversité durables : une approche par les droits de propriété

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Michel TROMMETTER

Dans La tra­gé­die des com­mu­naux publiée en 1968, le bio­lo­giste Gar­ret Har­din part de l’exemple d’un vil­lage d’éleveurs, où cha­cun peut faire paître ses ani­maux dans un pré n’appartenant à per­sonne en par­ti­cu­lier. L’usage du pré étant gra­tuit et sans contrainte, et l’éleveur tirant son reve­nu de son bétail, l’intérêt de chaque éle­veur est de conduire ses ani­maux au pré le plus sou­vent pos­sible, le plus tôt pos­sible et le plus long­temps pos­sible. Inévi­ta­ble­ment, le pré se trans­forme en champ de boue. Tout le monde a perdu.
L’auteur pro­pose alors deux solu­tions. Soit le pré reste le bien com­mun du vil­lage, mais une auto­ri­té dis­po­sant d’un pou­voir de sanc­tion est char­gée de gérer la res­source (le pré) et d’en répar­tir l’utilisation entre chaque éle­veur. Soit chaque éle­veur béné­fi­cie d’un droit de pro­prié­té sur une par­celle du pré, et donc se char­ge­ra d’en gérer la ressource.
C’est la seconde option, celle des “ enclo­sures ”, des droits de pro­prié­té, qui a ins­pi­ré la plu­part des textes inter­na­tio­naux concer­nant la ges­tion des res­sources com­munes de l’humanité, telles que la biodiversité.

La bio­di­ver­si­té est un bien public glo­bal qui est le résul­tat d’in­te­rac­tions dyna­miques entre des éco­sys­tèmes, ces éco­sys­tèmes étant eux-mêmes le résul­tat d’in­te­rac­tions dyna­miques loca­li­sées entre des plantes, des ani­maux, des micro-orga­nismes et des hommes. Cer­tains de ces élé­ments (plantes, ani­maux, arbres) peuvent être indi­vi­duel­le­ment pri­va­ti­sés par l’homme. Les acti­vi­tés anthro­piques, asso­ciées à l’é­vo­lu­tion natu­relle des éco­sys­tèmes et des espèces, conduisent à des modi­fi­ca­tions dans les équi­libres dyna­miques des éco­sys­tèmes locaux et à des exter­na­li­tés sur la biodiversité.

Conservation du potentiel évolutif

En réponse à l’é­ro­sion de la bio­di­ver­si­té, le bio­lo­giste de la conser­va­tion pro­pose le « main­tien d’un poten­tiel évo­lu­tif » mini­mum, là où l’é­co­no­miste vou­drait limi­ter les « irré­ver­si­bi­li­tés ». Selon l’OCDE (2005), il faut : « Iden­ti­fier les causes sous-jacentes de la perte de la bio­di­ver­si­té dans la mesure où l’ob­jec­tif de l’ac­tion publique ne consiste pas à inter­dire pure­ment et sim­ple­ment toute dis­pa­ri­tion – il s’a­git d’as­su­rer une uti­li­sa­tion durable et un degré de conser­va­tion qui pro­fitent à tous. « Dans ce contexte, l’es­pèce, même si elle reste un élé­ment impor­tant pour la ges­tion de la bio­di­ver­si­té, n’est plus néces­sai­re­ment au centre de l’a­na­lyse. En effet, des espèces, même emblé­ma­tiques, peuvent dis­pa­raître sans nuire au poten­tiel évo­lu­tif de la bio­di­ver­si­té, il fau­dra alors trou­ver d’autres motifs pour les pré­ser­ver (patri­mo­niaux, éco­no­miques, sociaux…). Par contre, la limi­ta­tion du poten­tiel d’é­vo­lu­tion aug­mente les risques de dys­fonc­tion­ne­ments des éco­sys­tèmes donc les risques à long terme pour la bio­di­ver­si­té. Les enjeux sont de main­te­nir une capa­ci­té d’a­dap­ta­tion à des modi­fi­ca­tions d’é­tats du monde (réchauf­fe­ment cli­ma­tique) qui per­mette un déve­lop­pe­ment et une bio­di­ver­si­té durables.

