Développer l’emploi des plus de 50 ans : un choix politique
Un paradoxe français ?
À quand un débat public sur la répartition du risque de chômage et la rotation du » stock » des chômeurs ?
La discrimination à l’emploi, dont sont victimes les plus de 50 ans en France, continue à produire ses effets économiques et sociaux désastreux. Privant le pays de quelque 800 000 actifs (Rapport du Conseil d’analyse économique, n° 58), elle contribue à creuser les déficits sociaux d’un montant évalué à plus de 10 milliards d’euros par an.
Combien de quinquas qualifiés se voient refuser un poste, au motif aberrant qu’ils sont surqualifiés, à un moment où, paraît-il, les entreprises font face à une pénurie de talents ? Les seniors encore en activité, quant à eux, font l’objet de pressions sous des formes multiples pour les pousser à quitter leur emploi.
Qualifications obsolètes, frein à la productivité, coût trop élevé pour l’entreprise sont les arguments avancés, a posteriori, pour justifier l’ostracisme dont ils font l’objet.
Variable d’ajustement
Chien ou loup ?« Un loup n’avait que les os et la peau. » J’ai vite compris que je n’étais pas un chien fait pour le collier et la chaîne, fût-elle dorée. Cela m’a coûté fort cher. Parvenu, la cinquantaine approchant, sans rien lâcher des valeurs un peu désuètes qui sont les miennes, à un honnête poste de direction générale dans une PME de province, j’ai fait une grosse gaffe : j’ai refusé d’être de ceux qui organisent la misère chez nous en s’appuyant sur l’indigence des plus misérables du monde, détruisant les emplois et les existences ici en s’appuyant sur l’esclavage ailleurs, au nom du résultat financier, et même, sans rire, du bonheur des peuples miséreux. Depuis dix ans, toute ma sixième décade, » cancre, hère et pauvre diable, dont la condition est de mourir de faim », je » pointe » donc chaque mois comme demandeur d’emploi, discriminé aussi par l’âge. Peut-être un record, en tout cas parmi les anciens de notre honorable École. Beaucoup n’ont pas mon entêtement et profitent dès que possible des échappatoires » offertes » pour quitter l’infamant statut : préretraite, dispense de recherche, etc. Je ne m’y complais pas, mais c’est ma protestation contre ce statut de variable d’ajustement, ma solidarité avec les 4051700 objets statistiques recensés par les services » de l’emploi « , 15 % de la population active, une personne sur six. Et combien d’autres, parmi les vingt millions restants, qui se savent directement menacés ! Seuls les gros « dogues, aussi puissants que beaux, gras, polis « , bon pedigree et supportant bien le collier, sont (presque) sûrs d’y échapper. Au milieu de la décennie, quand je quêtais frénétiquement le Graal (l’emploi), je rencontrai dans le train un camarade de ma prépa, et de la promo suivant la mienne, parvenu laborieusement à une direction régionale d’un grand groupe nationalisé. Il allait prendre sa… retraite, avec 80 % d’un bon salaire, et ne savait à quoi il allait occuper tout ce temps : voile, voyages. J’espère que les excès de la chère n’abrégeront pas cette félicité bien méritée ? Mais » de tous vos repas je ne veux en aucune sorte « , et de toute façon, je n’ai plus le choix : chien ou loup, ces routes sont sans retour. Dans ma quête, je suis tombé au milieu d’une bande d’irréductibles, au fin fond de la Bretagne » porcine « , qui souffre tant aujourd’hui. Lassés eux-mêmes d’être traités en variables d’ajustement, ils se sont mis en tête de rendre leur territoire autosuffisant en énergie, tous ensemble, avec leur vent, leur soleil, leurs champs et leur bois, comme d’autres avant eux chez nos voisins européens. Ils avaient besoin d’un ingénieur : je fis l’affaire, sacrifiant, sans trop le choix, mes prétentions à un projet iconoclaste. Et ça marche, mais ne le dites pas à EDF. « Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. » Marc Théry (71) |
De manière constante, les décisions politiques ont fait le choix systématique d’un » chômage de masse » qui pèse principalement sur les jeunes et les seniors. Ces deux tranches de la population servent, en fait, de variables d’ajustement pour sauvegarder l’emploi de la grande majorité en poste.