Dans une situa­tion don­née, il s’a­git de com­pa­rer l’ef­fi­ca­ci­té éco­no­mique, sociale et éco­lo­gique de chaque option. Pour com­prendre la mise en œuvre de ces dif­fé­rentes options de conser­va­tion, nous pro­po­sons d’é­tu­dier les droits de pro­prié­té qui vont inter­ve­nir dans la ges­tion de la bio­di­ver­si­té. D’une part en étu­diant les droits de pro­prié­té sur le fon­cier et sur les res­sources natu­relles, liés prin­ci­pa­le­ment à des acti­vi­tés d’ex­trac­tion des res­sources natu­relles et d’autre part en ana­ly­sant les droits de pro­prié­té sur les inno­va­tions issues des res­sources géné­tiques en agri­cul­ture ou en pharmacie.

Droits sur les ressources naturelles

L’ab­sence de pro­prié­té avec accès et usages libres cor­res­pond à la « tra­gé­die des com­mu­naux » et abou­tit à la sur­ex­ploi­ta­tion des res­sources. Pour y remé­dier, les options de droits sont diverses et peuvent avoir des consé­quences variables sur la ges­tion des ressources :

• absence de pro­prié­té avec des droits d’ac­cès et d’u­sage gérés par des droits col­lec­tifs loca­li­sés non recon­nus par l’État ;
 pro­prié­té de l’État ;
 pro­prié­té com­mu­nale ou col­lec­tive recon­nue par l’État ;
 pro­prié­té privée…

On peut avoir super­po­si­tion de droits, par exemple la coexis­tence d’un droit de l’É­tat sur les éco­sys­tèmes avec des droits locaux non recon­nus par l’É­tat qui peuvent se révé­ler anta­go­nistes. Dans cette situa­tion, que l’on soit dans le cadre de la ges­tion des res­sources natu­relles renou­ve­lables ou non renou­ve­lables, les États doivent prendre garde à accor­der des conces­sions d’ex­ploi­ta­tion à des entre­prises pri­vées qui soient com­pa­tibles avec la ges­tion de ces res­sources par les popu­la­tions locales. Sinon, il en résulte une perte de légi­ti­mi­té des droits locaux par rap­port aux droits de l’É­tat qui peut entraî­ner la sur­ex­ploi­ta­tion des res­sources, donc une tra­gé­die des com­mu­naux du fait de l’ac­tion conjointe des com­pa­gnies pri­vées et des popu­la­tions locales qui se sentent dépos­sé­dées de leurs droits cou­tu­miers. Dans ce cas, la tra­gé­die des com­mu­naux n’est pas le résul­tat d’une absence de droit, mais le résul­tat d’une super­po­si­tion de droits mal maîtrisée.

Dans ce contexte de défi­ni­tion des droits, l’É­tat peut limi­ter cer­tains usages y com­pris dans le cas de la pro­prié­té pri­vée : droit de construire condi­tion­né à l’oc­troi du per­mis de construire ou inter­dic­tion de chas­ser les espèces pro­té­gées en tous lieux.

Coopération internationale : certification et traçabilité

Si un pays n’a pas les moyens de faire res­pec­ter ses droits, donc de limi­ter les exploi­ta­tions illé­gales des res­sources, des mesures inter­na­tio­nales peuvent être prises pour que ce soit le pays impor­ta­teur (l’u­ti­li­sa­teur) qui s’as­sure de la léga­li­té des pro­duits qui entrent sur son ter­ri­toire. C’est le cas de la conven­tion sur le Com­merce inter­na­tio­nal des espèces de faune et de flore sau­vages mena­cées d’ex­tinc­tion (CITES). Le com­merce inter­na­tio­nal de cer­taines espèces est inter­dit, il est limi­té pour d’autres. La bonne ges­tion passe par la tra­ça­bi­li­té effi­cace des biens : l’i­voire com­mer­cia­li­sé pro­vient-il d’un élé­phant tué « léga­le­ment » ou « illégalement » ?

Au niveau de l’ex­ploi­ta­tion fores­tière, l’in­tro­duc­tion de cer­ti­fi­ca­tions envi­ron­ne­men­tales doit per­mettre une meilleure ges­tion de la forêt et un meilleur par­tage des avan­tages. La ques­tion de la dura­bi­li­té de l’ex­ploi­ta­tion de la forêt pri­maire est donc liée à la tra­ça­bi­li­té de la pro­ve­nance du bois et au res­pect des clauses des contrats de conces­sion impo­sés par les ges­tion­naires. La cer­ti­fi­ca­tion et autres outils de tra­ça­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale existent éga­le­ment pour assu­rer une ges­tion durable de la pêche, en com­plé­ment d’une régle­men­ta­tion res­tric­tive et appro­priée, afin que ceux qui réa­lisent une pêche durable reçoivent des inci­ta­tions claires.

Impacts positifs versus négatifs

L’ex­ploi­ta­tion minière ou pétro­lière a un impact sur la bio­di­ver­si­té : effets directs des­truc­teurs de bio­di­ver­si­té liés à la construc­tion des infra­struc­tures néces­saires à l’ex­ploi­ta­tion des res­sources non renou­ve­lables (extrac­tion et trans­port), et effets indi­rects du fait que les com­mu­nau­tés locales devront trou­ver de nou­veaux éco­sys­tèmes pour satis­faire leurs besoins, donc modi­fier l’aire géo­gra­phique de l’ac­ti­vi­té de cueillette par exemple, en péné­trant plus loin dans la forêt. Mais elle peut, paral­lè­le­ment, avoir un effet posi­tif si les popu­la­tions locales trouvent à cette occa­sion de nou­veaux débou­chés pour cer­taines res­sources et limi­ter ain­si leur pres­sion sur les éco­sys­tèmes. Des agro-fores­tiers, qui grâce au déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures de trans­port peuvent vendre ou échan­ger leurs pro­duc­tions contre du riz, rédui­ront leurs cultures de riz sur brû­lis et leur impact sur la biodiversité.

L’ex­trac­tion des plantes et d’a­ni­maux d’ex­por­ta­tion source des devises n’est pas sans risque : d’une part pour l’en­vi­ron­ne­ment par une sur­ex­ploi­ta­tion de la res­source et d’autre part pour les socié­tés locales avec le risque de limi­ta­tion des uti­li­sa­tions locales de la res­source. Ain­si dans le cas du neem, la res­source n’a pas dis­pa­ru mais elle est moins acces­sible aux plus pauvres, qui lui sub­sti­tuent d’autres res­sources et mettent poten­tiel­le­ment en dan­ger la via­bi­li­té de l’é­co­sys­tème. Dans cet exemple, une mau­vaise répar­ti­tion de la rente entre extrac­teurs et popu­la­tions locales a des effets néga­tifs sur la ges­tion de la bio­di­ver­si­té à long terme.

Ressources génétiques & bioprospection

La Conven­tion sur la diver­si­té bio­lo­gique (CDB) recon­naît la sou­ve­rai­ne­té des États sur leurs res­sources géné­tiques et paral­lè­le­ment leur res­pon­sa­bi­li­té quant à leur ges­tion et leur conser­va­tion. Cette sou­ve­rai­ne­té implique pour chaque État de défi­nir l’al­lo­ca­tion ini­tiale des droits (droits d’ac­cès et d’u­sage) sur ses res­sources géné­tiques végé­tales, ani­males et micro­biennes. Ces droits sont accor­dés soit à un niveau ins­ti­tu­tion­nel (minis­tère, agence de l’en­vi­ron­ne­ment), soit aux popu­la­tions locales (droit de pro­prié­té col­lec­tif), soit à des indi­vi­dus par un droit de pro­prié­té pri­vée sur les ressources.