En contrepartie, les salariés en poste doivent accepter une intensification du travail, dans des conditions qui se dégradent ; ils doivent, aussi, se contenter de niveaux de salaires très modérés, dans un climat général de précarité, entretenu par une sorte de » chantage » au chômage et le temps partiel subi : 25 % des salariés, soit plus de 6 millions, gagnent moins de 750 euros par mois.
Confrontés aux mêmes défis, d’autres pays européens enregistrent des résultats plus probants en matière d’emploi des quinquas. Faut-il alors croire à une fatalité du sous-emploi des seniors en France ? Avec un taux d’emploi des seniors (55−64 ans) de 39 %, la France se situe, en effet, nettement en dessous de la moyenne européenne, qui est de 45,6%.
Les pays d’Europe du Nord ont anticipé le mouvement (Suède en tête, avec un taux de 70 %). Chez nous, le chantier de la réflexion sur l’emploi des seniors reste donc ouvert, à la recherche de remèdes à ce véritable gâchis de compétences inexploitées.
Une simple formalité
Dans un décret récent, il est fait obligation aux employeurs de mettre en place, à partir du 1er janvier 2010, des plans négociés en faveur de l’emploi des seniors. Mais ce texte ne comporte aucune sanction véritable à l’encontre des employeurs qui discriminent par l’âge (hormis une pénalité pour défaut de signature des accords).
Les entreprises ne voient, dans cette nouvelle mesure, qu’une simple formalité imposée par la loi. Ce texte n’a pas déclenché de politique rénovée de gestion des ressources humaines.
Un million d’exclus
Ce décret aura peut-être un impact à moyen terme, pour les salariés toujours en poste, mais aucun effet significatif sur les seniors exclus du travail (actuellement près d’un million). Dans la dernière réforme des retraites, le travail des seniors a très peu été évoqué.
Pour les quinquas sans emploi, la réforme signifie une prolongation de la durée de leur chômage, rémunéré ou non. On déplorera aussi l’absence de débat public sur la répartition du risque du chômage et sur la rotation du » stock » des chômeurs.
Travail soutenable
Ailleurs, en Europe, deux éléments fondamentaux ont été pris en compte : l’amélioration des conditions de travail, pour un » travail soutenable « , et la formation professionnelle continue tout au long de la carrière, pour développer les qualifications et capitaliser l’expérience. En Allemagne, le taux d’emploi des seniors est passé au-dessus des 50 %, grâce à des politiques innovantes de gestion des ressources humaines dans les entreprises.
On citera le cas éloquent de BMW : anticipant le vieillissement de ses salariés, cette entreprise a aménagé les postes de travail d’une chaîne de production, en appliquant les recommandations de ses employés seniors.
Pour un investissement modeste, la productivité de la chaîne a augmenté de 7% en un an, et le taux d’absentéisme a chuté à 2%. Transposer en France ces bonnes pratiques impose de faire évoluer les mentalités : une politique économique différente, ayant pour objectif le plein-emploi, comme le préconisait Maurice Allais ; une évolution qui rendrait à l’homme sa dignité dans le processus économique, pour ne plus apparaître comme un simple facteur de production ou d’ajustement, et le travail comme une simple marchandise.
Les Quinquas Citoyens Après vingt-cinq ans d’expérience en gestion financière et management dans des multinationales et PME, j’ai vu, à 50 ans, les portes de l’emploi se refermer. Essuyant de multiples rejets de candidature, je me suis dirigé vers le conseil et la formation, et spécialisé dans les techniques de dynamisation des équipes autour d’un projet collectif, grâce aux apports de la biologie du comportement et des neurosciences. J’ai créé en 2005, Les Quinquas Citoyens, Association de lutte contre la discrimination à l’emploi par l’âge et pour l’égalité des droits à la retraite. Ses actions visent à faire prendre conscience, aux politiques et aux employeurs, du gâchis que constitue le sous-emploi des seniors, et des coûts, financier, humain et social du chômage de masse concentré sur les jeunes et les seniors. Elle fait entendre sa voix par le biais d’Internet, de témoignages dans la presse écrite, radio et télévisuelle, de participations aux assises parlementaires et d’autres événements qui traitent de l’emploi des seniors, ou encore en organisant des rencontres entre seniors et entreprises. |
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