Quel que soit le signa­taire de l’ac­cord de bio­pros­pec­tion, la qua­li­té des res­sources géné­tiques est incon­nue a prio­ri ce qui ne per­met pas de défi­nir un prix d’é­qui­libre satis­fai­sant. Pour arri­ver à une situa­tion d’é­change, il faut dis­so­cier le prix de l’ac­cès à la res­source du prix de l’u­sage de la res­source qui sera rené­go­cié une fois la fonc­tion de la res­source iden­ti­fiée. Cela néces­site la rédac­tion de contrats défi­nis­sant les condi­tions d’ac­cès et d’u­sage des res­sources géné­tiques avec des clauses séquentielles :
1) le deman­deur paye pour l’ac­cès et
2) en cas de suc­cès (réa­li­sa­tion d’une inno­va­tion) il paye le droit d’u­sage de la ressource.

Par rap­port aux autres res­sources natu­relles, la spé­ci­fi­ci­té des res­sources géné­tiques est d’une part que le trans­fert des droits de pro­prié­té se fait en l’ab­sence de connais­sance de la valeur de cette res­source et d’autre part que l’ac­cès à l’in­no­va­tion issue d’une res­source géné­tique pour son déten­teur ini­tial peut être ren­du dif­fi­cile par la mise en œuvre des droits de pro­prié­té intellectuelle.

Biodiversité et biotechnologies

Les res­sources géné­tiques sont prin­ci­pa­le­ment uti­li­sées dans trois sec­teurs d’ac­ti­vi­té : l’a­gri­cul­ture, la phar­ma­cie et la cos­mé­tique. Lors de leur inté­gra­tion dans une inno­va­tion, le droit de pro­prié­té intel­lec­tuelle accor­dé va dépendre de l’in­no­va­tion réa­li­sée (sélec­tion végé­tale clas­sique, aug­men­ta­tion de diver­si­té géné­tique, décou­verte de prin­cipes actifs) et de la pro­ve­nance du maté­riel géné­tique. Pour que le déten­teur ini­tial de la res­source de base, qu’il soit ges­tion­naire local (signa­taire du contrat de bio­pros­pec­tion) ou gérant d’une col­lec­tion de res­sources géné­tiques (banque de gènes), soit consul­té à l’oc­ca­sion de demande de droit de pro­prié­té intel­lec­tuelle sur des inno­va­tions issues de cette res­source, il faut que cela ait été sti­pu­lé dans le contrat de bio­pros­pec­tion ou d’ac­cès à la col­lec­tion de res­sources génétiques.

Cas des semences agricoles

Pour les appli­ca­tions agri­coles, la pro­tec­tion rete­nue pour les inno­va­tions est soit le secret, soit le Cer­ti­fi­cat d’ob­ten­tion végé­tale (COV), soit le bre­vet. Le COV est un sys­tème sui gene­ris pro­po­sé par l’U­nion pour la pro­tec­tion des obten­tions végé­tales (UPOV). Ce sys­tème pro­tège la semence com­mer­cia­li­sée, en lais­sant un accès libre, gra­tuit et auto­ma­tique à la diver­si­té géné­tique qui la com­pose. Paral­lè­le­ment à la pro­tec­tion par COV pour les semences, la pro­tec­tion par bre­vet est de plus en plus uti­li­sée pour pro­té­ger les inter­mé­diaires de la recherche dans le sec­teur des semences (séquence de gènes, tech­no­lo­gies d’in­ser­tion) voire pour pro­té­ger les semences elles-mêmes dans le cas des Orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés (OGM). Des dif­fé­rences majeures existent entre les pays : l’Eu­rope pro­tège par le secret ou un COV la créa­tion varié­tale résul­tant de la sélec­tion clas­sique. Le bre­vet (direc­tive 98–44-CE du Par­le­ment euro­péen) reste réser­vé aux varié­tés com­por­tant des gènes externes à la plante, intro­duits par des tech­niques du génie géné­tique (OGM). Les États-Unis pro­tègent prin­ci­pa­le­ment leurs varié­tés par bre­vet ou par secret, et ce quel que soit le type de sélec­tion utilisé.

La FAO dans son Trai­té sur les res­sources phy­to­gé­né­tiques pour l’a­li­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture recom­mande un accès faci­li­té à la diver­si­té géné­tique, y com­pris à la diver­si­té géné­tique conte­nue dans les OGM, et tend vers un accès libre payant géné­ra­li­sé et limi­té à une liste d’es­pèces. Pour faci­li­ter cet accès, l’U­nion euro­péenne a créé la licence croi­sée obli­ga­toire entre le COV et le brevet.

Extension des brevets

Les espèces ne figu­rant pas dans la liste de la FAO sont gérées par la CDB, donc par des contrats en géné­ral bila­té­raux entre le déten­teur d’une res­source et l’en­tre­prise deman­deuse. Dans les appli­ca­tions indus­trielles autres que les semences, le bre­vet et le secret sont géné­ra­le­ment auto­ri­sés par l’É­tat. Le pro­prié­taire d’un bre­vet sur une inno­va­tion conte­nant des res­sources géné­tiques peut donc, sous cer­taines condi­tions, inter­dire l’u­sage de la res­source géné­tique par d’autres. Ces bre­vets sont accor­dés par les offices de bre­vets et sont depuis quelques années sujets à cau­tion. Les uni­ver­si­tés amé­ri­caines se sont ren­du compte que, pour réa­li­ser leurs recherches, elles peuvent dépendre de nom­breux bre­vets dont la négo­cia­tion de licences peut conduire à des coûts de tran­sac­tions qui peuvent deve­nir dis­sua­sifs du fait de l’exis­tence de trop » d’ayants droit » avec des inven­tions en amont qui peuvent blo­quer les inno­va­tions ultérieures.

La situa­tion actuelle, des éten­dues de bre­vets très larges accor­dées à des séquences de gènes ou à des faci­li­tés essen­tielles, conduit à des limi­ta­tions exces­sives des usages qui pour­ront être faits de ces inno­va­tions, y com­pris dans des sec­teurs où l’en­tre­prise déten­trice du bre­vet incri­mi­né est absente. Dans ce contexte, il y a des risques pour une uni­ver­si­té ou une petite entre­prise d’en­freindre des droits dont elle igno­rait l’existence.

Circulation des innovations

La dif­fu­sion des inno­va­tions et des tech­no­lo­gies est sou­vent liée à des ques­tions de pro­prié­té intel­lec­tuelle et aux risques d’ap­pro­pria­tion par des tiers. Dans ce contexte, l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce (OMC) a pilo­té les débats qui ont conduit aux Accords sur les droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle liés au com­merce (ADPIC). L’ob­jec­tif de ces accords mul­ti­la­té­raux est d’ins­tau­rer, au niveau mon­dial, un niveau de droit de pro­prié­té intel­lec­tuelle mini­mal pour assu­rer l’in­ci­ta­tion à l’in­no­va­tion et la cir­cu­la­tion des pro­duits les plus inno­vants, dans un objec­tif de bien-être social mondial.

Au niveau des pays déve­lop­pés, où la pro­prié­té intel­lec­tuelle est géné­ra­li­sée, la dif­fu­sion des inno­va­tions se fait selon les droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle en vigueur dans les pays. Ain­si des semences cou­vertes par un COV en Europe peuvent dépendre d’un bre­vet aux USA et ne seront donc pas com­mer­cia­li­sées aux USA. De même, pour les médi­ca­ments, l’in­no­va­teur va déci­der des pays dans les­quels il va com­mer­cia­li­ser son inno­va­tion selon la dépen­dance qu’il peut avoir vis-à-vis d’autres bre­vets et de la taille du mar­ché atten­du. Cela signi­fie que dans un pays non reven­di­qué par un inno­va­teur, les entre­prises peuvent, pour com­mer­cia­li­ser un pro­duit, uti­li­ser une inno­va­tion bre­ve­tée ailleurs sans payer de redevances.

Accès aux innovations

La rela­tion entre pays déve­lop­pés et pays en déve­lop­pe­ment (PVD) est plus déli­cate. Dans le cadre des accords ADPIC, les PVD s’en­gagent à mettre en œuvre des droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle en agri­cul­ture de manière à favo­ri­ser la dif­fu­sion de semences des pays déve­lop­pés. Le choix de l’ou­til de pro­prié­té intel­lec­tuelle aura des effets sur l’or­ga­ni­sa­tion de la recherche et sur la dif­fu­sion des semences dans les PVD. Si les droits de pro­prié­té intel­lec­tuelle rete­nus sont trop forts par rap­port à leurs capa­ci­tés de recherche, il existe des risques de dépen­dance pour le long terme de l’a­gri­cul­ture aux inno­va­tions réa­li­sées dans les pays développés.

Or, ces inno­va­tions peuvent se révé­ler peu adap­tées aux contraintes pédo­cli­ma­tiques du Sud ou gour­mandes en intrants coû­teux. La réa­li­sa­tion de ces risques aurait des consé­quences néga­tives sur l’en­vi­ron­ne­ment et la bio­di­ver­si­té. Il faut que les droits de pro­prié­té prennent en compte les dif­fé­rences de déve­lop­pe­ment entre les pays afin de favo­ri­ser un déve­lop­pe­ment et une bio­di­ver­si­té durables.

L’ac­cès aux médi­ca­ments pour les pays du Sud dépend des droits de pro­prié­té en vigueur, mais éga­le­ment du prix auquel les médi­ca­ments seront dis­po­nibles. En effet, mettre en place une pro­prié­té intel­lec­tuelle sans garan­tie d’un prix de vente acces­sible aux plus pauvres est socia­le­ment non effi­cace pour un pays. En cas d’en­jeux majeurs, les États peuvent, comme dans le cas agri­cole, recou­rir à la licence obli­ga­toire : licences d’É­tat pour des motifs d’in­té­rêt géné­ral (san­té publique). Tou­te­fois l’u­ti­li­sa­tion de cette flexi­bi­li­té a été contin­gen­tée lors des négo­cia­tions de l’OMC à Doha car son uti­li­sa­tion sys­té­ma­tique est poten­tiel­le­ment néfaste pour la recherche, d’une part si elle réduit le mar­ché acces­sible par l’en­tre­prise et d’autre part si elle est inté­grée dans la fonc­tion de R & D des entre­prises phar­ma­ceu­tiques (même si la licence obli­ga­toire n’est pas syno­nyme de gratuité).

Marché des ressources génétiques

Le mar­ché des res­sources géné­tiques n’est pas un mar­ché mon­dial en concur­rence par­faite, c’est au contraire un sys­tème basé sur des méca­nismes d’in­ci­ta­tion et d’ex­ter­na­li­té en concur­rence impar­faite, où seule une » bonne » allo­ca­tion ini­tiale des droits peut conduire à un équi­libre socia­le­ment optimal.

Le volume finan­cier et le nombre des inter­ve­nants sur ces mar­chés res­tent rela­ti­ve­ment modestes. Certes, il existe des molé­cules inté­res­santes tant pour l’a­groa­li­men­taire que pour la phar­ma­cie, et le par­tage juste et équi­table des avan­tages issus de la bio­di­ver­si­té doit être réa­li­sé entre les indus­triels (prin­ci­pa­le­ment du Nord) et les pays et popu­la­tions locales (prin­ci­pa­le­ment du Sud). Mais, même dans le cas où ces mar­chés en concur­rence impar­faite existent, ils ne peuvent pas garan­tir la conser­va­tion de la bio­di­ver­si­té par une réal­lo­ca­tion des avan­tages au niveau local. En effet, les uti­li­sa­teurs de res­sources géné­tiques ne peuvent pas com­pen­ser suf­fi­sam­ment l’en­semble des autres uti­li­sa­teurs de la bio­di­ver­si­té qui s’abs­tien­draient de la détruire.

Partage des avantages

Il faut donc étu­dier ces mar­chés pour qu’ils soient le plus équi­tables pour le déten­teur et l’u­ti­li­sa­teur de la res­source géné­tique tout en étant réa­listes sur leurs impacts réels sur la conser­va­tion de la bio­di­ver­si­té. Les fonds pour assu­rer la conser­va­tion des res­sources géné­tiques sont impor­tants et néces­saires dès main­te­nant, alors que l’é­chelle de temps pour réa­li­ser les inno­va­tions bio­tech­no­lo­giques (donc le ver­se­ment de royal­ties éven­tuelles) est d’au moins dix ans. Lais­ser croire aux PVD qu’ils pour­raient vivre de leurs rentes en limi­tant les autres usages sur la bio­di­ver­si­té est contre-pro­duc­tif. La valo­ri­sa­tion des res­sources bio­lo­giques et géné­tiques des PVD n’est qu’un moyen par­mi d’autres à mettre en œuvre pour une ges­tion durable de la bio­di­ver­si­té par un par­tage juste et équi­table des avan­tages issus de son uti­li­sa­tion : usage direct des res­sources natu­relles et bio­lo­giques, valo­ri­sa­tion et déve­lop­pe­ment de nou­veaux sec­teurs grâce aux trans­ferts de tech­no­lo­gie et aux recherches coopé­ra­tives Nord-Sud, qui sont par­ties inté­grantes du par­tage des avan­tages, un des points majeurs de la CDB et qui est au cœur des dis­cus­sions de la 8e COP1 (mars 2006).

Perspectives…

Les enjeux autour de la pro­prié­té intel­lec­tuelle sont tels que les USA aus­si bien que l’U­nion euro­péenne mul­ti­plient les accords bila­té­raux avec les PVD en leur pro­po­sant de mettre en œuvre une pro­prié­té intel­lec­tuelle qui va au-delà des recom­man­da­tions des ADPIC. Les USA vou­lant impo­ser les bre­vets, là où l’U­nion euro­péenne sou­haite impo­ser le COV, cela au détri­ment du déve­lop­pe­ment d’un sys­tème sui gene­ris adap­té à la situa­tion des PVD et répon­dant aux objec­tifs de par­tage équi­table du béné­fice des inno­va­tions entre consom­ma­teurs, pro­duc­teurs et inno­va­teurs. En Amé­rique latine, les dépôts de bre­vets étran­gers ont crû de manière expo­nen­tielle depuis le milieu des années 1990, alors que les dépôts natio­naux sont res­tés qua­si­ment constants. Sommes-nous dans la phase de tran­si­tion c’est-à-dire la phase de dif­fu­sion des inno­va­tions du Nord avant le rebond de l’ac­ti­vi­té de R & D dans les pays d’A­mé­rique latine, ou la dépen­dance de la R & D en Amé­rique latine aux bre­vets étran­gers est-elle irrévocable ?

Les accords sur la pro­prié­té intel­lec­tuelle pour­raient être l’oc­ca­sion pour les PVD de défi­nir un sys­tème de pro­prié­té intel­lec­tuelle sui gene­ris, flexible et adap­table, qui per­mette à la fois de favo­ri­ser la dif­fu­sion des inno­va­tions du Nord vers le Sud, et de favo­ri­ser la réa­li­sa­tion d’in­no­va­tions au Sud et leur dif­fu­sion vers le Nord, avec un objec­tif de maxi­mi­sa­tion du bien-être social au Sud (comme au Nord). Pour y par­ve­nir, l’OMC a d’ailleurs admis que les accords ADPIC étaient trop contrai­gnants pour les pays les plus pauvres qui ont fina­le­ment jus­qu’à 2016 pour les adop­ter et les mettre en œuvre.

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1. Confe­rence of the Parties.

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